Rapport du WANEP sur la crise postélectorale en Côte d’Ivoire

Le dialogue et des compromis pour éviter le pire (9 décembre 2010) Dans le cadre du programme d’alerte précoce et de prévention de conflit, le réseau Ouest Africain pour l’édification de la paix (WANEP) a accompagné le processus de sortie de crise  en Côte d’Ivoire en menant plusieurs activités avant et pendant le processus électoral qui connaît de nouveaux défis dans sa phase actuelle de gestion des résultats. En dehors du rôle de veille joué par WANEP Côte d’Ivoire en partenariat avec d’autres organisations de la société civile, dans la mise en œuvre de l’Accord Politique de Ouagadougou (APO), WANEP a publié un document de plaidoyer le 15 novembre 2010 après le premier tour de l’élection présidentielle. Ce document a fait une analyse des enjeux du second tour et des  recommandations pour que la gestion des résultats se fasse de façon apaisée pour une sortie définitive de la crise en Côte d’Ivoire.

Le présent document est une continuité du premier et vise à analyser la situation postélectorale et faire des recommandations aux différents acteurs pour la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire.

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En effet, le scrutin du 28 novembre 2010 s’est déroulé globalement dans la paix selon les avis des observateurs nationaux et internationaux. Mais la procédure de compilation et de proclamation des résultats par la Commission Electorale Indépendante s’est faite dans la confusion totale comme nous l’avions évoquée en partie dans le deuxième scenario de notre publication du 15 novembre 2010.

La proclamation des résultats par la CEI

La CEI a proclamé des résultats provisoires le jeudi 02 décembre 2010, quelques heures après le délai constitutionnel de trois (3) jours qui lui est imparti ; résultats qui donnaient vainqueur le candidat Alassane Dramane OUATTARA avec 54,10% des suffrages contre 45,9 pour le président sortant Laurent GBAGBO.

Les mesures prises par le pouvoir

Dans la soirée de ce jeudi, l’armée a fermé les frontières de la Côte d’Ivoire et le Conseil national de la communication audiovisuelle ordonne « la suspension sans délai de tous les signaux des chaînes de radio et de télévision étrangères d’informations internationales contenues dans le bouquet de Canal + Horizon ».

L’invalidation des résultats de la CEI et la proclamation des résultats par le Conseil Constitutionnel

Au lendemain de la proclamation des résultats par la CEI, le président du Conseil constitutionnel Paul Yao N’Dré proclame les résultats définitifs le vendredi 03 décembre 2010 après avoir invalidé le vote dans plusieurs départements du nord du pays (Bouaké, Khorogo, Ferkessedougou, Katiola, Boundiali, Dabakala et Seguéla) pour, a-t-il dit, diverses « irrégularités flagrantes, de nature à entacher la sincérité du scrutin », ces résultats donnent 2 054 537 voix, soit 51,45 % pour Laurent GBAGBO contre 1 938 672 voix, soit 48,55 % pour Alassane Dramane OUATTARA.

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Les réactions de la communauté internationale

Les résultats proclamés par le Conseil Constitutionnel ne sont pas reconnus par l’envoyé spécial des Organisations des Nations Unies en Côte d’Ivoire M. YONG Chin Choi qui a félicité M. Alassane OUATTARA.

Les Nations Unies, les Etats Unis d’Amérique, la France, l’Union Africaine, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest  reconnaissent les résultats proclamés par la CEI et félicitent à leur tour le candidat Alassane OUATTARA.

Le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, a souligné que son institution, dont Abidjan attend un considérable allégement de dette, ne travaillerait pas avec un gouvernement non reconnu par les Nations unies. Quant au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, il a également avalisé la victoire d’Alassane Ouattara et a dit «rejeter toute tentative visant à créer un fait accompli». L’UA a envoyé en «mission d’urgence» en Côte d’Ivoire l’ex-président sud-africain Thabo Mbeki, médiateur dans la crise ivoirienne par le passé.

De son côté, la Cour Pénale Internationale, qui siège à La Haye, a déclaré vendredi 3 novembre 2010 qu’elle continuerait à « observer attentivement la situation en Côte d’Ivoire ». « Tous les actes de violence seront surveillés et minutieusement examinés de près par le Bureau en vue de déterminer si des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis et devraient justifier une enquête », a déclaré Fatou Bensouda, procureur adjoint de la CPI, dans un communiqué

L’investiture

Dans la journée du samedi 4 décembre les  deux Présidents ont prêté serment.

