De sa cellule à Akpro-Missérété, dans l’Oueme-Plateau, l’homme ne veut pas s’avouer vaincu. Il tient à se battre jusqu’à son dernier souffle. Convaincu, qu’il est, de sa bonne foi, le magistrat Constant Amoussou, ex-procureur général près la Cour d’Appel de Cotonou, perçoit aujourd’hui, mieux que quiconque, avec le recul du temps les nombreuses «astuces et subtilités mises en œuvre par le pouvoir» en place pour l’impliquer dans cette histoire dont les rebondissements restent à venir. Dans la droite ligne de la démarche de quelques autres protagonistes de l’affaire ICC-Services, pour certains déjà en liberté, ce «gros morceau dans la nasse» a fini par produire ses mémoires dont nous nous sommes procurés une copie authentiquement originale, écrite de la main de son auteur. Au même titre que les autres, ils sont ici publiés in extenso. Et la méchanceté dénoncée y contenue fait froid dans le dos.
Lire le texte
«La preuve que le président de la République, le Docteur Thomas Boni Yayi est le promoteur d’ICC-Services et essaie d’instrumentaliser la Cour Suprême pour me condamner.
Depuis mon implication de force et ma mise en détention dans une affaire dite du scandale d’ICC Services dont j’ignore tout, le comportement des Hauts Magistrats de la Cour Suprême qui ont sa gestion en charge n’a de cesse de m’intriguer.
Ce comportement qui semble en effet être celui du refus de dire strictement le droit ne peut qu’intriguer en ce qu’il paraît révéler la réalité de la haute pression s’exerçant sur ces hauts praticiens du droit.
En tout cas, si ce n’est pas la preuve d’une pression constante exercée conjointement par le premier responsable de cette institution pour «régler» ce dossier avant la date limite de la fin de son mandat, et la Présidence de la République pour avoir un bouc émissaire à présenter en cette période de campagne électorale, cela y ressemble très fort.
Ainsi, après avoir vu des Magistrats émérites dont le savoir juridique, la technicité et la rigueur d’analyse éprouvée forcent le respect et l’admiration:
-«endosser» pour leur compte une poursuite judiciaire irrégulièrement engagée et exercée en leur lieu et place,
– prescrire dans des conditions de légalité contestables, l’exécution à grand déploiement d’actes spectaculaires destinés à imprimer et à renforcer dans la mémoire populaire, le principe de ma culpabilité, je ne peux que noter avec regret et plus d’inquiétude encore sa volonté manifeste de n’avoir à enregistrer et analyser aucune déclaration impliquant le Chef de l’Etat, le Dr. Thomas Boni Yayi et retardant la conclusion de ce dossier dans les délais et pour des fins électoralistes.
Comment comprendre, en effet, autrement le comportement de mes juges qui, après avoir déclaré le 09 septembre 2010 que l’instruction était achevée, n’ont pas pu prendre leur arrêt jusqu’à la date du 12 janvier où, sentant venir l’échéance du mandat de dépôt dont je suis l’objet, ils se sont empressés de le prolonger dans ses effets, manifestement sans en justifier la nécessité à partir des éléments de l’information comme la loi leur en fait l’obligation.
Me Yves Kossou, l’un de mes avocats ayant demandé à obtenir la copie de cet arrêt ou à défaut qu’il soit autorisé à consulter le dossier pour prendre connaissance de son contenu afin d’aviser, en a été systématiquement et de façon incompréhensible empêché.
Cet obstacle érigé volontairement contre la défense avait apparemment pour but de faire gagner du temps aux Juges de la Chambre Judiciaire pour prendre un arrêt invoquant comme motifs de la prorogation de mon mandat de dépôt, la nécessité d’auditionner certains témoins.
A cette fin, certains témoins ont été convoqués et entendus à nouveau le 24 janvier 2011 dans cette procédure dirigée contre moi sans que ni moi ni mes avocats n’ayont été en mis en posture de faire des observations.
