A COEUR OUVERT : PAROLE D’UN SIMPLE CITOYEN

Puisqu’il est d’usage de s’adresser aux siens à l’occasion du nouvel an, je prends la liberté  en ce premier jour de l’an avec quelques compatriotes et amis, en plus des  vœux de bonheur et de paix que nous formulons pour chacun de nous, de m’exprimer sur ce qui de tout  temps mais surtout au cours  de l’année écoulée nous a  préoccupés : la situation de notre pays  le Bénin.

Nous ne sommes liés à aucun parti ou regroupement politique  actuellement actif sur la scène nationale, mais nous sommes habités par une ambition forte pour le développement du Bénin dans une Afrique unie et prospère.

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Tout comme mes amis, je suis un citoyen ordinaire et libre de ce pays qui m’a tout donné. J’ai la chance de faire un métier que j’aime et qui chaque jour est pour moi une école : l’école du développement où j’apprends ce que servir les communautés les plus démunies signifie mais aussi les risques que l’on fait courir à un pays lorsque l’on fait les mauvais choix. Des Comores au Rwanda en passant par le Burundi, la Côte d’Ivoire et le Congo pour ne citer que ces pays, j’ai été parfois un témoin impuissant du pire qui pouvait être évité mais aussi heureusement plus souvent, modeste acteur et partenaire de la reconstruction.

L’ambition pour le développement de mon pays, je la porte au plus intime de moi ; mais je ne suis pas le seul. De nombreux compatriotes porteurs de talents et de valeurs, partagent cet amour de l’engagement au service de la cause publique qui est plus forte que toutes les autres considérations et  pousse à agir en dépit des contingences qui acculent au découragement.

A défaut d’être la mesure pour notre pays, soyons-en le niveau qui détermine l’équilibre et la justice pour tous.

L’observation de la situation de notre pays est l’objet de grandes préoccupations pour certaines personnalités béninoises vivant à l’intérieur ou à l’extérieur. Plutôt que le « on ne peut rien faire, c’est comme ça », nous avons choisi de dire ce que nous pensons avec pour seule ambition le bien-être de la majorité. Des rencontres se sont déroulées tout au long de l’année écoulée,  et c’est le fruit de nos  réflexions que je voudrais partager avec vous.

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Tous les observateurs avertis sont surpris de voir que ce pays qui a produit autant de talents intellectuels soit dans une situation aussi déplorable – caractérisée par :

–        une crise profonde des valeurs : les scandales succédant aux scandales, le sacré et le religieux ont servi  de prétexte  pour de véritables entreprises d’escroquerie , le droit  légitime de grève est abusivement utilisé  hypothéquant l’avenir des jeunes ou entraînant  des morts dans une quasi- indifférence ;

–        la sécurité des biens et des personnes est tout sauf garantie ;

–        la faillite économique altère la qualité de vie des citoyens ;

–        la pauvreté et la misère compromettent chaque jour un peu plus la cohésion sociale et désorganisent l’équilibre de la nation, malgré les efforts et la générosité de certaines personnes morales ou physiques acteurs de la société civile souvent inconnues du grand public, originaires d’ici ou d’ailleurs.

Pas de développement sans travail courageux, sans discipline impitoyable, sans organisation, sans solidarité dans le partage

Pourtant, chacun de nous pense la même chose : nous avons tout ce qu’il faut pour amorcer notre développement. Le pays qu’Emmanuel Mounier s’avisa de nommer « quartier latin de l’Afrique » se distingua jadis par un esprit critique si fort qu’il était redouté des anciens gouverneurs coloniaux. Ce pays, en dehors des amazones qui défendirent becs et ongles et au prix de leurs vies, son territoire, fournit par la suite au reste de l’Afrique de nombreux instituteurs, des sages-femmes, des médecins, des administrateurs, tous travailleurs de talent et d’intégrité. La réalité d’aujourd’hui peut faire penser que ce passé n’est qu’une légende bâtie sur d’obscurs désirs de paradis perdu, tant est saisissante la différence, tant est choquant le climat de dégradation morale si prégnant aujourd’hui au cœur de notre société. Interpellant récemment le Secrétaire Général de l’ONU de passage à Porto-Novo, un éminent compatriote a pu dire : « Ce pays a besoin qu’on lui dise qu’il n’y a pas de développement sans travail courageux, sans discipline impitoyable, sans organisation, sans solidarité dans le partage ».

