Elections de 2011 au Bénin : l’heure est grave, il faut discuter !

Les jours s’égrènent inexorablement. Lentement, mais sûrement, nous nous acheminons vers le 27 Février 2011, date à laquelle le Président de la République a convoqué le corps électoral pour le premier tour du scrutin présidentiel de 2011 au Bénin. Si cette date a l’heureux mérite d’être comprise dans les délais prévus par l’article 47 de la Constitution du 11 Décembre 1990, un état des lieux de la situation à ce jour laisse à tout observateur et analyste politique sérieux et objectif, comme un sentiment de grande incertitude et de profond malaise.

Car, toutes proportions gardées, sans vouloir verser ni dans un pessimisme de mauvais aloi, ni dans un optimisme béat, il convient d’envisager en toute lucidité toutes les éventualités auxquelles nous pourrions assister dans les prochaines semaines, au regard de certains des textes de loi devant régir la prochaine élection présidentielle au Bénin.

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La loi 2010-33 du 07 Janvier 2011 portant règles générales pour les élections en République du Bénin

Après moult rejets par la Cour Constitutionnelle et suite à une énième mise en conformité par l’Assemblée Nationale, cette loi a finalement été déclarée conforme à la Constitution par la Haute Juridiction et promulguée par le Président de la République le 07 Janvier 2011. Ce texte devient donc désormais le cadre général dans lequel devront s’organiser – jusqu’à sa prochaine remise en cause, bien entendu – les élections en République du Bénin. A la lecture de cette loi, quelques observations méritent d’être faites :

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–         Aux termes de l’article 33 alinéa 1, « la déclaration de candidature est déposée, trente (30) jours avant la date fixée pour le démarrage de la campagne électorale à la Commission électorale nationale autonome ou à l’un de ses démembrements : Commission électorale départementale ou Commission électorale communale qui doit la transmettre sans délai à la Commission électorale nationale autonome ». Or, aux termes de l’article 37 de la même loi, la campagne électorale dure quinze (15) jours et s’achève la veille du scrutin à zéro (00) heure, soit vingt-quatre (24) heures avant le jour du scrutin. Le corps électoral étant convoqué pour le 27 février 2011, la campagne doit donc démarrer quinze jours (15) avant, soit le 11 février 2011 à zéro (00) heure. Dire que les déclarations de candidature doivent être déposées à la CENA ou à ses démembrements trente (30) jours avant le démarrage de la campagne, revient à dire qu’elles doivent être faites trente (30) jours avant le 11 février 2011, soit le 11 janvier 2011. Or à la date du 17 janvier 2011, ni la CENA, ni ses démembrements ne sont encore installés.

–         L’article 4 alinéa 1 dispose que : « L’élection a lieu sur la base d’une liste électorale permanente informatisée (LEPI) ».

–         Contrairement aux précédentes lois portant règles générales pour les élections en République du Bénin, aucune disposition transitoire ne précise la liste à utiliser au cas où la LEPI ne serait pas disponible dans les délais légaux.

 

La loi 2009-10 du 13 Mai 2009 portant organisation du RENA et établissement de la LEPI

Il convient de préciser ici également que cette loi a été déclarée conforme à la Constitution par les Sages de la Cour.

Il est vrai que nous n’avons jamais cessé d’attirer l’attention sur les imprécisions, contradictions et incohérences contenues dans ce texte. Il n’en demeure pas moins que, votée par les députés, déclarée conforme à la Constitution par la Cour et promulguée par le Chef de l’Etat, elle est désormais le seul instrument juridique opposable à tous en la matière. Dura lex, sed lex, dit la maxime. Quelles observations peut-on faire ici?

–         L’article 31 in fine prévoit que « La liste électorale permanente informatisée doit être établie  au plus tard soixante (60) jours avant la date du scrutin ».

–         Aux termes de l’alinéa 4 de l’article 5 « en période électorale, le recours dans le cadre de contentieux relatif à la LEPI est recevable au plus tard dans les quinze (15) jours précédant la date du scrutin ». Autrement dit, tout recours relatif à la LEPI sera frappé d’irrecevabilité s’il n’est pas introduit avant le 12 février 2011, vu que le corps électoral est convoqué pour le 27 février 2011. Or, faut-il le rappeler, se fondant sur l’article 65 de cette même loi, la CPS/LEPI a décidé de proroger les délais et de poursuivre les opérations devant aboutir à l’établissement de la LEPI jusqu’au 15 février 2011. Ce qui revient à conclure que la LEPI qui sera livrée par la CPS le 15 février 2011 ne sera susceptible d’aucun recours.

