Délocalisation du marché Gbogbanou/Missèbo: vendeurs, Ibo, riverains et Sogema à couteaux tirés

En décidant de délocaliser l’un des plus vieux et très populaires marchés de Cotonou,  en vue de rebâtir proprement l’espace,  la Sogema croyait bien faire. Mais c’est sans compter avec  la colère qui gagne au fil des jours,  usagers, vendeurs Ibo et riverains  depuis que le projet a commencé par  prendre corps.

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« La friperie n’a pas besoin d’étage » raille, ce vendeur  rencontré un après-midi ensoleillé au  marché  Missèbo à Cotonou. Assis sur un  banc de fortune, son physique robuste trahit les soucis qu’il traîne depuis quelques mois. Son hangar entre temps bien solide,  ne tient désormais que sur deux piquets de bois coiffés par une grande toile cirée. Il  est  pourtant connu dans ce marché pour ses friperies de qualité.  Chemises, pantalons, chaussures…  il en propose une gamme  variée qui attire tous les regards. Mais  cet homme qui préfère garder l’anonymat a peur de voir son business se dégringoler depuis que la Sogéma s’est mise à leur trousse pour les déguerpir des lieux. « Nous  avons été pris de cours par la décision, il y a quelques mois » dit-il avec amertume, même s’il   affirme également épouser  le projet. Le problème,  explique-t-il, c’est que l’endroit proposé pour les réinstaller est très peu propice à toute activité commerciale. L’espace se situe, en effet,  dans les périphéries de la berge lagunaire  de Cotonou. «Quant il pleut. Il est impossible d’y mettre pied à moins de porter de gigantesques  bottes pour affronter  l’immense boue qui s’y établit » raconte-t-il. Le site proposé par la Sogema leur aurait coûté déjà des millions pour sa viabilisation et la construction des premiers hangars. Mais reste toujours impraticable. A le croire également,  le lieu traditionnel qui devrait être reconstruit selon la Sogema, a été attribué en grande partie à un promoteur libanais qui aurait promis y ériger une galerie marchande.

 

Sur une voie publique…

En réalité, le marché de Missèbo,  se repose sur une voie publique, prolongeant le Boulevard Delorme.  Cette proportion aurait été déclassée depuis une trentaine d’années  pour être attribuée aux premiers vendeurs de friperies  qui étaient essentiellement constitués à l’époque  d’Ibo, une ethnie nigériane.  Un autre vendeur  de nationalité béninoise, métis, connu dans le marché sous le nom populaire de  « Yovo » est  aussi révolté face à ce qui leur arrive. « Nous sommes sur une grande voie ici, et en aucun cas, on ne saurait y  construire un marché. La friperie ne se vend pas d’ailleurs dans un immeuble »  s’indigne-t-il,  révélant que  le  dossier serait pendant devant les tribunaux actuellement. Un dossier  opposant les riverains à la Sogema  autour de ce même projet de réhabilitation.  Si les riverains ont concédé jusque-là l’exploitation de la zone  aux vendeurs, ils n’entendent pas voir le marché devenir formel  sur une voie d’accès à leurs différents domiciles. « Nous n’accepterons jamais, qu’on y érige des immeubles, car nous ne pourrions plus avoir accès à nos maisons » martèle,  Zinsou A, qui a fait bâtir  sa maison dans les environs depuis  plus de trois décennies déjà. Au  pire des cas, les riverains proposent à l’Etat d’y construire un terrain de sport pour les jeunes de ce quartier.

Plusieurs vendeurs Ibo repartent chez eux

Olusé Abdou Ibo du Nigéria,  alias «Nobisco Nobisco », la quarantaine,  vend sur les lieux depuis 17 ans. « Nous sommes frustrés et découragés. Beaucoup de  nos compatriotes  rentrent déjà chez eux à cause des tracasseries qu’ils subissent   dans  le marché »  se désole-t-il, évoquant le cas de son jeune frère qui a quitté le Bénin, il y a une semaine seulement. Des sénégalais, nigériens, Burkina-Faso et autres nationalités étrangères qui se comptent parmi les populations du marché aussi retourneraient déjà au bercail.  « Les problèmes que nous crée  cette situation sont nombreux,  la mévente notamment a pris d’ampleur. Les clients se font de moins en moins nombreux » regrette-t-il. Ses recettes journalières  à lui,  tournent aujourd’hui autour de 3000F, alors qu’il en gagnerait jusqu’ 100 000 F auparavant.    Les tracasseries policières quotidiennes viennent également s’ajouter à la peine de ces vendeurs, selon leurs différents témoignages.  « Ils sont ici pour assurer la sécurité et non pour nous rançonner » fustige  un autre nigérian, qui est là depuis 30 ans et a  même épousé une femme béninoise. « Il y a des gens qui vivent de cette activité. Mais si on les chasse, ils ne pourront même plus trouver 100 F pour manger. Ils vont devenir  alors  des bandits,  voleurs et  braqueurs. Imaginez  ce que Cotonou allait être  si tous ceux-là sont déversés  dans la rue »  se préoccupe-t-il.

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La part de vérité  du Dg/Sogema

«Il n’y a pas  eu déguerpissement, mais plutôt délocalisation » rectifie  Joseph Tamègnon, Directeur général de la Sogema qui rappelle que  cette opération a commencé depuis juillet 2010. Non sans avoir averti, tous les usagers et aussi les riverains. Effet,  dit-il, le gouvernement de Boni Yayi a décidé de rénover  tous les grands marchés de Cotonou. Et lorsque les travaux ont commencé  au marché Dantokpa,  ce sont les usagers de Gbogbanou et Missèbo qui  auraient  eux-mêmes faire pression sur le gouvernement pour en bénéficier à leur tour. Des missions ont été envoyées dans d’autres pays de la sous-région, pour s’inspirer de leurs expériences respectives en  la matière. «  Nous n’avons pas  identifié  le nouveau site  sans leur consentement. Moi j’ai fait en tout cas, ce que je devrais faire. Reste aux usagers de s’organiser pour rendre plus viable le site puisque  c’est eux qui sont appelés à l’exploiter et à y gagner de l’argent » affirme le Dg Sogéma. Il souligne aussi que c’est parce qu’il y avait une forte insalubrité et une grande insécurité  dans le marché habituel qu’il a été décidé de le délocaliser ailleurs, le temps de tout reconstruire. « J’avais honte de l’état dans lequel se trouvait ce marche,  je vous l’assure » confesse-t-il également, ajoutant que son souci actuel est de moderniser ce marché. « Je ne comprends pas les Béninois. Ce marché  est resté dans un état piteux pendant 30ans. On veut  le reconstruire et cela pose encore problème » s’offusque pour finir  Joseph Tamégnon.

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