Cartes d’électeurs: cafouillages, confusion et colère à Cotonou et ses environs

Bénin – Démarrées il y a 72 heures, l’opération de délivrance des cartes d’électeurs bat son plein par endroits du territoire national. Et les objectifs qui lui sont assignés sont loin d’être atteints. Au regard de la date butoir du 6 mars, jour prévu de l’organisation du scrutin présidentiel. Car, à la date d’aujourd’hui, peu de nos compatriotes ont déjà obtenu leur carte d’électeur, tandis que d’autres, les plus nombreux,  doivent encore patienter. Non sans colère et  grincements de dents. Si à Cotonou, l’opération se déroule plus ou moins bien,  Godomey et Abomey-Calavi vivent une situation qui fâche.

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«C’est ici que j’ai été enrôlé. J’ai fait ma photo également ici. Mais on me dit d’aller   à l’école des sourds pour chercher mes références. Cela veut dire quoi au juste ! Yayi Boni va voir ce qu’il cherche» râle hier un jeune  agent de santé, qui démarre en trombe sur sa moto devant  le siège du 10ème arrondissement de  Cotonou. Il a  l’air tout furieux,  comme  nombreux d’autres électeurs qui  passent et repassent sur les lieux depuis hier. Sans  la moindre satisfaction. Les multiples  rangs alignés très tôt  le matin devant cet arrondissement ont fini par se défaire  en milieu de journée. Pas,  parce que  les électeurs ont été servis. Ils ont été plutôt renvoyés vers d’autres lieux pour obtenir le fameux papier qui donne accès  à ladite  carte. Hier aux environs de 15 heures 30 minutes, seul un petit rang composé que quelques  8 personnes,  pouvait encore s’apercevoir.  La désolation est totale ici. Presque tout le monde se plaint. « J’ai difficilement obtenu une permission pour venir chercher ma carte. Voilà que je ne l’ai pas eue » se lamente une jeune secrétaire de direction, au nom  de Aline Fagla.  Certaine femmes sont assises à même le sol dans les couloirs de cet arrondissement, visiblement prêtes à y passer la nuit. « Nous ne bougerons pas d’ici tant que nous  n’aurons pas nos cartes » martèle l’une d’entre elles, le regard hagard.  Sa voisine affiche la même détermination  et se dit prête à  tout sacrifier aujourd’hui pour se faire délivrer sa carte. Mais elle ne s’obtient pas ici en réalité. Juste un papier est remis aux électeurs qui exhibent leurs récépissés d’enrôlement. La tâche n’est pas non plus facile à ce niveau. L’un des agents  qui vérifie la conformité des références du récépissé dans son registre, a fini par se mettre debout. « Monsieur,  je vous dis  d’aller ailleurs dans l’arrondissement !! » ordonne –t-il à un homme  en face  de lui.  A chaque fois,  cet agent doit parcourir les milliers de noms contenus dans  ce   registre pour identifier celui correspondant au porteur du récépissé. « Un seul clic de souris d’ordinateur aurait suffi » préconise tout las, un autre électeur. Les policiers déployés sur les lieux semblent également fatigués et confus. Certains se montrent indifférents à tout. « C’est un sérieux problème » avoue l’un d’entre eux  qui peine à convaincre un électeur sur l’impossibilité de retrouver ses références ici.

 

Entre satisfaction et désolation à  Mènontin

Déjà aux environs de 7h30 ce mardi martin, la cour  de l’école primaire publique Mènontin Nord sise à une centaine de mètres du feu tricolore du stade de l’amitié de Kouhounou et en face de l’autoroute, est prise d’assaut par un parterre d’hommes et de femmes. Ils  continuent de venir. Ce sont de citoyens béninois tous impatients de rentrer en procession de leur carte d’électeur dans le cadre de l’élection présidentielle prévue pour le 06 mars prochain. Soit dans cinq jours. Pour l’heure, ils s’organisent entre eux, sans un guide mandaté pour, afin de faire évoluer le processus. Des rangs se forment un peu partout dans la cour de l’école selon une répartition relative aux deux premières lettres du nom du citoyen. Mais l’attente aura été très longue. En attendant l’arrivée des agents de la Commission politique de supervision (Cps) commis pour les accueillir et les satisfaire, ce sont de petites bagarres par endroits, suscitées par des discussions houleuses  de positionnement e dans ces longues files d’attente. Certains  électeurs, vu déjà la foule, décident de partir pour d’autres contraintes dont le boulot.