Une banalisation de la responsabilité politique et des institutions

D’ici quelques mois nous nous présenterons devant les urnes pour choisir un nouveau Président. Chacun des candidats affûte ses armes pour en découdre avec l’adversaire et pour prendre possession du pouvoir. Un pouvoir  dont certains ne mesurent que très peu ou pas du tout ce qu’implique son exercice et la gravité de la décision de vouloir l’exercer. Je voudrais comme la majorité silencieuse dire « pauvre Bénin, mon cher pays, que fait-on là de toi ? »

L’habitude a été ces derniers temps chez nous, celle des candidatures à l’élection présidentielle, dont certaines sont fantaisistes. Cette banalisation de la responsabilité politique a créé chez nos concitoyens une forte défiance à l’égard de ce qui devrait être un sacerdoce, une fonction sacrée.

Il n’y a pas si longtemps, ce leitmotiv était : Tout sauf X ! Aujourd’hui le credo est au « Tout sauf Y ! ». L’on peut parier que demain on renouvellera le « Tout sauf untel » ou tout autre chose du même genre, comme si ces prises de position, ces choix prédéterminés dans lesquels on encaque le peuple, servaient d’abord les intérêts de celui-ci. Non, ils servent les intérêts d’une minorité et renouvellent sans cesse les visages d’une boulimie du pouvoir.

Au moment où nous nous apprêtons donc à faire nos choix d’électeurs libres et responsables, nous devons penser aux urgences qu’appelle l’état de notre société. Quels sont les leaders les plus à même de tracer et de conduire l’œuvre de développement ; capable de  rapprocher le Bénin de ce que le Dahomey fut naguère en termes de valeurs et de talents ? Car c’est par là que passe notre développement. Mais le climat est aux disputes politiques ; aux conflits de paroisses dont la vacuité pernicieuse éloigne le citoyen des préoccupations qui devraient être les siennes et installent un climat de divisions et d’affrontements. Les institutions républicaines socles de notre stabilité sont souvent irrévérencieusement contestées et les symboles multiséculaires de notre histoire commune sont allègrement mis à mal dans un débat aussi inutile qu’incompréhensible et ce, à des fins uniquement politiciennes. Le Bénin, légendaire par son désir et sa pratique de paix ne mérite pas un aussi cruel avatar. Il faudrait, comme disait l’un de nos compatriotes récemment, rappeler à tous nos responsables de toutes institutions le sens de l’Etat, celui de l’intérêt général, l’accomplissement rigoureux par chacun des obligations pour lesquelles le peuple lui a donné un mandat et pour lesquelles il le rétribue… L’esprit de fraude et de faussetés dans nos consultations électorales africaines nous conduit au péril du désastre qui tue la démocratie. Au moment où sont dites ces phrases, la Côte d’Ivoire n’a pas encore versé dans la farce qui lui donne deux présidents et renouvelle les souffrances de son peuple…

Que voulons-nous,-nous Béninois-, pour notre pays ? D’une classe politique renouvelée qui prenne en mains les questions du développement et redonne à cette nation sa dignité, sa sécurité, son prestige.

