Le « quartier latin » de l’Afrique vient de commémorer, en grandes pompes, ses cinquante années d’indépendance et se prépare à organiser pour la cinquième fois, depuis l’avènement du multipartisme en 1990, les élections présidentielles. Le Bénin est généralement considéré comme un modèle de réussite de démocratisation en Afrique de l’Ouest et même si le peuple affiche un optimisme inébranlable, il n’en demeure pas moins qu’il faille aujourd’hui, s’interroger sur l’avenir et le sort de celui-ci. Il faut noter que le positionnement géographique du Bénin et ses dynamiques territoriales actuelles (économiques, politiques, culturelles, démographiques) en font l’un des pays en Afrique de l’Ouest qui dispose d’un potentiel pour affronter les défis des cinquante prochaines années.
Tout cela dépend toutefois d’un volontarisme empruntant les voies entre autres de la sécurisation du foncier, du développement d'infrastructures de santé, des transports routiers, ferroviaires et maritimes, pour ne citer que ceux là. Nous nous intéresserons dans le cadre de notre analyse au système de santé béninois.
L’Etat, de par ses fonctions régaliennes, se doit de garantir la sécurité et la sérénité de ses citoyens. Le besoin de sécurité et les besoins physiologiques comme ceux énumérés par Abraham Maslow, doivent constituer la priorité d’un Etat et se révèlent dans la problématique de notre analyse. La sécurité est un vital besoin pour toute personne, afin de lui assurer un mode de vie calme et serein. Ce besoin se décline à tous les niveaux, tant sur le plan des sentiments individuels que des nécessités sociales dans tout État. L’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 n’utilise pas le mot sécurité, mais reconnaît la sûreté comme « droit naturel et imprescriptible de l’homme ». En Occident, l’État a multiplié au fil du temps les organismes et systèmes de sécurité comme la sécurité sociale, la sécurité sanitaire, la sécurité routière, les comités d’hygiène et de sécurité dans les entreprises, la sécurité informatique, et récemment l’adoption du principe de précaution dans la Charte de l’environnement introduite récemment dans la Constitution de la Ve République… La santé apparaît ainsi comme un besoin de sécurité dont il faut se préoccuper et constitue la base du développement d’un pays.
En même temps qu’elle constitue aujourd’hui l’un des droits humains les plus élémentaires, elle demeure le ciment du droit à la vie. Si la notion de santé ne peut se réduire à l’absence de maladie, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l’a défini en 1946 comme ‟un état complet de bien-être physique, mental et social” : une définition proche de la conception béninoise de la santé. Cependant cette notion varie selon les individus, l’environnement socio-culturel, les moyens économiques, l’époque et le milieu auxquels elle s’applique. Au Bénin, « l’individu en bonne santé est celui qui est vigoureux, capable de travailler, d’affronter les vicissitudes de la vie, d’assurer une descendance satisfaisante et de remplir ses obligations initiatiques dans les conditions requises ». Cependant, les problèmes de santé publique constituent une situation critique, et sont motivés principalement par un profond manque d’information relatif aux pratiques sanitaires élémentaires comme l’hygiène, l’alimentation ou le contrôle de la transmission des maladies, mais aussi par une carence administrative notoire qui gangrènent le système de santé béninois.
Si l’État béninois a toujours œuvré pour la mise en place de moyens visant à garantir la santé de la population, il n’en demeure pas moins qu’il faille s’interroger sur le degré d’engagement de celui-ci, aujourd’hui, pour améliorer l’accès aux soins des populations. Autrement dit, à quand un Etat résolument engagé pour l’effectivité du droit des usagers du système de santé au Bénin ?
Le système de santé béninois, dans son ensemble, paraît consistant mais manque énormément de moyens pour assurer des soins de qualité à une population en majorité analphabète et dont les droits dans ce secteur sont quasi inexistants. Les béninois subissent avec fatalisme une situation qui devient de plus en plus alarmante. Quand on sait qu’il y a de nombreux médecins béninois qui exercent à l’étranger et qui excellent dans leur domaine, faudrait-il se demander si un système de santé à l’occidentale pourrait être envisagé au Bénin ?
