Crises maghrébines : Orage de sang au cours du « printemps libyen »

En sera-t-il de Benghazi comme de Sidi Bouzid ?  La petite bourgade tunisienne dont le désormais célèbre martyr Mohamed Bouazizi était originaire, serait-elle en passe de communiquer le fiel de la révolte victorieuse à la deuxième ville de Libye ? Rien n’est en tout cas moins sûr. Tout a commencé quand on a fermé des commerces de Benghazi comme on a saisi les marchandises de Bouazizi et de ses compagnons dans la rue. Bien sûr, la Libye n’était plus dans la posture de l’attentisme. Deux sombres dictateurs étaient déjà tombés par delà les frontières. Contre toute attente. Et avec les regrets du Guide. La Libye attendait son heure. Sa révolution. Il n’en aura pas fallu plus. Benghazi a pris feu. Très vite. Suivi du reste du pays. Mais Tripoli n’est pas Tunis. La Libye n’est pas l’Egypte. Et le clan Kadhafi n’entend pas connaitre le sort des Ben Ali et autre Moubarak.

Le « printemps arabe » n’épargne plus un seul monceau de terre de ce monde arabe resté si longtemps inaccessible à tout rêve de démocratisation. Les plus réputés penseurs de l’Orient arabe en sont arrivés à conceptualiser l’avenir de cette région sans jamais tenir compte de l’avis que pourraient exprimer les peuples. Trop d’apathie. Trop de soumission. Trop d’alignement sur les positions officielles. Les opinions publiques arabes n’existaient pas. Sauf quand c’est pour manifester contre le diktat des Etats-Unis dans le conflit israélo-palestinien. Ou crier haro sur un caricaturiste danois qui ose représenter le Prophète Mahomet avec un turban et une bombe sur la tête. Bref, pour se dresser contre les perversités du monde occidental.

Ce temps est révolu. Les peuples arabes avaient bien de choses à faire savoir. Bien de désirs de liberté à exprimer. Bien de répulsion de la misère à crier. Et désormais, ils le font. Partout. En toutes circonstances. Face aux forces de police. Face aux forces armées. Face aux Chefs d’Etat despotes. Face aux Souverains tyranniques. Et même face au « Roi des Rois traditionnels d’Afrique », le Guide de la Grande Jamahiriya, arabe et socialiste : le Colonel Mouammar Kadhafi en personne. Bien mal en a pris à ceux qui pensaient que cela ne risquait pas d’arriver. Ceux qui pensaient que les 42 années de pouvoir du Guide ne finiraient jamais par lasser les Libyens. C’est arrivé. Et cette fois-ci, le régime n’a pas eu le temps d’indexer les étrangers résidant en Libye comme étant les « voleurs d’emploi », les empêcheurs de se développer en paix. La misère, si elle ne porte pas exactement le même nom dans ce pays, touchait quand même une certaine partie du peuple. Et l’absence de libertés fondamentales était suffisamment étouffante pour accumuler les rancœurs qui explosent dans les rues de Benghazi, Darna, Kabarka, Al-Beïda, … et désormais Tripoli.

En face, Kadhafi se mure dans le silence, non sans se laisser entendre. C’est son fils Seïf Al-Islam qui donne de la voix. D’un ton ferme. Les « saboteurs » sont identifiés. Ils sont pour la plupart étrangers.  Il ne pouvait s’agir que d’étrangers à la solde de nations ennemies d’ailleurs. Avec bien sûr leurs complices au sein de l’Etat. Ils sont menacés d’extermination. Dans des « rivières de sang ». Jusqu’à la dernière balle du système. Pour avoir voulu attenter aux quatre piliers du régime : l’intégrité territoriale, la sécurité nationale, la religion d’Etat et bien entendu le Guide Mouammar Kadhafi. Et la machine de répression du système s’emballe. Tourne à plein régime. Ecrasant toute contestation sur son passage, elle macule les rues de sang, les nettoie des larmes et jette les corps dans des fosses communes. C’est la plus féroce répression depuis que les révoltes ont commencé dans le monde arabe. Ici, elle prend des proportions tragiques. La guerre civile perçue par Seïf facilite le travail de répression. Les villes récemment prises par les manifestants seront des cibles privilégiées et non discriminées. Si elles ne le sont déjà. Et dans ces circonstances, rien ne garantit que le sort de Zine El-Abidine Ben Ali et de Hosni Moubarak sera celui des Kadhafi. Trop étroitement liés à l’armée. Autant que l’était Moubarak, direz-vous ! A la différence que l’armée libyenne participe déjà à la répression. Ce que les soldats égyptiens n’ont pas vraiment fait.

En tout état de cause, il ne fait plus bon de jurer du sort des régimes politiques en crise à la tête des Etats arabes. Tous peuvent tomber. Même celui de Mouammar Kadhafi malgré la férocité de la coercition. L’asservissement de près d’un demi-siècle a fini par exaspérer les peuples arabes. Le réveil ira à son terme. Le sang des Libyens finira peut-être par emporter le Guide. Mais pour cela, les révolutionnaires ont besoin de soutien. C’est dans ce type de situation que le devoir d’ingérence ou tout au moins le « devoir de non-indifférence » prend tout son sens. N’en déplaise aux pseudo-nationalistes africains que je vois d’ici se préparer à gloser. Mais qui osera apporter son aide aux Libyens ? Les nations occidentales angoissées à l’idée de voir encore flamber les cours du brut à l’aune de cette crise ? Ou les chefs d’Etat africains soucieux de ne pas voir tarir leur source de pétro-dinars ? Qui ?

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