Professeur assistant de neurologie et Directeur national des établissements hospitaliers, le Dr Isaac Houinsou Hans pense que la crise actuelle au niveau du secteur de la santé vient de ce que le Bénin ne dispose pas encore d’un système hospitalier digne du nom depuis 1960. Quelle appréciation faites-vous de la crise qui secoue le secteur de la santé ces dernières semaines?
C’est une situation assez déplorable dont les vraies causes sont lointaines. Je dois vous dire que depuis 1960 à nos jours, le Bénin n’a jamais eu de système hospitalier. Nous n’avons fait que construire des hôpitaux. Un système hospitalier est un regroupement de structures, d’institutions et de ressources humaines relevant des hôpitaux et qui entretiennent des relations fonctionnelles entre eux. Or si vous regardez aujourd’hui, chaque hôpital fonctionne de façon isolée. La gouvernance des hôpitaux est laissée à l’administration locale. Il n’y a pas de gouvernance faîtière qui organise tout le système. Dans tous les pays de la sous-région, il y a des lois qui organisent les hôpitaux, mais le Bénin n’en dispose pas à ce jour. On se base seulement sur une loi qui organise les officines, etc ; alors que les hôpitaux ne produisent pas des marchandises ; leur mission est telle qu’ils doivent être traités de façon particulière. Si vous allez en France, il y a même ce qu’on appelle la fonction publique hospitalière. Mais l’administration béninoise a évolué et n’a pas tenu compte de ce que le système hospitalier serait quelque chose de particulier.
Comment le système a alors évolué jusque-là?
Vous savez, depuis notre indépendance, le ministère de la santé a fonctionné avec une seule direction, appelée direction nationale de la protection sanitaire. Il ne s’y trouvait même pas un service qui s’occupait des hôpitaux. J’ai été médecin chef dans des hôpitaux de zone, je connais donc très bien le système sanitaire béninois. Je vous dis par exemple, que chaque année, on planifiait les opérations d’accouchement, de vaccination et autres, mais jamais les hôpitaux n’étaient pris en compte. Il y a donc une situation qui fait que le système a explosé de l’intérieur. Je le répète, on ne s’est pas occupé des hôpitaux depuis 1960, on ne parle que de la santé publique, des soins de santé primaire, de la vaccination, etc. Mais les gens ne meurent pas de vaccination. Ils meurent d’une maladie pour lesquelles on les fait vacciner. La population ne se plaint pas seulement de ces soins-là. Elle veut que lorsqu’elle est malade, qu’on la soigne, et c’est les hôpitaux qui jouent ce rôle. Aujourd’hui, vous avez vu, les grandes maladies se sont développées et tuent. L’expérience de vie a nettement diminué. Les béninois meurent aujourd’hui de plus en plus à 40 ans. Nous n’avons pas pris soin de construire les hôpitaux, on a développé seulement les soins de santé primaire comme si les autres maladies n’étaient pas aussi importantes. Si l’on peut financer le sida, la tuberculose, on doit pouvoir prendre également en charge un accidenté. On ne peut pas faire de l’injustice quand il s’agit de la santé. Il faut qu’on change cette manière de voir les choses et qu’on mette en place une vraie politique de développement du système.
Heureusement que vous dirigez depuis quelques mois une direction qui prend en compte toutes ces préoccupations?
Nous, notre travail ici, c’est de monter et de bâtir le système. Evidemment, c’est quelque chose qui ne peut pas se faire en deux jours. Tout se fera progressivement. Nous voulons que chaque hôpital devienne une institution qui fonctionne réellement et qu’ensuite, on puisse les relier entre eux pour former un vrai système hospitalier national. Mais il faut avouer que c’est un combat difficile qu’on ne saurait laisser à une seule direction. Nous, nous sommes là pour faire des propositions pratiques ; il revient donc aux politiques de réagir, parce que c’est eux qui prennent les décisions au dernier ressort. Malgré les grèves, nous autres, nous continuons de travailler. Nous sommes par exemple en train de préparer pour la semaine prochaine un atelier qui réunira à Bohicon, tous les directeurs généraux et autres responsables des hôpitaux. A cette occasion, nous mettrons sur pied la conférence des directeurs qui est un cadre de concertation pour réfléchir aux vrais problèmes des hôpitaux au Bénin. Nous voulons aussi mettre désormais les hôpitaux en réseau.
La rencontre de Bohicon sera donc un déclic pour l’avènement d’un véritable système hospitalier au Bénin?
Il faut dire que nous avons commencé depuis un bout de temps, à travailler avec des hôpitaux, à les regrouper et à les faire participer à la gestion, parce que jusque-là, comme je l’ai dis tantôt, il n’y existait aucune planification. Ils doivent avoir des objectifs. Vous venez et vous travaillez, mais pourquoi ? Vous savez les médecins, les infirmiers viennent travailler et dès qu’ils finissent, ils rentrent chez eux. Mais quel est l’objectif final visé ? C’est la question à se poser. Nous devons corriger tout cela.
Que fait votre direction pour freiner et pourquoi pas, mettre fin aux grèves qui secouent actuellement le secteur de la santé?
Je vais vous dire la vérité; ce n’est pas au niveau d’une direction qu’on peut régler ce problème, même pas au niveau du ministre de la santé. C’est vrai, il est un homme politique, et peut intervenir sur un certain nombre de choses, mais je le répète, c’est un problème de la gouvernance des agents permanents de l’Etat, je dirai tout court du personnel qui travaille au niveau de la fonction publique. Pourquoi doit-on prendre des décisions à l’emporte-pièce sans tenir compte des autres ? C’est la gestion que nous faisons de la fonction publique qui pose problème. Il faut mettre tout à plat et tout réorganiser, car il n’y aucune harmonie dans ce qui se fait actuellement. Cela ne répond à rien du tout.
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