Le mauvais mimétisme que pratique le Bénin aussi bien, en ce qui concerne son administration et son système de santé, lui a été dangereusement préjudiciable tout au long de ces cinquante dernières années. Les populations en ont fait les frais et continuent d’en subir les conséquences. Serait-il abusif de nous interroger sur la réelle capacité de l’Etat béninois à répondre aux défis du « nouveau millénaire » ? Le Bénin apparaît aujourd’hui comme un État en déliquescence. Et un État en déliquescence est un État "confronté à de sérieux problèmes qui compromettent sa cohérence et sa pérennité...". Les indicateurs probants de la déliquescence d’un Etat étant un gouvernement central si faible ou inefficace qu'il n'exerce qu'un contrôle marginal sur son territoire; la légitimité dudit gouvernement pour prendre certaines décisions est contestée ; l’absence de services publics essentiels ; une corruption généralisée…des indicateurs qui caractérisent la défaillance de l’Etat béninois dans son engagement vis-à-vis du système de santé. La difficulté d’accès du système de santé béninois révèle les inégalités de développement. L’absence de statistiques concernant les conséquences de la défaillance du système de santé nous amène à nous interroger sur le rôle que doit jouer l’autorité nationale dans la mise en œuvre et la sauvegarde du droit du patient et du malade hospitalisé. Au cours de ces cinquante dernières années, nous avons assisté au Bénin à la détérioration graduelle des services publics avec la disparition des fonctions de base à destination des citoyens, tels que police, éducation, système de santé, transports. Le système de santé qui englobe un domaine multisectoriel, est défini par l’OMS comme « toutes les activités dont le but essentiel est de promouvoir, restaurer ou maintenir la santé ». Cette définition englobe les programmes scolaires pour la prévention du SIDA, mais pas le secteur de l’éducation dans son ensemble. A côté des services de soin de santé proprement dit, cette approche intersectorielle est importance pour optimiser les résultats sur le plan de la santé.
Le système de santé béninois mérite aujourd’hui une attention particulière. La situation sanitaire du pays est dominée par l’endémicité des pathologies infectieuses et parasitaires avec le paludisme comme affection dominante. Le pays connaît également l’éclosion périodique du choléra et de la méningite cérébro-spinale. Les régions frontalières sont, en particulier, exposées aux épidémies du fait d’intenses mouvements migratoires. Le système de santé béninois n’arrive pas à faire face à cette situation parce qu’il souffre de nombreux problèmes dont la répartition déséquilibrée des ressources humaines en défaveur des régions du Nord du pays, une faible fonctionnalité du système de santé de district, en particulier le système de référence et de contre référence et une faible fréquentation des structures de santé. L’état de santé des populations béninoises demeure précaire malgré les efforts déployés par les autorités nationales. Rappelons que les Béninois, outre le recours aux services officiels de santé, ont massivement recours à la médecine et la pharmacopée traditionnelles pour traiter leurs maladies.
Il est vrai que l’Etat béninois s’engage dans la prise en charge des droits auxquels pourrait prétendre un patient ou un malade. Toutefois, un regard objectif de la situation révèle une insuffisance caractérisée du système de santé béninois car l’état actuel des choses n’est que la conséquence du coefficient, qu’on pourrait attribuer à l’Etat béninois, d’ « Etat faible ».
Il devient opportun, voire urgent d’implémenter une stratégie de développement du système de santé au Bénin. Cette stratégie impliquera une refonte du système de santé et favorisera la mise en place d’un système qui prendra en compte les réalités politiques, économiques, et socio-culturelles du Bénin.
Dans la recherche d’une stratégie de développement d’un système de santé accessible à tous, efficace et efficient, nous nous devons de prendre en compte les deux grandes options de causalité émises par Pierre Bourdieu, dans le cadre des compréhensions relatives aux représentations et aux pratiques des individus et des groupes. D’une part, l’objectivisme commande une vision du social où les pensées et les actions des humains sont déterminées régulièrement par les conditions matérielles de leur vie, conditions antérieures à eux et influant sur tout ce qui sera ultérieur à eux en étant retraduites par delà les spécificités des réactions humaines. De l’autre côté se propose le subjectivisme où les représentations et les pratiques des individus doivent être prises dans leur spontanéité comme point de départ pour saisir d’une façon compréhensive le sens de l’institution et de l’évolution des conditions matérielles de vie.
