Des Béninois entièrement à part

Petite bande de terre en forme de poing levé et au pied enfoui dans l’eau salée de l’océan Atlantique, le Bénin est incontestablement un pays pluriethnique. Les statistiques annoncent plus d’une soixantaine de parlers jalonnant son univers sociolinguistique. De par son statut de république indépendante revêtue de l’acte de reconnaissance de la communauté des nations au plan international et ce, depuis le 1er août 1960, elle est certainement devenue «une et indivisible». Du moins aux termes des différentes Constitutions de notre Etat, lesquelles ont cristallisé, depuis lors, le désir du «vivre ensemble» de ses  fils.  La forme physique du pays et son étendue, décidés dans l’esprit de diviser pour régner par l’impérialiste colon européen, lors du mémorable Congrès de Berlin de 1885, la forme physique du pays et son étendue disais-je, sont plus tard entérinés à la conférence constitutive de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) en 1963 à Addis Abeba en Ethiopie. Il s’agit dorénavant, d’accepter à l’échelle du continent, de ne pas remettre en cause la souveraineté acquise de l’intangibilité des frontières héritées de ce rendez-vous colonial du partage du gâteau africain. En définitive, nul n’a envie de retourner le couteau dans la plaie, là où ça peut faire mal. Et déplacer, comme des blocs de pierre, les limites territoriales déjà consolidées, parait plus porteur de désordre que de paix entre Etats voisins. Même si, généralement, ceux-ci abritent les mêmes peuples de part et d’autres de leur frontière.

Une chose et son contraire…

Des peuples Yoruba, on en voit au Nigeria et au Bénin, d’où ils sont désormais des nationaux. Les Cotocoli vivent et se réclament de notre pays pendant que leurs frères de sang exhibent leur nationalité de l’autre côté, au Togo. Il en va de même des Ashanti au Ghana et en Côte-d’Ivoire, des peuples bantu disséminés dans la région des Grands Lacs, entre la Centrafrique, la RDC, le Congo Brazzaville, le Gabon … Ainsi donc, les représentants des peuples africains, que sont nos leaders politiques, chefs d’Etats et de gouvernements, ont signé pour nous, en l’absence du moindre referendum, tous les actes entérinant la question de l’intangibilité des frontières coloniales.

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Pourtant, de l’intérieur même des Etats, c’est encore ces leaders qui, pour mieux rester accrochés au pouvoir, instrumentalisent les acteurs sociaux dans le sens d’exacerber les concepts éculés de régionalisme, de tribalisme ou d’ethnocentrisme. Semant la peur et la haine de l’autre dans les cœurs, en lieu et place de la fraternité et de l’amour du prochain dont l’absence débouche parfois, çà et là, sur des affrontements fratricides sanglants qui prennent la forme de guerres civiles. Le faux concept de l’ivoirité qui déchire le peuple frère de Côte d’Ivoire ne peut mieux témoigner pour la présente thèse. Mais trêves de sociologie politique et d’histoire!

Dans le contexte béninois de l’heure, les risques d’un affrontement civil entre nos compatriotes sont si lointains. Il y a seulement lieu pour chacun de prendre la mesure de ses responsabilités et de veiller à ne poser, de par sa position, aucun acte susceptible de frustrer une frange, aussi minime, soit-elle, de la société. Sous aucun prétexte, on ne devrait marginaliser, en considération ni du sexe, ni de l’appartenance ethnique ou religieuse encore moins de la condition sociale des uns et des autres. Notre Loi fondamentale le prescrit. Globalement, il s’agit de faire en sorte que tous soient égaux devant l’Administration de l’Etat. Or, précisément, le principal et nouvel outil de gestion des élections au Bénin, notre Lépi nationale (Liste électorale permanente informatisée), par ailleurs outil de développement, a fini d’établir, au vu et au su de tout le monde, des catégories de Béninois. Les uns -des Béninois à part entière- ceux ayant le plein droit d’aller voter pour ou contre tel ou tel candidat de leur choix et d’accomplir ainsi leur devoir de citoyen en étant détenteurs de la carte d’électeur; les autres, des Béninois entièrement à part- ceux de seconde zone qui ne peuvent honorer ce devoir ni jouir de ce même droit. Cette deuxième catégorie de Béninois, assimilables à des apatrides, devrait attendre que dix ans bien comptés s’écoulent, pour se faire rétablir dans leurs droits. Ils sont plus du million et viennent d’être exclus de l’organisation du scrutin présidentiel du 13 mars. Malgré l’appel pressant lancé en direction des structures en charge des élections que sont la Cena et la Cps-Lepi, par nos anciens chefs de l’Etat, et l’adoption en procédure d’urgence de la loi dérogatoire qui exige d’intégrer tous les hommes et femmes de ce pays en âge de voter. L’opposition, habituée depuis la conférence nationale de 1990, à régler par consensus les divergences à caractère national est comme sonnée par le K.O du premier tour de l’élection présidentielle dernière. Et sans baisser les bras, elle continue de réclamer que les règles du jeu –notamment le toilettage de la liste électorale et sa publication par voie électronique- soient suffisamment claires et justes pour tous, d’ici avant la tenue des législatives. Dans deux semaines. Elle et les électeurs laissés en rade seront-ils entendus? Il faut attendre de voir le prochain passage en force des décideurs de la République qui auront certainement envie de prendre d’assaut ce qui reste de la citadelle démocratique: le Palais des Gouverneurs ou l’Assemblée nationale.

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