France - Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. La ritournelle sécuritaire voire ultra-sécuritaire qui a longtemps caractérisé le discours politique de la droite en France n’a peut-être pas connu la plus catastrophique de ses issues en 2002 quand le Premier Ministre Lionel Jospin a été écarté du second tour de la présidentielle par les électeurs au profit du leader d’extrême-droite Jean-Marie Le Pen. En 2012, c’est encore pire qui se prépare : la qualification, en tête, de la nouvelle égérie du Front national, la fille de son père, Marine Le Pen. Ces dix dernières années ont été consacrées à ce qu’on en arrive là. Dans tous les camps, mais surtout à droite. Consciemment ou inconsciemment.
Un sondage publié ce dimanche crée des frissons et des frictions dans les Etats-majors politiques de l’hexagone. Il donne la candidate déclarée du Front national en tête de la présidentielle de 2012 en France devant la Chef de file des socialistes Martine Aubry et le Président Nicolas Sarkozy, au cas où le scrutin aurait lieu par les temps actuels. Tsunami. Personne depuis bien des mois, n’avait semble-t-il songé à ausculter l’opinion publique française en ces termes exacts, qui excluent la candidature de certains poids lourds comme Dominique Strauss-Kahn, et mettent en vedette Marine Le Pen dont la popularité va croissant. La preuve. Sans préjudice de la valeur scientifique toute relative que l’on doit donner à ce type de consultation de l’opinion publique, il y a une petite analyse qui mérite d’être faite sur les projections annoncées.
Sa montée en puissance, Marine Le Pen la doit d’abord à elle-même. A son image racée, en bien de point opposée à celle infiniment plus teigneuse de son géniteur. Elle la doit également au discours xénophobe de son parti dont elle a débarrassé quelques grossièretés sans pour autant renoncer à la matrice, à la substance constitutive. Ce discours ultranationaliste qui entend faire de chaque habitant de la France un Français ou à le prier de déguerpir. Ce discours ouvertement raciste et antimusulman. De là à croire que les Français sont devenus racistes et xénophobes, il n’y a qu’un pas. Que la droite traditionnelle a de temps à autre franchi sans l’avouer ces dernières années, à travers des propos et des initiatives plus portées par les théories d’extrême droite que jamais auparavant on ne l’avait vu dans la cinquième république. Le débat sur l’identité nationale, les prises de position du gouvernement et de son chef sur le port du voile, sur la prière dans la rue des musulmans, etc., ont illustré l’éternelle course de la droite aux trousses de son extrême, sauf que contrairement à l’effet de 2007 où le parti de Jean-Marie Le Pen s’est retrouvé avec le plus faible score jamais obtenu à une présidentielle, c’est cette fois-ci la droite qui en paye le prix. Pour l’instant dans les intentions de vote.
Il était très probable que cet effet boomerang allait finir par se produire. A l’occurrence de sa prise de fonction, Nicolas Sarkozy, soucieux de rogner sur tous les électorats classiques de France a annoncé sa fameuse politique d’« ouverture ». Pour un président qui s’était fait élire notamment sur les thèmes de l’extrême droite, gouverner en concordance avec des politiques alliant personnalités et des idées de gauche, de droite et du centre était un pari risqué. Qu’il a visiblement perdu. L’ouverture à gauche n’est plus qu’un vague souvenir et les percées de Marine dans l’électorat de droite ne risquent pas de changer cet état de choses. Bien au contraire. Car aujourd’hui, c’est l’extrême-droite qui chasse sur les terres de la droite et pour se tirer de ce mauvais pas qui risque de lui coûter sa qualification pour le second tour de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy va bientôt nous ramener son vocabulaire musclé au « Karcher ».
Quant à la gauche dont l’absence de programme et de vision claire alimente la déviance, elle a peut-être de quoi se réjouir cyniquement de ce sondage d’opinion, puisque de toute façons, c’est visiblement la droite qui y perd son latin et des plumes. Comme pour la présidentielle de 2002, la droite n’aurait pas d’autre choix que d’appeler «la mort dans l’âme », comme disait Lionel Jospin, à voter pour le candidat idéologiquement le plus acceptable, celui qui pourrait encore donner de la France l’illusion de la nation égalitariste, respectueuse des droits de l’homme, accueillante et hospitalière.
Que Marine Le Pen parvienne, ne serait-ce que dans les intentions de vote, à sembler pouvoir homologuer sa présence au second tour de la présidentielle en France est enfin un mauvais signal pour les Etrangers de France. Le « choc des civilisations » à petite échelle que connait le pays depuis plusieurs années ne pourra que s’en accentuer. Mettant Noirs et Blancs en porte-à-faux, Musulmans et laïcs conflit, Français de souche et Français d’adoption en adversité. Même si Marine ne sera sans doute jamais présidente de France, c’est un signal inquiétant que la France donne au reste du monde. Inquiétant et dangereux.