Désormais la Côte d’Ivoire a deux Présidents l’un reconnu et soutenu par la communauté internationale et l’autre isolé.

Dans cette situation, le Premier Ministre sortant Guillaume Soro, Chef du gouvernement depuis l’accord de paix de 2007 et leader des Forces Nouvelles, a remis sa démission à Alassane Ouattara, qui l’a reconduit dans ses fonctions. La Côte d’Ivoire «sera désormais en paix», a promis Alassane Ouattara au terme d’une journée marquée par des violences.

Les acteurs responsables de cette nouvelle crise

En dehors du candidat Laurent GBAGBO, le rôle des magistrats et des forces de défense et de la sécurité a été capitale dans l’enlisement de la crise.

La séparation des pouvoirs n’est pas effective et a contribué au pourrissement de ce que l’on observe.

Les magistrats n’ont pas été impartiaux dans la gestion de la crise. Le Conseil Constitutionnel n’a pas été au dessus de la situation mais a montré sa partialité dans la gestion des résultats.

Les forces de défense et de sécurité ont-elles aussi montré leurs limites. La confusion observée aux lendemains de ce processus électoral ne devrait pas s’observer si elles avaient  été impartiales.

Les risques d’embrasement du pays

Durant l’attente des résultats déjà, les Ivoiriens avaient montré des signes de grande nervosité. Dans la nuit du mercredi 1er à jeudi 02, au moins huit personnes avaient été tuées par des hommes armés lors d’une attaque menée contre un bureau du parti d’Alassane Ouattara, à Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, la capitale économique du pays selon l’AFP. Plusieurs incidents se sont produits à Abobo, à Anyama, à Port Bouët et à Koumassi.

Le bilan publié par le « Patriote » annonce 504 blessés dont 33 graves, 31 hospitalisés et 55 personnes tuées du 27 novembre au 05 décembre 2010.

Il serait difficile de diriger un pays coupé en deux. Les risques de guerre civile sont perceptibles et pourraient devenir une réalité si rien n’est fait.

Les Forces nouvelles soutiennent le Président Alassane OUATARA et les Forces de Défense et de Sécurité ont manifesté leur allégeance au Président Laurent GBAGBO. Les deux forces sont donc prêtes à s’affronter.

En reconduisant le Premier Ministre Guillaume SORO, Alassane OUATARA a fait un choix conjoncturel qui doit l’aider à sortir de cette crise. Le premier gouvernement de crise est composé de 13 membres.

Le Président GBAGBO Laurent a quant à lui choisi un technocrate complètement inconnu de la scène politique pour conduire son gouvernement en la personne d’Aké Gilbert Marie N’ gbo. Le Président GBAGBO semble vouloir gouverner comme si de rien n’était : son investiture a été reçue et validée par le Conseil Constitutionnel en grande pompe, il dirige depuis le palais présidentiel, et doit pouvoir former son gouvernement dans les prochaines heures. Dans la journée du lundi 6 décembre l’armée annonce l’ouverture des frontières et allège le couvre-feu.

Au total, cette situation repose le problème de légitimité et de légalité du Président sortant Laurent GBAGBO et replonge la Côte d’Ivoire dans une nouvelle crise.

Les scenarii suivants peuvent se présenter :

–          1er scénario peu probable mais souhaité

La mission de l’Union Africaine obtient la reprise de l’élection présidentielle dans les localités contestées par les deux camps. La reprise s’organise dans un meilleur délai. Les résultats sont organisés par une commission internationale ad’hoc. Les résultats sont validés et certifiés l’ONU. Le Président de la république est investi dans la concorde nationale. La sortie de crise est devenue finalement une réalité.

–          2ème scénario probable

La mission de médiation de l’Union Africaine n’arrive pas à trouver une solution à la crise. Les deux Présidents dirigent le pays qui est divisé en deux. OUATARA dirige le pays depuis Yamoussokro jusqu’au nord et GBAGBO gouverne le sud. Les manifestations de remise en cause du pouvoir de GBAGBO s’organisent. Pour gouverner, le pouvoir utilise la force et la dictature. Les élections législatives sont organisées et la coalition du RHDP remporte et devient majoritaire à l’assemblée. Le Président gouverne sans la majorité au parlement. Le Président cafouille et est contraint à démissionner. De nouvelles élections sont organisées et la Côte d’Ivoire tourne une nouvelle page.

