Au sommet de l’Etat, les erreurs à répétition ce sont des fautes

Introduction : En ce moment-là, le Changement commençait à montrer ses inquiétantes limites, par la faute exclusive de son promoteur. Un livre à sa gloire avait « opportunément » pour titre : « L’INTRUS QUI CONNAISSAIT LA MAISON ». L’envie était donc très forte de répliquer à Edouard Loko, auteur de l’ouvrage louangeur : « Tu parles !… »
Parmi les nombreux titres qui fleurissent en ce moment, peu ou prou à la gloire de Boni Yayi, il y en a un qui laisse entendre que son irruption sur la scène politique nationale, et d’emblée dans le rôle d’acteur principal ne devrait pas être une surprise : c’était un intrus qui, est-il dit, connaissait la maison. C’est possible ; mais rien ne peut m’empêcher, moi, de penser que cet intrus qui connaissait si bien la maison avait quelques lacunes dans la connaissance des lieux : de toute évidence, il n’avait pas cru devoir visiter la chambre à coucher, là où se concoctaient les pourritures de la République. On comprend qu’à propos desdites pourritures, il donne aujourd’hui l’impression  d’être un peu perdu.

Or, quand on parle pourritures au Bénin, la filière des véhicules d’occasion mise à part, les plus immondes et les plus malodorantes étaient celles concernant le coton. Et malgré le Changement, les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé de ce côté-là. Comme hier, autour et dans le coton national, c’est toujours le règne des anomalies, des irrégularités, des errements, des dérives et turpitudes en tous genres. Et dans cet univers noir de l’or blanc, comme a dit l’autre, Boni Yayi donne l’impression de s’en faire voir de toutes les couleurs et par conséquent, de naviguer dans le brouillard.

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Inutile que je revienne ici sur les détails des diverses péripéties, les valses hésitations, les remises en cause et autres annulations de décrets gouvernementaux, qui ont jalonné et le processus de privatisation de l’outil industriel de la SONAPRA et celui de la création de la SODECO, la nouvelle société cotonnière. Ce qu’on peut retenir, c’est que tout ceci n’est glorieux ni pour le gouvernement ni pour la nation ni pour le président lui-même.

Pas glorieux pour le gouvernement ! A ce propos, je ne peux que reprendre à mon compte la formule rigolote de Maître Adrien Houngbédji, formule qui a donné tant d’urticaire aux thuriféraires du président : « Un gouvernement, ça ??? C’est un gouvernement ventilateur ! » De fait, il serait difficile de dire que dans la conduite de ce dossier, le gouvernement a fait preuve de sérieux, de sagacité et de rigueur.

Mais il y a plus grave : des ministres n’ont pas hésité à étaler au grand jour les divergences au sein de l’équipe gouvernementale ; cependant, tant que la chose restait au niveau du lynchage concerté de l’un d’entre eux – que l’on chargeait volontiers de tous les péchés d’Israël, pour des raisons plus ou moins connues – on pouvait la mettre au compte des traditionnelles vacheries en politique. Hélas !, les divergences en question avaient parfois pris d’inquiétantes tournures régionalistes. A ce niveau, il convient de rendre justice à la presse nationale ; autant elle a participé au lynchage de Pascal Irénée Koupaki, autant elle a, presque à l’unanimité, désavoué avec fermeté les dérapages des ministres aux inclinations régionalistes. Nous serions bien avancés en effet si, avec tous les problèmes que nous avons déjà dans le pays, il fallait encore y ajouter des antagonismes régionalistes d’une autre époque.

La conduite erratique du dossier par le gouvernement n’est pas glorieuse pour la nation, ai-je dit. Une telle conduite erratique se rapportant au coton, à l’ère du changement, c’est un très mauvais signal envoyé aux Béninois : ceux-ci savaient que sous le Général, tout, absolument tout avait été possible dans cette filière ; et ils avaient, à des degrés divers, eu de l’affliction et de la rage de voir l’Etat de leur pays protéger de véritables prédateurs dans les entreprises systématiques de prédation de ceux-ci. Ils étaient donc en droit de penser que faute de faire rendre gorge aux prédateurs passés et connus, le gouvernement dit du Changement aurait à cœur de mettre, une fois pour toutes, de l’ordre dans la filière réputée être la toute première de l’Economie nationale. Malheureusement, même le gouvernement du Changement se révèle incapable de remettre les choses dans le droit chemin, et de tenir définitivement les prédateurs en respect.

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A ce stade, je ne puis m’empêcher de me souvenir qu’à une certaine époque, non loin du terme de son dernier mandat, le Général avait mis en demeure – une fois de plus ! – certains d’entre les prédateurs qui s’entêtaient à ne pas rembourser ce qu’ils devaient au coton national. C’étaient les sieurs Amédéo Adotévi –  83 millions de francs Cfa ; Alphonse Babadjidé –  103 millions ; Victor Quenum –  123 millions ; Ananie Abimbola – 135 millions ; François Comlan – 305 millions ; Francis da Silva –  451 millions ; Tadjou Akadiri –  454 millions ; Gilbert Bebol –  462 millions ; Pacôme Adiba –  471 millions ; Moïse Adéossi –  936 millions ; Kasmal Kashamu –  1 milliard 622 millions ; Séfou Fagbohoun – 1 milliard 775 millions ; Aboubacar Mama Sanni –  1 milliard 934 millions ; et Martin Rodriguez, le champion toutes catégories si j’ose dire, 8 milliards 700 millions. Soit un total global de 16 milliards de francs Cfa !!!

