Le syndicat africain des Chefs d’Etat en exercice est de retour. L’Afrique confrontée à de multiples crises politiques les unes plus complexes que les autres, les autres plus périlleuses que les unes, retournerait-elle dans les starting-blocks de la défunte mère de l’Union Africaine, la très peu regrettée Organisation de l’Unité africaine (OUA) ? Très peu regrettée de vous et moi, citoyens lambda, mais rappelée de tous leurs vœux par les chefs d’Etat et de gouvernement si jaloux de leur souveraineté sans cesse remise en cause par les avancées attendues de l’Union africaine.
Au nom du sacro-saint principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat. En près de quarante années d’exercice l’institution africaine s’est laissée scléroser par une agrégation de gouvernances despotiques et corrompues dans laquelle les uns se devaient de défendre les intérêts des autres pour bénéficier du même soutien en cas de nécessité. Les régimes sanguinaires d’Idi Amin Dada, Hissène Habré, Ahmed Sékou Touré, Gnassingbé Eyadéma, Mengistu Hailé Mariam, Jean Bedel Bokassa et tous les autres ont coulé de bien paisibles jours sans jamais que l’OUA ne s’intéresse d’assez près à ce qu’ils faisaient de leurs populations au plan intérieur. Et l’OUA est devenue avec le temps le fameux « syndicat des chefs d’Etat » dénoncé par les opinions publiques et les sociétés civiles tant nationales qu’internationales.
Nul besoin de faire semblant, l’optique première de la transformation de l’OUA en UA n’était pas de corriger ces problèmes. Mais des réformes en ce sens ont été envisagées et nombre de textes peuvent aujourd’hui servir de base juridique à ce que l’UA n’a pas osé appeler « droit d’ingérence », mais que l’on peut entendre comme « devoir de non-indifférence ». Peine perdue. Il n’est qu’à observer l’attitude de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union face aux crises majeures de ce début d’année sur le continent, pour s’en rendre à l’évidence.
Au premier chef, la crise en Côte d’Ivoire. Qui, posée dans son expression la plus basique oppose un chef d’Etat en exercice qui a perdu les élections présidentielles et refuse de le reconnaître, à son adversaire qui justement, les a gagnées. La machine décisionnelle de l’Union africaine sur cette crise fonctionne à retardement et même à rebrousse-poil. Aux premières heures du déclenchement de la crise postélectorale ivoirienne, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union a décidé de reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara et de suspendre de ses instances la Côte d’Ivoire. Ensuite seulement, décision a été prise d’envoyer un émissaire aux protagonistes de la crise. Thabo Mbéki n’a pas plus été écouté par Laurent Gbagbo que les émissaires de la CEDEAO envoyés et renvoyés à Abidjan sans fin. Le Premier ministre Kényan Raïla Odinga encore moins. Laurent Gbagbo n’a pas tardé à le récuser. Sans aucune réaction de la part de l’Union.
Depuis, c’est une marche forcenée à reculons qui s’est engagée. Dans la perspective du sommet de l’Union africaine de janvier 2011, le Président en exercice de l’institution panafricaine a rendu visite aux protagonistes de la crise ivoirienne dont son « frère et ami » Laurent Gbagbo qu’il n’a certainement pas pressé de rendre le pouvoir. Au surplus, le Conseil de paix et de sécurité vient de mettre en place un « panel de Chefs d’Etat » de toutes les sous-régions du continent pour étudier de fond en comble la situation afin d’apporter d’ici un mois « une solution africaine à une crise africaine ». Ce qui signifie concrètement que la CEDEAO, tenante d’une ligne dure impliquant si nécessaire le recours à la force contre Laurent Gbagbo, est partiellement déchargée du dossier. En sus, ce que l’Union africaine appelle « une solution africaine » ne porte que les germes d’une solution saugrenue.
Enfin, il faut croire que le discours nationaliste de Laurent Gbagbo porte ses fruits. En effet, on a entendu le Président de la Commission de l’Union africaine s’étonner du fait que, face à un problème africain, les premiers à se prononcer et à prendre les mesures les plus hardies ne soient pas des Africains. Après les présidents gambien, angolais, ghanéen et sud-africain, c’est au tour de l’Ougandais Yoweri Museveni de se démarquer. Les rangs des partisans de la ligne dure s’éclaircissent donc de plus en plus. Ce qui ne risque pas d’accélérer le processus de passation de pouvoir au pays des Eléphants. D’autant plus que le prochain président en exercice de l’union, c’est l’angolais Jose Eduardo Dos Santos.
L’Union africaine est dans les fers de son histoire. L’héritage de ses dirigeants solidaires dans le mal et dans le pire. L’institution ne s’est pas félicitée de la chute du régime dictatorial de Ben Ali en Tunisie. Face à la situation en Egypte, elle ne proclame que sa « préoccupation » tandis que les puissances extérieures parmi les plus intéressées par la stabilité du pays, n’hésitent pas à appeler à des réformes structurelles. Comme une chape de plomb, un silence gêné résonne de partout sur le continent.
De toute évidence, pas grand’ chose n’a changé dans la gouvernance internationale sur le continent africain. La démocratisation de l’Afrique par les dirigeants africains attendra.
Photo du président de l'union africaine: S.E. DR. BINGU WA MUTHARIKA, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU MALAWI