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Trois étapes périlleuses

Autour de 08h 45 min,  les agents démarrent leurs travaux. Le processus se déroule en trois étapes : la prise des informations par rapport au bureau de vote sur présentation du certificat d’enregistrement biométrique du citoyen, le retrait d’une fiche portant la photo du citoyen et le retrait de la carte d’électeur. C’est un processus qui théoriquement semble être court mais dans la pratique est lourd et long. Si certains ont leur carte sur place, d’autres, après avoir traversé les deux premières phases de façon plus ou moins facile, sont pour la plupart renvoyés dans d’autres centres pour le retrait de ladite carte. Ce qui n’est pas non plus si évident.  « J’étais là hier. On m’a donné le Bv (Bureau de vote). Je suis allé retirer une petite fiche portant ma photo et on m’envoie au collège Nokoué pour retirer ma carte. J’y suis  allé,  mais à ma grande surprise,  on me renvoie  encore  à Mènontin sous prétexte que la carte se trouve ici. Je viens de les voir ici ce matin, et ils me disent que ma carte n’est pas à leur niveau » se désole un jeune  homme, la trentaine. Ces plaintes  son fréquentes   à l’Epp de Mènontin Nord. L’autres cas qui se répète, c’est la non existence dans le grand registre que détiennent les agents de la Cps, des noms de personnes ayant été régulièrement recensées et enrôlées. « Jusque là, j’ai suivi tout le processus de la Lépi mais aujourd’hui, je n’ai pas mon dans le registre » déclare en courroux,  un autre. Derrière son certificat d’enregistrement biométrique, il est mentionné : “Ibv Non retrouvée. Zogbohouè. Po, président, ce 01/03/2011”. Il lui est demandé de se rendre à l’Ecole primaire publique de Zogbohouè. Et là, il n’est pas sûr d’avoir une solution à son cas.  Ces  situations se sont répétées tout au long de la journée.

A bout des nerfs à Godomey

Devant  le siège de l’arrondissement de Godomey,  la colère des uns et des autres est très visible. Depuis lundi où a été lancée la distribution des cartes d’électeurs dans tout le pays, personne n’est encore satisfaite ici. Ils sont restés toute la journée  d’hier au portail de l’arrondissement, espérant que l’opération   allait commencer d’un instant à l’autre. Mais rien n’y fit. « On  ne comprend pas ce qui arrive à Godomey. Tout le matériel serait déjà convoyé  dans  la localité. Mais pourquoi tout traîne alors » se préoccupe  un électeur, qui a affirme avoir écourté une mission dans le Nord pour venir chercher sa carte.  Les grognes et griefs de la foule sont nombreux et diversifiés. D’aucuns soupçonnent un boycott pour empêcher  l’élection de se tenir à Godomey. Les autres accusent « l’amateurisme » de  la Cps-Lépi dans la gestion de ce volet du processus.  Le  Chef de l’arrondissement,  Germain  Caja-Dodo aurait été bloqué pendant plusieurs heures dans la matinée d’hier par des électeurs, pour n’avoir pu donner les raisons de  ce retard. Contacté, l’homme  affiche la même ignorance, et confie avoir mené plusieurs démarches lui aussi,  pour essayer de comprendre ce qui arrive à Godomey. «C’est une situation embarrassante. On m’a juste dit au niveau de la Cps-Lépi que les cartes sont déjà imprimée mais qu’elles sont toujours entrain d’êtres triées» affirme-t-il,  tout déçu lui aussi. Selon les dernières informations, l’opération de délivrance des cartes devait pouvoir commencer ce mercredi  dans cette localité. Mais le calvaire des populations pourrait encore être pire quand il s’agira de les  faire identifier dans les registres.

