Crises politiques en Afrique : jusqu’à l’érosion de l’image du chef

L’Afrique vomit ses chefs. Ses chefs d’Etat. Ses chefs traditionnels. Ses rois. Du Maghreb au Sahel. De la corne au cap. Le séculaire culte de la personnalité qui a historiquement marqué les relations entre les souverains africains et leurs sujets s’en va laisser place à de l’indifférence quand ce n’est pas tout simplement de la défiance. La faute à ce système démocratique en pleine expansion qui veut faire de chaque homme l’égal de l’autre. Du chef, le serviteur de ses sujets. L’image du chef en Afrique est une vision de prestige. Une image de noblesse. Le symbole de la grâce. Cette caricature émane de notre histoire, de celle de nos royautés et de l’ascendant que les souverains, autocrates ou nobles, pouvaient avoir sur leurs peuples. Cette caricature procède également de la soumission presque naturelle que les sujets pouvaient avoir vis-à-vis de leurs souverains. Ceux en en tout cas avec qui ils partageaient tribu, ethnie, origine. Pas les conquérants. Cette caricature procède également de nos traditions. Les chefs, rois et autres souverains étaient en effet les interlocuteurs privilégiés des dieux ; la courroie de transmission entre les peuples et leurs protecteurs divins. La « mission civilisatrice » de l’homme blanc (qui a consisté plus à nous humilier et nous exploiter qu’à nous émanciper) n’a pas changé grand-chose à cette pratique dans un premier temps. L’allégeance du sujet à son chef de clan, de village, de royaume s’est peu à peu déportée au Chef de l’Etat. Il y avait désormais une raison de se soumettre, parfois faisant contre mauvaise fortune bon cœur, à un maître avec lequel les liens de sang étaient loin d’être évidents : il règne sur tous dans un Etat unitaire. Fi de la force de coercition dont il peut disposer à travers l’armée et qui peut lui permettre de s’assurer la soumission du peuple. Ce qui ici importe, c’est l’allégeance volontaire et non la subordination imposée.

De fait, l’image du dirigeant africain a longtemps paru consensuelle, policée. Jusqu’à ce qu’une première dégradation survienne à l’aulne de la démocratisation à pas de charge au début des années 1990. Cette époque fut éprouvante pour les Chefs d’Etat et de gouvernement africains. Habitués à voir danser et chanter les populations (instrumentalisées ou non) à chacune de leurs sorties, ils se sont surpris à devoir subir désormais les huées, les jets de projectiles, les désaveux publics. La faute à une gouvernance autocratique, une corruption généralisée, un échec cuisant au plan socio-économique… Le chef qui affame et tue son peuple a forcément une image qui s’effrite et s’écorne. Mathieu Kérékou, Mobutu Sese Seko, Félix Houphouët-Boigny et les autres l’ont appris à leurs dépens. Désormais, la démocratisation (et non la démocratie) allait désormais configurer le système de perception de leurs dirigeants par les peuples. Peu réussirent l’exercice. Au Bénin, Mathieu Kérékou a su tirer son épingle du jeu. Ailleurs où la démocratisation a pris corps, il aura fallu plus de mal pour déloger les caciques. L’image du chef a pris du temps pour se restaurer sous les tropiques, mais cela a fini par se faire. Avec bien sûr les inévitables disparités qu’il peut y avoir d’un Etat à un autre, d’une région à une autre.

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Aujourd’hui, c’est une nouvelle étape de la dégradation de l’image du souverain que le continent a entamé. Depuis la fin de l’année 2010, une phénoménale crise politique touche le monde arabo-musulman. Les chefs d’Etat et de gouvernement dans cette partie du monde étaient pourtant réputés comme parmi les plus puissants, dirigeant des peuples complètement acquis à leurs causes et à leurs personnes. Deux d’entre eux ont même dû « dégager ». Victimes de la colère de la rue et de leur gestion despotique de l’Etat. D’autres se démènent pour sauvegarder leurs intérêts. Les uns à travers de grandes concessions, un autre dans les « rivières de sang » qu’il a promis aux « rats » qui ont ainsi osé le défier. De toute façon, c’est le mythe de la toute puissance des derniers dirigeants les plus puissants de la planète qui est en train de s’écrouler. Les peuples n’ont plus peur de dire, d’affronter, de mourir. Le chef n’est plus un dieu. Et si les chefs les plus puissants peuvent se voir ébranlés, nul autre ne mérite plus d’être porté sur un piédestal.

Il y a, dans la démocratisation du monde les germes de la dissolution du culte du chef. L’Afrique, en retard dans l’expression du droit à l’autodétermination politique de ses peuples ne fait que commencer à l’éprouver. Mais quoi qu’il puisse en être, il devra subsister un pan de respectabilité du chef traditionnel (au moins lui), comme héritage de notre histoire et de notre culture. Mais il semblerait bien que le Bénin, de cette voie, par les temps derniers s’éloigne. Par la force de l’argent et la persuasion du gain facile. Garde !

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