Pour remédier à cet état de chose qui porte atteinte aux droits de la défense, j’ai adressé le courrier dont copie jointe à la Cour le 07 février 2011 en même temps que je l’informais de mon désir de faire des déclarations nouvelles jugées nécessaires pour ma défense.
Ma nouvelle déclaration étant relative à l’implication directe du Dr. Thomas Boni Yayi, Président de la République du Bénin dans la création et le fonctionnement de ICC Services et à sa décision prise le 5 juillet 2010 de faire de moi son bouc émissaire suivant les conseils du ministre d’Etat, chargé du Développement, Iréné Koukpaki, du ministre des Finances, Idriss Daouda, et de l’ancien ministre de la justice Victor Topanou, j’ai décidé d’user des moyens de communication modernes pour prendre à témoin l’opinion nationale et internationale. J’ai alors adressé par le double canal de l’administration pénitentiaire et de mes avocats, copie de cette déclaration à mes juges pour être exploitée dans le cadre du dossier dont je suis l’objet.
Logiquement, l’exploitation de ce document devait justifier à tout le moins mon interrogatoire. Mais tel n’est point le cas. Et pourtant l’implication personnelle et directe du président de la République dans le scandale d’ICC Services résulte bien du dossier et sans être une vue de l’esprit ou l’expression de la volonté d’un être aux abois, désireux d’entrainer d’autres avec lui dans la déchéance se traduit par:
-La reconnaissance devant l’officier de Police Judiciaire le 15 février 2010 par M. Guy Athanase Akplogan, Président Directeur Général d’ICC Services, de la profondeur de l’amour qui le lie au Président de la République (rien de surprenant, car c’était la St Valentin).
A cet égard l’intéressé déclarait :
«… Si ces activités ne profitent pas au bas peuple, la plus Haute Autorité de notre Etat et autres partenaires étrangers reconnus pour leur crédibilité ne pourront pas vous faire confiance».
Cf. procès-verbal d’enquête préliminaire N°0025/MISP/DGPN/BEF-SA-02 du 15 février 2010 portant interrogatoire du nommé Guy Athanase Akplogan et objet de la procédure N°1129 RP 2010 du parquet de Cotonou.
Ce procès verbal se trouve abondamment au dossier judiciaire et la déclaration de M. Aklpogan indique sans ambages que contrairement aux affirmations du président de la République, ces deux personnes se connaissent très bien et collaborent ensemble à l’expansion d’ICC Services.
Il est en effet bien entendu que ce n’est pas entre des inconnus que peut s’établir et régner la «confiance»;
– Les déclarations de M. Armand Zinzindohoué, ministre de l’Intérieur confirmant l’étroitesse et la constance des rapports entre le président de la République et les dirigeants d’ICC Services;
-L’existence du fameux titre ou bordereau de vingt cinq milliards (25.000.000.000) de francs émis par le ministre des Finances Iréné Koukpaki au profit d’ICC Services.
-La volonté sans équivoque du président de la République d’éviter que soit initiée et menée une enquête judiciaire sur ICC Services, ses dirigeants et leurs biens ainsi que le prescrivaient mes instructions en date du 17 mai 2010 adressée au Procureur de la République près le Tribunal de première instance d’Abomey-Calavi saisi par mes soins. A cet effet:
• Le comité de crise crée le 26 juin 2010 à travers son président, le ministre d’Etat Iréné Koukpaki a dessaisi la Brigade d’Abomey-Calani au profit de la Brigade économique et financière alors que, en ma qualité de Procureur général, j’avais ordonné et confié au parquet de Cotonou qui a saisi la BEF à cette fin une enquête sur toutes les structures recensées ayant pour activité le placement d’argent et une enquête spécifique sur ICC Services, ses dirigeants et ses biens confiée au parquet d’Abomey Calavi.
• ayant marqué ma détermination à voir cette enquête se réaliser spécifiquement en réaffirmant par message téléphonique adressé au commissaire de la BEF, la compétence du parquet d’Abomey-Calavi en ce qui concerne l’enquête sur ICC Services le même comité de crise, en relation avec le Président de la République représenté par son cabinet militaire décide de créer une “Commission autonome d’enquête judiciaire” présidée par le premier Substitut du Procureur de la République près le tribunal de Cotonou, pour pouvoir dessaisir la Brigade économique et financière et justifier la compétence du parquet de Cotonou à l’égard de l’enquête d’ICC Services et surtout contrôler les résultats de l’enquête notamment les archives à saisir.
