Joseph Gnonlonfou, alias « Jo l’Indien », comme l’avait surnommé un Canard, président de la Commission Electorale Nationale Autonome, est un professionnel de la langue de bois. Que la maison soit en train de brûler, que les poutres en tombent, que les murs s’effondrent, que tout soit réduit en cendres, il dira toujours que tout va bien, que le meilleur des mondes est à nos portes et que nous jouons aux aveugles alors que le bonheur nous sollicite pour nous étreindre. Et qu’on ne s’avise pas de lui apporter la contradiction : il rétorquera que – et c’est ce qu’on déteste chez les brasseurs de vent – qu’aucune œuvre humaine n’est jamais parfaite. Avant lui, c’est Nassirou Bako, le Superviseur Général de la Liste Electorale Permanente Informatisée, qui avait tenu le même discours. La cartographie censitaire comporte-t-elle des lacunes ? Il s’agit, selon ses assurances, d’une polémique artificielle. Le recensement porte-à-porte omet-elle des ménages ? Faux fuyant des grincheux qui ont l’art de trouver des poux sur la calvitie des gens. L’enregistrement des données biométriques a-t-il laissé sur les carreaux beaucoup de citoyens en âge de voter ? Polémiques politiciennes, balaya-t-il du revers de la main.
Mais quand il s’est rendu compte que ses assurances ne rassuraient plus, que du rouge barbouillait sa copie d’élève étourdi, il a reconnu – de façon attiédie – qu’il y avait manquement dans les différentes phases de l’opération. Mais le mauvais élève, au lieu de reprendre courageusement sa copie, de corriger les fautes, s’est contenté de rectifier une ou deux erreurs censées rendre le devoir passable. Et c’est là que la médiocrité de l’apprenant se révèle dans toute son ampleur. A défaut de le renvoyer au champ, comme le faisait les colons au temps béni de nos ancêtres les Gaulois, on lui ferait tout simplement redoubler la classe. Avec observations « élève à renvoyer si insuffisance de travail ».
Nassirou Bako le sait : sa LEPI est un monstre. L’aurait-il volontairement engendré, c’est-à-dire aurait-il eu, comme objectif, d’en faire cet avatar auquel personne ne peut jamais s’identifier ? Ou serait-ce simplement par incompétence que ce monstre serait sorti de son laboratoire ? La caractéristique fondamentale de l’apprenti sorcier, disait un de mes anciens professeurs, ce n’est pas son entêtement à faire ce qu’il ne maîtrise pas, mais c’est sa capacité à croire en ses propres mensonges.
Allons plus loin : Bako aurait-il été le jouet et l’instrument d’une force politique ? Pourquoi le parlement dont il est l’émanation l’a-t-il laissé faire ? Pourquoi, vu les dérives observées dans le processus, les députés n’ont pas mis fin à ses fonctions comme ils l’avaient fait à Quénum, premier président de la CPS LEPI ? Et pourquoi les bailleurs de fonds, le PNUD en tête et les autres partenaires n’ont pas élevé la moindre interrogation, la moindre réserve, malgré les protestations généralisées de la société civile et malgré surtout les rapports d’experts indépendants sur le processus ? Les non-dits de cette histoire méritent d’être entendus.
En tout cas, la LEPI qui aurait pu être un formidable outil de développement, un instrument pour le contrôle et la transparence des élections, est devenu une machine à produire des frustrations et à alimenter des rancœurs. Comme de milliers de Béninois, je nourrirai les mêmes ressentiments. Comme de milliers de Béninois, je n’aurai pas la chance de voter. Non parce que j’aurais manqué l’une des étapes de cette opération, mais parce que ma carte d’électeur, bien que confectionnée, n’aurait pas été retrouvée dans le laboratoire de Bako.
Mais je n’irai pas, le jour du vote, jouer les têtes brûlées. Je n’irai pas défiler dans les rues pour exprimer ma colère du citoyen floué et dépossédé de son droit de vote. Mais les autres, les milliers d’autres le feront. Ils crieront leurs malheurs, ils feront exploser leur soif de « représailles », ils se défouleront par des actes de dépit : vandalismes et autres gestes parentés. Et rien qu’à les entendre, qu’à suivre leurs déclarations enflammées, il est fort à parier qu’ils écrivent déjà, avant tous les journalistes, la chronique de la paix sociale assassinée. Les augures l’avaient prédit. Notre naïveté légendaire et notre entêtement à tout remettre à Dieu ne nous sauveraient plus.
Laisser un commentaire