L’étape la moins épineuse à Akpakpa

A Akpakpa, l’un des plus grands quartiers de Cotonou,  les électeurs ont défilé  durant le week-end dernier dans les centres où ils ont été enrôlés, afin de retirer leurs cartes. A Lom Nava  l’un des plus petits quartiers du deuxième arrondissement,  tout semblait se dérouler normalement jusqu’au moment où une dame est retournée chez elle sans sa carte. A l’en croire, elle n’aurait pas reçu le récépissé qui prouve qu’elle a été enrôlée. A plusieurs reprises, son cas est reporté à demain, toujours sans suite. Dans un autre quartier d’Akpakpa, à Yénawa c’est une autre situation qui s’impose aux électeurs. Certains devront se rendre à Porto-Novo pour retirer leur carte qui sert désormais de pièce d’identité pour certaines femmes. «Je n’avais jamais eu de pièce d’identité. La Lépi m’en donne l’occasion », clame une jeune dame analphabète, qui venait d’entrer en possession de sa carte d’électeur  et de la fiche indique  le bureau de vote.

Dans la cacophonie des jours de marché

Pour parler de sortie des populations, il y a à rassurer que le déplacement est plutôt massif. Femmes, hommes, jeunes et personnes du 3e âge, tous étaient là, dans l’attente du retrait de leur carte d’électeur. Dans un brouhaha digne de l’animation des jours de marché, les postulants au droit de vote  allaient d’une table à  une autre, consultant et vérifiant leur nom sur des registres aux mains des agents attablés. «C’est la première fois de ma vie de citoyen adulte que je cherche, depuis 72 heures, sans être sûr de la retirer, ma carte d’électeur», lance un homme, la cinquantaine révolue. A peine, a-t-il achevé sa plainte qu’une jeune fille la vingtaine passée le rudoie, sans s’en rendre compte, d’un coup de coude, pour aussitôt se confondre en excuses. Des cris de revendication, des insultes et de petits conciliabules fusent  de partout des files indiennes vagues qui se sont formées depuis sept heures le matin. Les forces de sécurité dont la présence est nécessaire sur les lieux peinaient à rétablir l’ordre et passaient pour des empêcheurs de retirer en paix les cartes. Il n’empêche qu’ils sont préoccupés à discipliner les troupes.

Les agents électoraux, eux, les yeux rivés sur leurs registres, pouvaient péniblement recueillir les détails identitaires des postulants qui commençaient à se lasser de devoir vociférer ou de crier à tue-tête pour ne pas finalement se faire entendre. Bien que déjà proches du but, certains avaient marre d’attendre leur tour. Dans le peloton de tête, il y en a qui, le visage radieux, ont pu retirer leur sésame, ce coupon appelé IBV (Indentification Bureau de Vote), indispensable au reste de l’opération subdivisée en 2 temps: retrait du coupon d’une part et d’autre part recherche à proprement parler de la carte d’électeur qu’il est possible, mais aléatoire de retrouver sur place au même bureau de retrait. Dans le cas contraire, vous êtes balancé à un autre bureau situé, selon l’ordre alphabétique auquel vos initiales correspondent, dans votre localité d’enrôlement.

Au bout de 2 heures d’observations, c’est une bonne dizaine de personnes qui ont pu, en notre présence, brandir leur carte d’électeur avant de disparaitre dans la nature. «Là maintenant, c’est fait. Et je les attends au tournant», jure quelqu’un qui fait allusion aux candidats indésirables du lot des présidentiables. Le reste de la file semblait désespérer. Les obligations professionnelles des uns et des autres commençaient à leur remonter à l’esprit. Il faut donc partir pour d’autres horizons. «La vie n’est pas qu’à consacrer à la politique. Il y a mieux à faire», se convainc une dame qui sort de la file, pour se diriger vers le portail de l’hôtel de ville d’Abomey-Calavi. Et à 11 h 30, le rideau semble se refermer sur les opérations, loin derrière nous. Dans la cacophonie des jours de marché. Sans que nul ne soit en mesure de dire si, d’ici à dimanche, tous les enrôlés du système électoral pourraient être en mesure d’aller accomplir, la carte d’électeur en main, leur devoir de citoyen à jour de son obligation constitutionnelle de choisir pour notre pays, le président qu’il mérite.

Dossier réalisé par Emmanuel S. Tachin, Christian Tchanou, Blaise Ahouansè et Nicoleta Akpiti

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