-La volonté du Président de la République d’éviter aux dirigeants d’ICC Services les conséquences d’une procédure judiciaire couronnée par la mise en détention préventive, par la prise d’un arrêté de placement en résidence surveillée par le Ministre de l’Intérieur dès le lundi 28 juin 2010 alors qu’aucune disposition règlementaire ou législative n’autorise au Bénin cette mesure;
Mon insistance à voir réaliser sur ICC Services une enquête spécifique à l’effet de découvrir comment et avec quelle complicité cette structure de placement a opéré de façon notoire depuis 2006, m’a valu l’inimitié à peine voilée du Président du Comité de Crise et du Ministre des Finances membres dudit comité et l’“honneur” d’être désigné suivant leur recommandation bienveillante, comme bouc émissaire de M. le Président de la République, le Dr. Thomas Boni Yayi.
-La détermination depuis 2009 déjà du Président de la République le Dr. Thomas Boni YAYI et de ses autres complices de «sacrifier» les dirigeants connus d’ICC Services en désignant la Justice comme responsable de les avoir laissé exercer.
A cet égard, le Ministre des Finances, Idrissou Daouda, après avoir fait semblant de n’être informé de l’existence illégale d’ICC Services que «courant août 2009», conçoit avec la complicité de l’ancien ministre de la Justice M. Victor Prudent Tokpanou activement aidé par le premier substitut du Procureur de Cotonou et le Conseiller technique juridique du ministre des Finances Me Auguste Ali Yérima, une soi-disant «plainte» datée du 27 janvier 2010 et dont la finalité serait d’obliger les responsables d’ICC Services à «régulariser» leurs activités.
La conclusion officielle serait que c’est le laxisme bien connu sur fond de corruption des acteurs de la justice qui a favorisé la poursuite des activités d’ICC Services au Bénin alors que le gouvernement respectueux de la séparation des pouvoirs, aurait tout fait pour y mettre un terme.
Outre que mon insistance à voir mener une enquête spécifique sur ICC Services, ses dirigeants et leurs biens, a contraint le Président de la République à accomplir des actes réels d’immixtion dans le fonctionnement du judiciaire, elle le contraignait manifestement à faire connaître plus tôt qu’il ne l’aurait prévue, la thèse officielle.
Cette thèse a été adoptée en Conseil des ministres précipitamment en sa séance du 1er Juillet 2010.
Il restait alors à annoncer les identités des complices.
Il était très facile pour le Président de la République d’obtenir des dirigeants d’ICC Services des déclarations visant à impliquer ceux qui leur seraient désignés notamment le Procureur général, par qui leur malheur de se retrouver en prison est arrivé, en leur promettant de les sortir d’affaire dès qu’il serait réélu.
Du reste, ceux des officiers de Police judiciaire qui ont œuvré à l’exécution des instructions du procureur général comme le Capitaine, Commandant de la Compagnie de Gendarmerie de Cotonou ou le Procureur de la République d’Abomey-Calavi ont fait l’objet soit d’accusation et de mise aux arrêts de rigueur, soit de sérieuses menaces d’emprisonnement.
Le dernier entretien en tête à tête que j’ai eu avec monsieur le Président de la République le Dr. Thomas Boni YAYI dans son bureau le 05 juillet 2010 était pour lui l’occasion de m’annoncer cyniquement avec l’assurance de l’impunité en face qu’il est avec plusieurs membres de son gouvernement le grand patron d’ICC Services mais que je n’aurai pas l’occasion de le répéter puisque je serai amené à payer pour ce que eux autres ont fait et en ont tiré profit.
Il résulte de tout cela, que le seul qui détient l’argent des spoliés d’ICC Services dont mon épouse, reste et demeure monsieur le Président de la République, le Dr. Thomas Boni Yayi.
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