Egypte : le syndrome tunisien ?

L’Egypte de Gamal Abdel Nasser, d’Anouar Ibrahim El-Sadate et de Hosni Moubarak sera-t-il le deuxième pays maghrébin frappé par la révolution internet ? Quelles sont les chances des jeunes émeutiers égyptiens d’éditer chez eux l’exploit de leurs voisins de l’ouest ? Le pouvoir Moubarak a-t-il véritablement les moyens de tenir face à une éventuelle amplification de la colère de la rue ? Depuis en tout cas que, sans crier gare, le Président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali a pris la poudre d’escampette le 14 janvier dernier, laissant s’effondrer un système vieux de plus de 23 années, tout le monde maghrébin attend la révolution d’après. Ce sera peut-être ici. Ou pas. Révolution. Changement. Transmutation. Ce que la jeunesse tunisienne a réussi à réaliser en quelques semaines de soulèvement, de manifestations et d’émeutes a créé une véritable onde de choc dans tous les pays du monde arabo-musulman où jamais, un tel événement ne s’était produit auparavant et surtout pas dans le même dessein émancipateur. Le silence troublé des dirigeants voisins de la Tunisie et les condamnations premières venues du picaresque Guide libyen Mouammar Kadhafi, confirment bien cette inquiétude née dans les palais présidentiels et royaux. Au contraire, la rue maghrébine a répondu par une immense clameur. Venue des gorges et des cœurs. Un espoir est né. Le changement n’était plus impossible. Une voie avait été tracée. Par les immolés. Par Mohamed Bouazizi. La voie du feu, la voie du sacrifice, la voie du martyr.

Ainsi, il n’a pas fallu bien longtemps pour voir le Maghreb arabe s’embraser. Et ses jeunes consumer. En Algérie, en Mauritanie, en Egypte. Et ce, devant des institutions symboliques. Symboles du pouvoir, symboles du joug, symboles de l’oppression. On comptait les morts en attendant que les vivants ne se décident à réagir. Et ils réagissent enfin. En Egypte. Des dizaines de milliers de manifestants ont pris d’assaut les rues de Suez, d’Alexandrie et du Caire dans la journée du 25 janvier 2011. Inédit. Ils criaient leur ras-le-bol du gouvernement Moubarak et réclamaient la démission du Raïs. Deux mois seulement après des élections législatives qui ont consacré la victoire sans partage du parti au pouvoir et de ses alliés. Il est vrai que la participation n’y était que de 27%, selon les chiffres officiels. C’est-à-dire beaucoup moins dans la réalité.

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Mais si l’Egypte subit aujourd’hui les assauts de la rue, faisant craindre à terme la répétition du scénario tunisien, les mêmes causes produisant les mêmes effets, tout ne milite pas en faveur de la chute d’Hosni Moubarak et de son pouvoir trentenaire. Premier obstacle à la colère de la rue égyptienne, Ben Ali. Son cas a fait école. Les circonstances de sa chute, sa fébrilité des derniers instants, sa lâcheté. Le raïs égyptien essaiera de ne pas lui ressembler. Autre obstacle, la machine de répression du système. Elle ne risque pas de se laisser déborder facilement. Il faudra compter bien plus de morts qu’en Tunisie pour espérer renverser le régime. Les émeutiers égyptiens ont également contre eux des alliés encombrants : les Frères musulmans. Confrérie islamiste fortement implantée en Egypte où elle a été tolérée pendant de nombreuses années, elle ne rassure pas quant à ses ambitions de faire du pays une république islamiste. De ce fait, elle est assez mal vue par une communauté internationale qui, après s’être laissée surprendre par la chute de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie, suit du plus près possible l’évolution de la situation dans les autres pays du Maghreb. D’autant plus que l’Egypte, voisin de l’Etat d’Israël et de la bande de Gaza, territoire palestinien sous contrôle des islamistes du Hamas, ne doit en aucun cas tomber dans l’escarcelle d’un pouvoir hostile à l’Etat hébreu. Enfin, le Caire est une ville de très grande agrégation démographique. Face aux 16 millions d’habitants que compte la capitale égyptienne, les quelques dizaines de manifestants qui défilent apparaissent comme une goutte d’eau dans la mer. De l’eau néanmoins à forte concentration de couleurs, susceptible à tout le moins de contaminer la grande masse demeurée jusque-là indolente, mais pas franchement opposée au changement.

La révolution, si elle doit se faire en Egypte, se fera « sous mandat international ». Les Etats-Unis d’Amérique, Israël, la France, la Chine, aucune puissance internationale n’a intérêt à ce que le régime Moubarak chute sans que les lignes de l’avenir ne soient tracées et bien claires. L’Egypte n’est pas la Tunisie. Ce n’est pas tant pour l’amour d’Hosni Moubarak ou de son fils Gamal en lice pour lui succéder, mais bien sûr par intérêt stratégique. Et si la submersion devait quand même arriver, tout sera mis en œuvre pour garder les Frères musulmans hors de l’arène politique.

Le malaise maghrébin est le même, de la pointe Est à la pointe Ouest de l’Afrique du Nord. L’Egypte aura peut-être sa révolution, mais les rues de Suez, Alexandrie et le Caire ne sont pas encore assez chauffées pour cela. Et ne le seront peut-être jamais. Nous attendons de voir, le Maghreb retient son souffle.

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