–         Aux alinéas 3 et 7 de l’article 34, on lit respectivement : « Le centre de distribution des cartes d’électeur est ouvert pendant quinze (15) jours ininterrompus de huit (8) heures à dix-huit (18) heures. » et « A l’installation de la Commission électorale Nationale autonome, une nouvelle distribution est organisée par celle-ci sur une période de huit (8) jours. ». Ce qui fait une durée de vingt-trois (23) jours au moins pour l’opération de distribution des cartes. La CPS/LEPI ayant prévu de faire un dernier ratissage pour enregistrer les retardataires jusqu’à la fin du mois de janvier, il est difficile d’imaginer par quelle alchimie les cartes d’électeur seront distribuées avant le 11 février 2011, jour du démarrage de la campagne électorale. Car, même si aucun texte ne le dit expressément, envisager la distribution des cartes d’électeur en période de campagne est un facteur potentiel de risques tant de fraude que de sabotage.

Au vu de tout ce qui précède et toute simulation faite sur la base de ces deux lois, il apparaît d’une part que le délai légal pour le dépôt des candidatures pour la présidentielle est déjà compromis et d’autre part, que la disponibilité à temps d’une LEPI même controversée est plus qu’aléatoire. Sur ce dernier point, nous ne voulons d’ailleurs pour preuve que la déclaration du Superviseur Général de la CPS/LEPI qui, répondant le 16 janvier 2011 au journaliste qui lui demandait si la LEPI sera prête pour le 15 février 2011, a répondu ceci : « Nous sommes tenus de prendre toutes les dispositions pour être prêt, sauf cas de force majeure« .

Il faut ajouter à cela que la CENA qui doit organiser l’élection n’est toujours pas installée et que lorsque cette installation interviendra, il faudra décompter avant de passer aux choses sérieuses, le temps qui sera consacré aux préliminaires comme : l’étude et l’adoption du règlement intérieur, l’élection des membres du Bureau de la CENA, la désignation des coordonnateurs départementaux, la mise en place des comités techniques et comités ad’hoc, l’élaboration et l’adoption du budget par la CENA, les discussions avec le MFE pour arrêter le budget, la mise à disposition des fonds par le MFE, la mise en place de la logistique de démarrage des activités (location de véhicules, immatriculation, recrutement du personnel, …), la confection et la commande des récépissés provisoires et définitifs de dépôt de candidature, etc.

Doit-on, à quarante jours d’une élection présidentielle, continuer de nager dans le doute et l’incertitude ?

Assurément, non. Il convient plutôt de réfléchir aux solutions idoines pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes entrain de nous engluer.

Ces solutions doivent forcément partir de deux postulats :

1°) Il faut absolument respecter les délais constitutionnels, car ne pas le faire équivaudrait à « enterrer » la Constitution, et donc ouvrir la porte à toutes sortes de dérives qui engageraient notre pays dans une aventure aux lendemains inconnus ;

2°) Il faut garantir à tous les électeurs le droit de voter et donc de s’inscrire sur la liste électorale, conformément à la Constitution du Bénin, à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et à tous les autres textes internationaux subséquents.

Ces postulats posés et vu que, conformément aux textes régionaux et internationaux dont le Bénin est signataire, les textes électoraux ne peuvent plus être révisés six mois avant les élections, sauf si un consensus est réalisé, il apparaît clairement que la seule arme viable et acceptable demeure celle du dialogue.

Nous en appelons donc à la prise de conscience par tous les Béninois de la situation inédite vers laquelle nous évoluons et demandons vivement à tous les acteurs politiques d’en tirer toutes les conséquences pour organiser sans délai des assises au cours desquelles les modalités de déroulement d’élections pacifiques et transparentes dans les délais constitutionnels seront retenues. L’initiative de cette rencontre doit provenir du Chef de l’Etat qui est le garant du respect de la Constitution, de l’unité nationale et de la paix dans notre pays.

Toute autre attitude ne serait que politique de l’autruche et fuite de responsabilité dont chacun devra répondre le moment venu devant l’Histoire.

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