Eviter de précipiter ce pays dans le chaos

L’inconséquence de la classe politique du Bénin risque de précipiter le pays dans un abîme dont aucun de nous ne connaît la profondeur. Quelques-uns d’entre nous ont l’expérience de pays où des situations assez banales au départ ont basculé l’ensemble du pays dans des  violences dont certaines se sont révélées être plus tard des génocides. Il me souvient qu’en Côte d’Ivoire  en 1999 lorsqu’on parlait de risque de rupture violente dans l’ordre constitutionnel suivie de guerre, les politiciens répondaient «  mais non ! ce n’est pas possible, ici ce n’est pas le Rwanda .. » ; on connaît la suite. Certains signes sont déjà perceptibles : cargaisons d’armes arrêtées par nos forces de sécurité, grand banditisme et braquages au moyen d’armes de guerre au marché Dantokpa en plein jour, trafic de stupéfiants,  jeunesse désoeuvrée etc.

Pendant ce temps les  ‘’ professionnels ‘’ de la politique s’adressent des invectives et sont obsédés par la conquête d’un pouvoir  qui dans tous les cas sera difficile à exercer si des mesures radicales ne sont pas prises. Les alliances conclues entre les uns et les autres semblent moins dans l’intérêt du pays que dans celui des egos des leaders. En vingt ans – soit depuis la Conférence Nationale des forces vives de la Nation – on a pu observer la naissance d’une nouvelle classe politique prospérant sur les anciennes bases, résultat : la confusion entre l’Etat, la classe politique et l’administration publique est patente dans l’esprit des populations. Et aucune génération de responsables n’a rien fait pour éradiquer un tel amalgame : celui-ci permettait de pérenniser l’empire du politique sur l’imaginaire des peuples avec l’épouvantail permanent d’une omnipotence et d’une répression auxquelles on ne pourrait échapper en cas de non-alignement.

Ainsi, ont pu s’établir et se succéder des générations de politiques qui ont imposé au fil du temps les mêmes modèles, les mêmes habitudes, la même routine, les mêmes incompétences dans le même silence.

Il nous faut sortir de là par un ressaisissement, une démarche transitoire refondatrice et un véritable leadership : vers une République qui restaure les valeurs

Il nous faut sortir de là, chers compatriotes ! Républicain et juriste de formation, je suis très attaché à l’ordre constitutionnel de mon pays mais je sais aussi que lorsque la société connaît des mutations  et que les circonstances le commandent, il faut faire évoluer les lois même la fondamentale autrement dit notre Constitution et ce, dans un climat apaisé et consensuel. Quel que soit le vainqueur de la prochaine élection et que l’on aime ou non la formule, c’est vers une transition que nous nous dirigeons. C’est pour cela que d’ores et déjà, je nous invite à une véritable et courageuse démarche transitoire refondatrice de cinq ans avec des femmes et des hommes de dossiers particulièrement compétents : une équipe de personnalités intelligentes, désintéressées, rigoureuses dotées d’un vrai esprit de leadership pour mettre le Bénin sur les rails du développement et sur ceux d’une vraie démocratie où seuls les choix du peuple et les options qui nous sauvent comptent ; une démarche où les risques d’une confiscation de ces choix et de la liberté sont soigneusement évités éradiqués. L’aspiration commune doit être désormais celle d’un Etat de droit où tout le monde est au travail, courageusement, sincèrement, dans l’objectif d’une société prospère, solidaire, unie et forte. Il nous faut instaurer la République des valeurs qui fondent les grandes nations.

Ils sont nombreux les citoyens de ce pays qui peuvent servir de locomotive à une telle aspiration ; nous devons apprendre à les découvrir et à les écouter si nous sommes désireux des lendemains meilleurs qui mettront fin à nos souffrances communes. Ne nous leurrons pas : le vrai problème qui se pose à nous est celui de la bonne Gouvernance ;

–        comment bâtir de vraies institutions non pas calquées sur le modèle allogène mais sur nos réalités propres ?

–        Comment éradiquer la corruption qui détruit notre administration, plombe notre économie, mine notre société et même nos familles ?

