Plaidoyer contre un parlement godillot

Disons-le d’emblée: les législatives de samedi prochain seront décisives pour l’avenir du processus démocratique en cours dans notre pays, depuis l’historique conférence Nationale de février 1990. Elles  surviennent en effet au lendemain d’une élection présidentielle historique,  la plus controversée  du Renouveau démocratique et, qui s’est terminée comme chacun le sait, par un résultat inédit dans les annales électorales  de ce pays: le fameux K.O au premier tour.

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Elles sont décisives, disions–nous, pour l’avenir de notre démocratie,  parce que, si elles débouchaient sur un raz-de-marée en faveur du président élu, comme l’annoncent les séides du régime,  c’est la porte  ouverte à toutes les aventures. Le président “réformateur“ qui veut refonder la République bâtie de haute lutte  par les  fondateurs de la révolution de velours de février 1990, pourrait avoir des idées proches de celles qui ont conduit ailleurs à des présidences à vie.

 

Avec un président qui fonctionne, en permanence en tenue camouflée, qui gouverne, sans en avoir l’air, d’une main de fer dans un gant de velours,  qui donne l’impression de négocier avec ses adversaires sans rien lâcher,  et qui ordonne le passage en force quand il se sent acculé, avant de demander benoîtement pardon; un président qui sert  du «je vous aime» et du «je vous adore» à nos femmes, nos mères et nos filles, avec un tel président, on devrait tourner et retourner la langue sept fois, réfléchir encore et encore sur les conséquences immédiates et surtout lointaines de notre vote, avant de lui donner nos suffrages. Pourquoi?

Parce que le discours que lui et ses partisans de la 1ère et de la 25ème heure tiennent ces jours derniers a de quoi inquiéter les défenseurs de la démocratie et des libertés publiques. Lisez un morceau choisi de l’allocution prononcée, selon notre confrère «Le Matinal» dans son édition d’hier mardi 26 avril, dans la 18ème circonscription par le président Yayi soi-même le week-end de Pâques: «N’envoyez pas les députés qui vont passer leur temps à m’insulter. Il y en a qui vont pour manger Klui klui ou de l’arachide ou alors pour prendre des gongs et taper des tables comme des gamins. Alors, il ne faut pas envoyer ces députés-là au Parlement. Si vous le faites, c’est contre vous-mêmes. Les Français qui nous ont colonisés, ils ont gagné les présidentielles et ils ont gagné les législatives six mois après. Si le président est de droite, le Parlement est de droite. Si le président est de gauche, le Parlement est de gauche pour permettre au président d’exécuter le programme pour lequel les Français l’ont élu». Outre le caractère caricatural de la vision du député opposant, c’est l’exemple choisi pour illustrer ses propos qui fait dire que le président fait économie de vérité en ce qui concerne le  système politique français. Quid de la période dite de la cohabitation vécue par la même France deux fois dans l’histoire récente que notre président feint d’ignorer? Une fois sous Mitterrand,   président de gauche, avec un premier ministre de droite, un certain Jacques  Chirac. Une autre fois avec Lionel Jospin, un premier ministre de gauche contre le même  Chirac, fondateur du RPR (Rassemblement  pour la République), un parti de droite.

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La vérité que le président cache aux populations est que le régime politique français n’est pas identique à celui en cours chez nous depuis le Renouveau. En France, c’est un régime semi-parlementaire avec un président qui choisit son premier ministre dans le parti qui a gagné les législatives. Ici chez nous,  c’est un régime de type présidentiel, pour ne pas dire présidentialiste, qui concentre l’essentiel du pouvoir exécutif dans les mains du seul président. C’est ce qui a nous souvent fait dire ainsi qu’à certains juristes que notre exécutif est de type monarchique. Au demeurant, le président -l’expérience de ses vingt dernières années en témoigne- n’a pas besoin d’avoir la majorité au Parlement avant de mettre en œuvre le programme pour lequel il est élu. Quand il sait manœuvrer,  comme il l’a fait ces cinq dernières années, il peut par le jeu des alliances de circonstance, contrôler les autres institutions de contre-pouvoir.  On  l’a vu tout au long du quinquennat précédent. Sans le coup de pouce de la Cour constitutionnelle qui a jugé la loi dérogatoire sur la Lepi contraire à la Constitution, les élections n’auraient jamais pu être organisées sur la base la Lepi avec les conséquences que l’on sait. Et si les conseillers de la Haac n’étaient pas, tous complaisants vis-à-vis du pouvoir, l’organe de service public qu’est l’Ortb (Office de Radiodiffusion et de Télévision du Bénin) serait plus ouvert à toutes les forces politiques et sociales et l’information aurait été plus équilibrée comme elle ne l’est plus depuis avril 2006.

C’est dire que le président Boni Yayi n’a pas eu besoin de la majorité parlementaire pour caporaliser les institutions, tenir la classe politique en respect, instrumentaliser les médias et les organisations de la société civile. Le pouvoir exécutif qu’il détient, avec l’accès illimité et sans contrôle apparent aux fonds publics, faisant  de lui le plus grand distributeur de postes  politico-administratifs,  de marchés publics et de prébendes,  ce pouvoir exécutif–là est déjà très fort. Si  demain, il disposait de la majorité absolue au Parlement, on lui aurait ainsi offert le meilleur boulevard pour relooker la démocratie béninoise à sa guise et à la convenance des partisans de la «démocratie tropicalisée». Et le Bénin deviendrait un pays complètement «normalisé » à l’image du Tchad,  de la République Centrafricaine, du Togo, du Congo Brazza  et tutti quanti où, les résultats des élections présidentielles sont connus et annoncés longtemps à l’avance, comme ils l’ont été ici avec la connivence d’une certaine presse. Si au contraire, les prochaines législatives débouchaient sur un Parlement dominé par une certaine opposition ou à tout le moins sur un parlement où le pouvoir  ne détient pas une majorité écrasante et arrogante de députés godillots, le président-monarque peut être contraint à négocier avec sa classe politique, comme il ne l’a jamais fait sincèrement ces cinq dernières années, pour des réformes consensuelles qui ne mettent pas la démocratie  béninoise entre parenthèses.

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