Reconstruire reviendrait à restaurer un système en constante dégradation. Un système qui ne protège nullement le citoyen et par conséquent l’usager du système de santé. Tout cela implique donc des changements dans l’organisation du système de santé béninois. Mais de nombreuses questions se posent. Peut-on opérer un changement quel qu’il soit sans construction de forme destinée à se substituer à l'ordre ancien ? Les mécanismes conduisant au changement découlent-ils d'une construction de signification étrangère à l'environnement initial ? Si oui, quel est le degré de rupture qui nous assure que la nouvelle forme provenant de la cohésion de la nouvelle relation sociale établie va asseoir un changement absolu?
Selon Pierre Bourdieu, il faut que certaines conditions sociales extérieures aux représentations et aux discours mêmes soient remplies pour que ceux-ci aient une certaine efficacité sur la réalité, des conditions favorables préalablement inscrites dans les têtes et dans les institutions. Tout cela relève entre autres du constructivisme structuraliste En effet, Pierre Bourdieu définit le "constructivisme structuraliste" à la jonction de l'objectif et du subjectif : "Par structuralisme ou structuraliste, je veux dire qu'il existe, dans le monde social lui-même, [...] des structures objectifs indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables d'orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Par constructivisme, je veux dire qu'il y a une genèse sociale d'une part des schèmes de perception, de pensée et d'action qui sont constitutifs de ce que j'appelle habitus, et d'autre part des structures sociales, et en particulier de ce que j'appelle des champs "
Au Bénin, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il n’y a jamais eu de construction sociale. Et Sans construction sociale, les individus n’ont jamais pu percevoir qu’ils pouvaient prétendre à des droits, notamment dans le domaine de la santé.
L’habitus - ajoutons, politique - au Bénin, comme dans bon nombre de pays africains est caractérisé par une recherche effrénée du profit individuel, au détriment de la notion d’intérêt général. La notion de santé publique, bien que « proclamée » par l’Etat, ne se révèle être qu’un vœu pieu, prenant des allures de folles démagogies, se soldant par une absolue stérilité. L’approche de Bourdieu paraît très intéressante, tant sa prise en compte pourrait aider l’Etat béninois à prendre conscience qu’il devient nécessaire de s’engager de manière ardue pour l’effectivité du droit de la santé au Bénin. Il va sans dire que les changements des aspects idéels sont intimement liés à ceux des aspects matériels et que les uns peuvent préparer ou découler des autres. Le changement est un processus de construction d’une certaine cohérence organisationnelle. En effet, au Bénin, les deux options sociologiques doivent être prises en compte, dans la mesure où tout est à reconstruire. En effet, l’organisation du secteur de la santé, public et privé, est basée sur la décentralisation administrative du pays en 12 départements et 77 communes. Elle comporte trois niveaux complémentaires qui sont : le niveau périphérique, le niveau intermédiaire et le niveau central. Chacun de ces niveaux comporte des organes de gestion et des infrastructures de soins. Toutefois, ces différents niveaux comportent de nombreuses carences. Au niveau périphérique, les zones sanitaires connaissent des niveaux de fonctionnalité différents, soit par insuffisance organisationnelle, soit par insuffisance en personnel, en équipements ou en infrastructures. Seulement 25 hôpitaux de zones sur les 34 zones sanitaires jouent pleinement leur rôle de référence et la moitié des équipes d’encadrement de zones n’ont pas toutes les compétences requises pour gérer efficacement le système de santé de la zone sanitaire. Le niveau intermédiaire souffre également d’insuffisances organisationnelles, en personnel, en équipements et en infrastructures. Et au niveau national, on note une centralisation des responsabilités et ressources au détriment des niveaux intermédiaires et périphériques. Dans le cas du Bénin, le changement impose qu’on s’inspire - demeurant lucides sur nos réalités internes - d’exemples de pays qui ont su prendre en compte la santé des populations afin de garantir un niveau de développement adéquat. Pour cela, une stratégie s’impose. Cette stratégie doit pouvoir se baser sur la recherche et le maintien de la sécurité globale.
En effet, dans un monde de plus en plus effervescent et peu prévisible, la reconstruction d’une pensée stratégique appuyée sur un outil souple de décèlement précoce est désormais cruciale. Cette nouvelle pensée stratégique se doit d’intégrer sécurité humaine mais aussi et surtout sécurité sanitaire.