–         Comment donner confiance en l’avenir à la jeunesse, principale composante de la population de notre pays : de quelles armes faut-il la doter afin qu’elle puisse avec assurance affronter les défis de demain ?

–        Comment nous affranchir d’une culture de palabre qui aura causé à notre société tant de dysfonctionnements dont nous payons chaque jour le prix ?

–        Comment réformer notre système éducatif et le rendre rigoureux, prospectif, afin que celui-ci soit mieux adapté à nos besoins en ressources humaines et aux besoins de modernisation de notre administration, de notre agriculture, de notre industrie et de notre artisanat ?

–        Comment  intégrer dans notre démarche nos valeurs culturelles, notre histoire sans folklore ridicule et donner au génie de nos artistes et autres créateurs tout l’espace nécessaire pour nous aider à réinventer, les solutions adaptées à notre être collectif ?

–        Comment réorganiser notre agriculture pour en faire un véritable instrument de développement durable qui tout en préservant notre sécurité alimentaire, favorise le développement des filières agricoles à haut potentiel d’exportation ?

–        Comment mettre en place n système de santé efficace, participatif, moderne et solidaire qui soit accessible à tous ?

–        Comment redonner confiance aux acteurs nationaux et étrangers du secteur privé, assainir leur espace d’action mais aussi leurs diverses corporations et créer toutes les conditions pouvant favoriser les investissements créateurs de richesses et d’emplois ?

–        Comment réinstaurer dans l’esprit des populations le goût du travail bien fait accompagné d’altruisme et de générosité ?

–        Comment redonner du sens aux mots honnêteté, humilité, rigueur, dévouement, charité ?

–        Comment réinventer le civisme et le respect des vraies valeurs qui bannissent la grossièreté, la violence, l’impunité, l’anarchie et dont le culte permanent a favorisé la naissance de sociétés prospères et équilibrées ?

Bâtir ensemble un BENIN NOUVEAU : un impératif de survie collective !

Telles sont les réflexions auxquelles je voudrais vous inviter tout en vous disant de garder à l’esprit que cela passe par le renouvellement des classes ou des cercles qui se sont imposés au fil du temps comme les seuls détenteurs du pouvoir et du devoir de diriger. Leurs actions et leurs expériences nous ont conduits à ces extrémités où tourbillonne le pire. Il est impératif que des voix s’élèvent pour rejeter ce fatalisme ambiant pour nous faire comprendre que ce ne sont pas les promesses mirifiques ou l’achat des consciences qui doivent compter pour notre peuple désorienté mais la recherche d’un autre avenir et l’engagement collectif pour un changement radical. Je suis convaincu que rien n’est perdu, car ce à quoi je nous invite, c’est à l’amour de la patrie ; l’amour qui construit et qui accomplit comme le disait pendant la Conférence nationale des forces vives de la Nation, un des pères fondateurs de notre démocratie, Mgr Isidore de Souza de vénérée mémoire. Allons vers ce qu’il y a de plus beau, de plus grand ! Ce n’est pas un rêve, c’est un devoir ; un impératif de survie, un préalable indispensable à la construction d’une grande nation.

Osons exiger des candidats qu’ils se prononcent sur des objectifs à long terme qui nous tiennent à cœur. Ayons le courage de nous prononcer sur les thèmes qu’ils ne manqueront pas de développer pour apporter nous aussi notre contribution à la construction politique d’un Bénin vaillant et immortel.

Proposons-leur de nouveaux chantiers de réflexion pour l’avènement d’un Bénin nouveau et exigeons d’eux un engagement ferme pour une  gestion transparente et rigoureuse où l’obligation de rendre compte ne souffre d’aucune exception !

Donnons-nous les moyens de bâtir ensemble le BENIN nouveau capable de résister aux aléas d’un monde où tout se mérite ! [1]

BONNE ET HEUREUSE ANNÉE 2011!!!

Porto-Novo le 1er Janvier 2011

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