–          3ème scénario fort probable

Devant le refus du Président sortant et sa persistance à gouverner comme si de rien n’était, le camp OUATARA donne un ultimatum aux Forces de Défense et de Sécurité et au président GBAGBO pour se conformer au choix du peuple. Les tons montent, les Forces Nouvelles attaquent la position du camp GBAGBO. La guerre est ouverte. Le pays s’embrase à nouveau. Les victimes se comptent par milliers avec des réfugiés et des déplacés.

Pour éviter l’enlisement de ce pays stratégique pour les pays de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et ceux de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), WANEP formule les recommandations suivantes à l’endroit de tous les acteurs pour une sortie de crise durable.

Recommandations

–          Les acteurs politiques

Il est impérieux devant cette crise que les acteurs politiques acceptent de dialoguer, de faire des concessions pour permettre à la Côte d’Ivoire de tourner cette page sombre de son histoire.

Le Président GBAGBO pourra jouer son avenir politique pour la postérité en démissionnant et en laissant le Président GBAGBO gouverner.

Le Président OUATARA, pourra diriger en formant un gouvernement d’union nationale sans faire la chasse aux sorcières.

–          A l’endroit des religieux.

La contribution des leaders religieux dans cette situation est fortement attendue. Ils doivent continuer à encourager les acteurs politiques à accepter le dialogue comme le seul moyen de sortie de crise.

Ils doivent appeler les parties prenantes à respecter le choix du peuple.

–          A l’endroit de la société civile

Elle doit continuer la campagne de sensibilisation à la non violence pour permettre à la population de vivre dans l’harmonie et la paix.

–          A l’endroit des magistrats

De servir l’intérêt du peuple et non celui d’un individu. Leur rôle dans le dénouement de la crise est nécessaire. Ils doivent se mettre au dessus des acteurs politiques et sauvegarder les intérêts de la Côte d’Ivoire.

–          L‘armée

L’armée est une institution républicaine. Elle doit travailler à l’unification du pays ; la situation actuelle aurait pu trouver de solution si elle avait été neutre.  Il faut travailler à court et à long terme à reconstruire cette armée divisée depuis 11 ans.

–          A l’endroit de la communauté internationale

De continuer à encourager les deux camps à dialoguer pour une solution durable de sortie de crise. Certes le boycott et des sanctions contre la Côte d’Ivoire peuvent être pris. Mais c’est le peuple qui en souffrira le plus. Il est plus responsable d’aboutir à des compromis pour permettre à la Côte d’Ivoire de sortir définitivement de cette crise.

Le dialogue est important mais difficile dans un contexte où les deux camps ne sont pas prêts à perdre la face.

L’idéal serait de surseoir le processus pour reprendre l’élection dans les localités contestées par les deux camps. Les résultats issus de cette reprise seront certifiés par les Nations Unies et acceptés par les deux camps.

–          A l’endroit de la CEDEAO

Les mécanismes utilisés dans la gestion des crises du genre au Togo et au Niger doivent être utilisés pour renforcer l’institution.

–          A l’endroit de l’Union Africaine

L’UA a pris une bonne option devant le silence stratégique du Médiateur de la CEDEAO. La mission urgente confiée à l’ex président de l’Afrique du Sud Thabo MBEKI est une belle initiative dont la finalité aiderait à faire des avancées significatives si les parties acceptaient des compromis.

Conclusion

La Côte d’Ivoire comme nous l’avions dit dans notre publication du 15 novembre 2010 est à la croisée des chemins. La gestion de cette nouvelle crise risque de prendre du temps. Et le pays risque de basculer dans la guerre civile si les acteurs principaux ne mettent pas en exergue l’intérêt du pays.

WANEP croit encore en la force du dialogue et invite les principaux acteurs à s’écouter et à placer l’intérêt supérieur du pays au-dessus de leurs propres intérêts. L’une des solutions serait la reprise de l’élection dans les zones contestées à défaut d’accepter les résultats certifiés par les Nations Unies.

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