Enjeux électoraux : leurre et lueur

Bénin – C’est maintenant formellement  établi : les enjeux d’une élection peuvent faire perdre la tête à nombre de personnes. Et dire que ces personnes assument de hautes fonctions, tiennent, en leurs mains, des leviers essentiels dans la direction de leur pays. Qu’on imagine un pilote et son copilote devenir subitement fous. Des dizaines, voire des centaines de passagers qui sont sous leurs responsabilités peuvent entonner, par anticipation, le requiem, cette prière qu’on chante pour les morts dans la liturgie catholique. Et quels sont ces enjeux qui fragilisent ainsi des gens apparemment  solides au point qu’ils lâchent prise, abdiquent leurs responsabilités, commettent l’irréparable ?  Un enjeu se définit  comme ce que l’on peut gagner ou ce que l’on peut perdre dans une compétition, dans une entreprise. S’il en est ainsi, est énorme ce qui est à gagner ou ce qui est à perdre, par les uns et par les autres, au terme d’un scrutin présidentiel, tel que celui qui occupe actuellement les Béninois.

C’est en cherchant à en prendre l’exacte mesure que l’on  saisit la rage des uns et des autres à vouloir rafler la mise, à vouloir  gagner. Malheureusement et bien souvent, à vouloir gagner à tout prix et à n’importe quel prix. L’enjeu, dans ce cas, transcende les acteurs. Lesquels sortent du jeu électoral pour se placer sur un terrain qui met gravement en danger, au-delà de leurs personnes, tout un pays.

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L’enjeu pour celui qui coure après un pouvoir qui l’a fui jusque là ou qu’il n’a pu apprivoiser, c’est d’abord et avant tout de donner corps et forme à un grand et  beau rêve. Le rêve de sortir des rigueurs du désert. Le rêve de se dégager de la banalité de la vie ordinaire d’un citoyen ordinaire. Le rêve d’accéder  à la brillance d’une vie de chef. Grand ou petit, peu importe, mais chef quand même, détenteur, par conséquent, d’une parcelle du pouvoir suprême, convertible en puissance, en autorité, en influence, en prestige. Convertible aussi en pièces sonnantes et trébuchantes.

La belle occasion  d’alourdir son portemonnaie. L’heureuse opportunité de s’assurer un pouvoir financier. La divine chance de gagner en considération et en respectabilité.  Et dans l’environnement de pauvreté et de pénurie qui est le nôtre, l’assurance d’être placé sur l’orbite des honneurs, d’être propulsé dans le cercle enchanté de tous ceux qui, à divers titres et pour diverses raisons, se prennent  pour les « phénix des hôtes de ces bois ».

Avec l’envers du décor, on comprend l’enjeu pour ceux qui se placent ou qui sont placés, par la force des choses, en situation de perdre tous ces avantages, d’être dépouillés de tous ces privilèges, de retourner à la case départ, de rejoindre la cohorte ordinaire des gens ordinaires. Avouons que ce n’est pas humainement facile.

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En tout cas, c’est difficilement supportable au Bénin, pays où l’on a hissé au rang d’un aphorisme, gravé au fronton de chaque vie, ce dicton fon : « Yé non yin yan, bo wa non yin yan viha ». A traduire à peu près par : « On ne peut pas avoir été quelqu’un qui compte et accepter de déchoir pour n’être plus qu’un quidam perdu dans la foule anonyme ».

Pour ceux qui se trouvent dans cette disposition d’esprit, Il y a dans l’air, l’idée d’honneurs perdus, d’orgueil froissé, de dégringolade d’une position sociale  avantageuse, de tarissement  d’une source d’argent facile et facilement à disposition, de résignation à connaître des jours de diète, des jours des vaches maigres.

Comme on le voit, de quelque côté où l’on se tourne, ce qui est à gagner par les uns n’est pas moins grand ou n’est pas plus petit que ce qui est à perdre par les autres. Voilà l’équation du pouvoir. Dans toute sa vérité. Dans toute sa brutalité. Les premiers, pour rien au monde, n’entendent pas lâcher le morceau. Ils ont fini par croire que c’est un don du ciel. Les seconds sont prêts à tout sacrifier pour accéder à la terre promise. Chacun n’a-t-il pas droit à sa part de paradis ? Où se trouve donc le peuple dont on est censé solliciter le suffrage ? Nos ancêtres nous l’ont pourtant appris : « Quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe sous leurs pieds qui  font les frais de la fureur de leur combat »

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