La sécurité globale se définit comme la capacité d’un État ou d’une collectivité humaine quelconque à assurer à l’ensemble de ses membres un niveau minimum de sécurité face à quelque risque ou menace que ce soit et à permettre la pérennité des activités collectives, la protection des hommes et des infrastructures critiques, sans rupture dommageable en cas de catastrophe majeure. La sécurité globale est surtout un concept utilisé au niveau étatique. En effet, cette dernière englobant largement les notions de sécurité intérieure, de catastrophes naturelles et d’intelligence économique, elle permet de prendre en compte les enjeux stratégiques gouvernementaux.
La sécurité globale induit la notion de sécurité humaine. Ce concept émergent n’est pas de fait d’une définition aisée. Ce concept s’emploie à rechercher une définition consensuelle, tout en soulignant le fait que le concept recouvre, à la fois, un élargissement et un approfondissement de la sécurité dite classique, rendant l’exercice mal aisé. Au sens large, la sécurité humaine concerne non seulement les menaces violentes et classiques comme la guerre, elle englobe aussi des menaces plus axées contre le développement, comme la santé, la pauvreté et l’environnement. Il est important de souligner que la force de celle-ci réside dans la volonté de leurs promoteurs de traduire le concept en politiques publiques, élément fondamental pour obtenir un soutien tant politique que financier de son opérationnalisation. Dans une acception large, qui inspire la plupart des définitions du concept de sécurité humaine, celui-ci repose sur trois éléments fondamentaux: la portée de la sécurité humaine, l’importance des liens de causalité entre ses différentes composantes, et l’accent mis sur l’essentiel vital des personnes. Cette approche trouve son illustration à travers le concept de sécurité humaine préconisé par le Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD) et par la Commission sur la sécurité humaine.
Selon la Commission[ix] « la sécurité humaine consiste à protéger l’essentiel vital de tout être humain contre les menaces les plus graves et les plus répandues ». Cette définition présente l’avantage de respecter le sens large de la sécurité humaine, tout en la distinguant clairement des notions plus générales de bien-être et de développement. En considérant « tout être humain» comme l’objet référent, elle se concentre non seulement sur les personnes mais précise aussi le caractère universel de son mandat.
Le développement communautaire paraît être la solution. Il peut être définit comme un processus au cours duquel une communauté augmente graduellement le contrôle et le pouvoir qu’elle exerce sur les questions qui la concernent. Il s’agit d’une stratégie de promotion de la santé, c’est-à-dire une approche qui a pour but d’aider les communautés à maîtriser davantage les facteurs qui influencent leur santé. Le développement communautaire, c’est donc des gens qui concentrent leurs problèmes et leurs besoins communs et qui entreprennent des démarches nécessaires afin de les résoudre et de répondre à leurs besoins. Le but ultime, c’est la prise en charge communautaire.
Nous nous intéresserons à trois modèles de développement communautaire qui visent un changement social planifié. Nous citerons :
- Le développement local. Il s’agit d’un processus qui vise la création de progrès social
et économique pour la communauté entière en assurant sa participation active. Le problème est défini par les gens du milieu. Le but de ce processus consiste à régler le problème, d’aider les gens à s’organiser et à obtenir plus de pouvoir. Cela passe par une alphabétisation à grande échelle et une diffusion de la bonne information.
- Le planning social mettra l’accent sur un processus technique de résolution de problèmes sociaux. Ce modèle présuppose que le changement requiert des planificateurs experts qui possèdent des habiletés techniques pour identifier les problèmes et recommander l’action plus rationnelle.
- L’action sociale, enfin, postulera qu’il existe un segment défavorisé de la population qui a besoin d’être organisé afin de revendiquer ses besoins pour plus de ressources ou encore, pour un traitement basé sur la justice sociale et la démocratie. Elle consiste en une mobilisation des gens qui sont directement touché par un problème commun. On cherchera alors à corriger les déséquilibres de pouvoir entre les groupes opprimés et la société.
Ces trois modèles seront utiles pour décrire la diversité des orientations en développement communautaire mais en réalité très peu de démarches de développement communautaire correspondent à un seul modèle. C’est une stratégie d’intervention qui mise sur le potentiel des individus, des réseaux sociaux, des groupes, des communautés et des ressources dans un but de prendre en main leurs problèmes sociaux , mais aussi et surtout les problème de santé des populations béninoises. Encore que ces populations, pour la majorité analphabète et foncièrement axée sur une gestion alimentaire du quotidien, sachent ce dont il est question en la faisant sienne.