La question qu’on ne peut s’empêcher de se poser aujourd’hui est de savoir si cette énième et ultime mise en demeure du Général avait eu quelque résultat à l’époque ; sinon, qu’est-ce que l’Etat du Changement a fait pour récupérer cet argent, étant donné qu’il appartient à la Nation et qu’il ne saurait être question qu’il reste indéfiniment dans les poches des prédateurs ?

On me dira, je sais, que ces 16 milliards ne sont que de la menue monnaie, en comparaison des sommes colossales détournées dans la Filière des années durant. De la menue monnaie, un peu comme cette inénarrable embrouille d’une vingtaine de milliards, dont je me souviens toujours avec une stupéfaction admirative, à cause de l’audace incroyable des protagonistes de l’époque. Je vous raconte rapidement l’histoire : ulcérés de ne pas se faire rembourser l’argent qui leur était dû, des cotonculteurs avaient organisé une manifestation tapageuse devant leur ministère de tutelle. Le gouvernement s’affola devant cette tapageuse détermination et, pour faire face dans l’urgence à la situation, demanda à un consortium de banques d’avancer vingt milliards à la société cotonnière. Ce qui fut fait.

Le deal était que dans l’intervalle, la société cotonnière devait récupérer les milliards chez ses débiteurs, pour honorer les engagements de l’Etat vis à vis du consortium des banques. Scénario limpide, en principe. Or, à l’échéance, personne n’avait récupéré le moindre milliard chez les débiteurs. Les banques se faisant insistantes pour recouvrer leur argent, l’Etat ne trouva d’autre moyen que de faire établir des bons du Trésor à leur profit. Ce fut donc le Trésor public qui paya finalement les milliards empruntés. Mais, on s’en doute, si elle s’était arrêtée là, cette histoire n’aurait eu aucun intérêt. Le clou, en effet, était que les milliards pris chez les banquiers disparurent dans d’étranges circuits opaques, et qu’au final, les malheureux cotonculteurs ne furent pas payés. Ce sont ces malheureux-là que Boni Yayi dut payer en catastrophe l’année dernière, à la veille de la campagne cotonnière, afin de sauver celle-ci.

Magnifique !… Voilà une réalité qui dépasse la plus folle des fictions. Si vous avez bien suivi le film, des gens doivent de grosses sommes aux agriculteurs pendant trop longtemps ; ceux-ci finissent par hurler leur ras le bol et contraignent l’Etat à emprunter de l’argent auprès des banques pour les rembourser, en attendant que les débiteurs restituent ce qu’ils doivent, afin que les banques soient remboursées. A l’échéance, les débiteurs n’ayant pas libéré le moindre centime, c’est encore l’Etat qui est contraint de payer par Bons du Trésor interposés ; dans l’intervalle, les agriculteurs n’ont même pas vu la couleur des milliards empruntés pour eux auprès des banques. Les pauvres agriculteurs finissent par hurler leur désarroi et rage à nouveau. Ce qui contraint l’Etat à les payer enfin, cette fois-ci rubis sur l’ongle. Avec un peu d’humour (il en faut, dans cette affaire), on ne peut que faire chapeau bas : salut !, les artistes…

Le problème, c’est que le sens de l’humour du Béninois ne subsiste plus qu’à l’état résiduel : après avoir été gavé des ignominies liées au coton sous Mathieu Kérékou, il ne lui est plus possible de goûter aux fantaisies actuelles sous Boni Yayi.

Je ne disais d’ailleurs pas autre chose en affirmant que la constitution de la SODECO, conséquence de la privatisation erratique de l’outil industriel de la SONAPRA, n’est pas très glorieuse pour le président. La chose ne m’étonne pourtant qu’à moitié : depuis son avènement à la tête de l’Etat, Boni Yayi semble s’être donné comme ligne de conduite une absence de méthode et de pondération, qui font que les grands dossiers de l’Etat sont invariablement soumis à de curieuses péripéties, d’incessantes valses hésitations, des retours précipités à la case départ, des remises en cause et autres annulations spectaculaires de décisions gouvernementales.

Mon problème, c’est que si la chose peut être objet d’indulgence à propos des dossiers d’importance mineure, cela devient insupportable, que dis-je, impardonnable quand il est question de dossiers majeurs, comme celui du coton.

Cette approche approximative dans la gestion des dossiers majeurs de la nation ne peut pas continuer, pour la marche en avant du pays et surtout pour la crédibilité du Chef de l’Etat. Certes, ses thuriféraires – toujours eux ! – affirment qu’à sa décharge, il reconnaît toujours ses erreurs et procède volontiers aux corrections, souscrivant au principe selon lequel il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Je serais d’accord avec eux si je n’étais convaincu qu’à ce niveau de responsabilité, où le sort de toute une nation est engagé, les erreurs, plus que des erreurs, sont des fautes. Par ailleurs, si effectivement, ce n’est pas faire preuve d’une grande perspicacité que de s’entêter à ne pas changer d’avis, changer d’avis sans arrêt par contre ne peut pas être considéré comme la manifestation d’une intelligence supérieure.

Je suis d’accord qu’un président n’est qu’un homme, après tout ; donc susceptible de commettre des erreurs sur lesquelles s’il revient, a du mérite et surtout de la sagesse. Hélas !, un homme dont les décisions conditionnent l’existence de millions d’autres, ne peut pas être un homme comme les autres, un homme comme vous et moi. Toute littérature autre que celle-là, c’est du communisme, ni plus ni moins.

C’est ce que je crois.

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