L’Union africaine et la justice internationale

La lutte contre l’impunité figure en bonne place dans l’acte constitutif de l’organisation continentale et les discours officiels ou informels sur la répression des crimes internationaux. Mais en fait, les comportements sont contraires aux déclarations, suscitant ainsi une profonde indignation dans les rangs des défenseurs des droits de l’être humain. Depuis plus d’un an, l’union africaine s’emploie à imposer la non coopération avec la cour pénale internationale aux Etats du continent qui, dans l’exercice de leur souveraineté, ont ratifié le statut de Rome du 17 Juillet 1998. Ces Etats continuent alors de s’abstenir d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la CPI contre le président soudanais, sous prétexte que le plus important est la préservation de la paix dans la région. Cet argument spécieux est fort regrettable, parce que sapant délibérément les objectifs de la justice internationale. Ce que l’on doit savoir, c’est que le droit international contemporain impose à tous les Etats la répression des crimes internationaux, et c’est l’enfreindre que de se soustraire d’une manière ou d’une autre à cette obligation. Au lieu de se préoccuper convenablement du sort des victimes, l’union africaine s’est assigné comme tâche, la défense mordicus de Omar EL Bachir à travers des demandes de sursis à poursuivre adressées au conseil de sécurité. A l’heure actuelle, elle se perme aussi de soutenir de façon claire et nette la demande de sursis à enquêter sur certaines personnes, adressée au même conseil par le gouvernement kényan.

Le Kenya, n’ayant pas pris les dispositions d’ordre juridique requises pour juger les auteurs des violences survenues au sujet des élections de 2007, la cour pénale internationale a cru devoir agir à sa place en vertu du principe de subsidiarité inscrit en bonne place dans le statut de Rome que le gouvernement kényan a ratifié. Les officiels de haut rang, impliqués dans ces violences, faisant l’objet d‘une enquête entreprise par la CPI, ce gouvernement a voulu les protéger par un gel inacceptable à travers un sursis qu’accordera le conseil de sécurité en vertu de l’article 16 du traité fondateur du 17Juillet 1998.Un tel gel ne peut constituer qu’une violation du droit international contemporain. Car, le sursis à enquêter ne saurait être décidé de façon fantaisiste pour plaire à un gouvernement ou ’une organisation continentale. C’est une procédure que le conseil de sécurité adopte dans des cas extrêmement rares pour ne pas mettre par exemple en péril des négociations visant réellement la paix entre des parties en conflit. Il est donc évident que l’exercice par la cour pénale internationale de sa compétence subsidiaire, en raison de l’inaction manifeste de la justice kényane ne compromet rien, et que la demande de sursis est dénuée de tout fondement juridique. L’opinion publique trouve tout à fait ahurissant le soutien délibéré que l’Union africaine apporte au gouvernement kényan dans sa démarche, un soutien qui met encore une fois en exergue, le refus viscéral de coopération à divers égards. De toute évidence, il n’y a pas de la part de la CPI une menace contre la paix et la sécurité internationales. On constate avec bonheur, avec une joie inestimable que, malgré tout, la justice internationale fait son chemin. Le conseil de sécurité vient de déférer l’affaire libyenne à la cour pénale internationale aux fins d’enquêtes et de poursuites éventuelles. C’est très important de préciser que l’action du procureur de la CPI n’est pas automatique et qu’il lui appartient de vérifier si les exactions portées à sa connaissance ont atteint un niveau donné lui permettant d’agir avec l’autorisation de la chambre préliminaire. Autre constatation : pendant que l’Union européenne et la ligue arabe réagissent vigoureusement au regard de la situation en Lybie, l’Union africaine se complaît à notre avis dans une déclaration empreinte de mollesse.

Que doit faire l’organisation face à l’intérêt que l’on accorde en ce moment à la cour pénale internationale?

La réponse est que, vu le rôle assigné à cette jeune juridiction pénale internationale, il faut absolument qu’elle s’efforce tant soit peu de repenser sa position. La toute première chose qui mérite d’être recommandée, c’est de cesser dans l’immédiat d’empêcher ses membres, notamment les Etats parties au traité de Rome, de coopérer avec la CPI dans l’arrestation et la remise de Omar El Bachir à la Haye. Nous affirmons avec force et sans ménagement que tout auteur présumé de crimes internationaux doit être jugé par une juridiction nationale ou internationale, qu’il fût chef d’Etat ou balayeur de rue. Si le conseil de sécurité défère à la CPI une situation de violations massives et macabres des droits de l’homme et du droit international humanitaire, c’est qu’il entend à bon droit agir en vue de préserver la dignité humaine et de garantir ipso facto la paix et la sécurité internationales. Nous avons besoin de cette paix sur notre continent en vue de parvenir au développement perçu comme un droit de l’homme. En toute logique, l’Union africaine devrait inciter ses Etats membres à ratifier le traité fondateur de la cour pénale internationale dont la vocation est d’œuvrer pour la paix à travers la lutte contre l’impunité. Rien, à notre sens, n’empêche l’organisation continentale d’encourager ses membres à adopter et appliquer effectivement la compétence universelle pour certains crimes de droit international, un mécanisme qui met en relief la volonté de faire en sorte qu’il n’y ait de havre nulle part pour les auteurs de ces crimes. C’est heureux que la communauté internationale considère que la CPI est indispensable au regard de la nécessité de réprimer les exactions les plus abominables, puisque l’affaire libyenne qui vient de lui être déférée a l’assentiment de l’immense majorité. Dans ce contexte, l’Union africaine se ridiculiserait en se cantonnant dans le refus de coopérer avec la jeune juridiction pénale internationale au sujet de Omar EL Bachir, et de la Libye éventuellement. De nos jours, il est essentiel de retenir que les droits de l’homme et les normes du droit international humanitaire sont à protéger à tout prix, et que nul n’est censé ignorer que ceux qui les transgressent sont tenus d’en répondre d’une manière ou d’une autre. Tout cela illustre fort bien pour chaque Etat, le principe de la responsabilité de protéger, ainsi que le devoir de la communauté internationale de châtier tout chef d’Etat pris en flagrant délit de non respect de ce principe fondamental. Le seul instrument de répression des exactions les plus graves sur le plan international est bel et bien la cour pénale internationale, au sujet de laquelle, l’Union africaine doit revoir sa copie comme on le dit en français familier.

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