Arifari Bako récompensé pour ses «loyaux» services

Le coordonnateur de la Commission politique de Supervision (Cps), celui-là qui s’est occupé à établir la mémorable Liste électorale permanente informatisée (Lépi) tient, depuis ce weekend, le gouvernail du ministère des Affaires étrangères. Il en donne ainsi la preuve que sa nomination au prestigieux poste de la diplomatie béninoise est loin d’être désintéressée totalement, pour ne rien avoir avec son dévouement de servir la cause du président-candidat à l’élection présidentielle du 13 mars 2011. Qui peut se sentir d’attaque pour venir soutenir, maintenant que le ciel du paysage politique national marque une éclaircie, qu’entre la mission de supervision de la Cps-Lépi et l’acte de nomination de son tout récent coordonnateur, il n’y a l’ombre d’aucune prise illégale d’intérêt?

Le délit de prise illégale d’intérêt est défini à l’article L. 432-12 du nouveau code pénal français –pays dont nous copions tout, y compris nos dispositions de loi pénales- comme étant: «Le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir et conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge de la surveillance, de l’administration, de la liquidation ou du paiement».

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Ce délit, conçu dans un but de prévention et de dissuasion, incrimine la confusion des intérêts privés des élus ou des personnes nommées à des postes de responsabilités publiques et les intérêts de la communauté.

Nassirou Arifari Bako est pressenti aux Affaires étrangères, moins de trois mois après la fin des travaux de sa Cps-Lépi et, peu de temps après le dépôt entériné de son rapport d’activités. De quoi fournir de l’eau au moulin de ceux qui le voyaient, lui le coordonnateur de la commission, dans ses faits, gestes et propos, en homme en mission commandée. Pour le pouvoir, bien évidemment. Du temps de l’établissement de la liste électorale informatisée, beaucoup d’encre et de salive ont coulé. Dans l’opinion, on soupçonnait Nassirou Bako Arifari -d’obédience proche du pouvoir- de ne donner que de fausses ou d’hypothétiques assurances et des promesses difficiles à tenir sur ses capacités –beaucoup plus éthiques- à conduire à bon port et sans fioritures les opérations d’enrôlement et de ratissage des électeurs. Il était exigé de lui, de publier, conformément au code électoral et à la Constitution, la liste électorale ainsi que le nombre d’électeurs et de bureaux de vote, sur l’ensemble du territoire national. Surtout dans le délai et en toute impartialité. Notamment, en l’absence du moindre œil inquisiteur que celui des représentants de l’opposition et de la société civile, lesquels ne siégeaient plus au sein de l’organe de supervision, depuis le départ fracassant de son seul représentant, l’honorable Epiphane Quenum, de la Renaissance du Bénin.

Un peu comme juge et partie

Nul n’avait en effet idée, ni de l’évolution ni de la qualité du travail sensible que le coordonnateur de la Cps-Lépi disait abattre, au mieux de sa bonne foi et de sa probité intellectuelle. Et il n’y avait que lui tout seul et sa conscience pour en témoigner. Or, la bonne foi étant toujours présumée, elle l’est davantage dans ce dossier à fort relent politique où, les pouvoirs publics à travers des gens nommés en considération de leur appartenance politique (dont Nassirou Bako, entre autres), allaient déterminer les populations à décider du choix de société, qu’ils croient le meilleur, pour leur destin collectif et individuel. Il s’agissait, en l’occurrence, pour tous les citoyens en âge de voter, une fois leur enrôlement établi et la carte d’électeur retirée, de désigner lors de la présidentielle et des élections législatives annoncées, des leaders au plus haut sommet de l’Etat, lesquels devraient être à même d’incarner leurs aspirations profondes pour  les représenter valablement, partout où besoin est. Hélas, ces demandes sont restées lettres mortes! Le minimum de garantie de fiabilité et de transparence que les uns et les autres recherchaient légitimement n’a pu être obtenu. Et ces gens crient déjà que «Arifari Bako est récompensé pour les loyaux services rendus», ajoutant que «il ne lui reste plus que d’être admis dans les ordres de la Grande chancellerie nationale». Pour entre décoré. A quel coût pour le pays?

La prise illégale d’intérêt est encore manifeste lorsque, Nassirou Arifari Bako, après son effort de mise en place des données statistiques de l’établissement des bases de la Lépi, 1ère édition, en arrive à être candidat, sautant immédiatement de ses deux pieds joints, de son poste de coordonnateur au statut de candidat aux élections législatives dont il aura assuré, pour partie, les préparatifs. Comme juge et partie.

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On objectera qu’aucun texte ne l’interdit rigoureusement. En attendant que les juristes -dont c’est le boulot au quotidien- ne nous apportent l’éclairage nécessaire en la matière, on peut affirmer qu’en l’absence de tout texte l’interdisant formellement, la jurisprudence et surtout le bon sens devraient nous en dissuader. Pour éviter des remous et contestations inutiles du corps social.

On se rappelle, en l’espèce, que pour que Nassirou Bako Arifari en vienne à se défendre, de temps à autres et, parfois maladroitement contre ses nombreux détracteurs, des griefs précis avaient pu être formulés à son encontre, faisant état d’électeurs potentiels –plus du million de personnes- qui risquaient d’être laissés en rade et qui l’ont été finalement. En conséquence, leurs noms n’auront pas été enregistrés, jusqu’à l’heure où nous écrivons ces lignes. Beaucoup doutaient aussi de la possibilité, au regard du temps perdu, que la Cps-Lépi et la Céna (Commission électorale nationale autonome) puissent tenir dans le temps très court qui leur était imparti. De guerre lasse, à espérer que le pouvoir fasse se dégager un consensus sur le sujet, une table ronde initiée par le président Emile Derlin Zinsou, soutenu en cela par son homologue Nicéphore Dieudonné Soglo, est venue faire baisser la tension. Heureusement. Cela aboutit à faire prendre à l’Assemble nationale, quelques jours plus tard, une loi dite dérogatoire permettant aux structures organisatrices des élections de pouvoir enregistrer tout le monde. Mais dans leur entêtement à faire passer comme en force et, en l’état, la Lépi, afin d’inviter le corps électoral à aller aux urnes, le 13 mars 2011, les institutions impliquées dans l’organisation des élections ont causé du tort à de nombreux compatriotes qui ne détiennent pas aujourd’hui leur carte d’électeur. Ils n’ont donc pu ni accomplir leur devoir citoyen lors de la présidentielle encore moins lors des élections législatives. Et cela le sera pour dix ans, encore. Entretemps, les municipales vont y passer.

Le délit de prise illégale d’intérêt dénoncé à travers ces lignes a pu être enregistré en d’autres circonstances. On se souvient qu’ayant dirigé, une structure de supervision de l’élection présidentielle de 2001, pour le compte de la société civile, le professeur Dorothée Sossa, est, immédiatement après, parachuté au poste de ministre de l’Enseignement supérieur. Pourtant, le rôle qu’il a joué dans le mécanisme de supervision et pour lequel les conclusions du rapport de sa structure sont restées déterminantes pour la validation des résultats de ladite élection, ne l’autorisait plus à prendre une quelconque part au 1er gouvernement du deuxième quinquennat du général Kérékou. Le tollé que cela a suscité est encore vivace dans les esprits. Mais plus proche de nous demeure la mise en place de l’institution dite de médiation, dénommée «Médiateur de la République» qui est l’œuvre intellectuelle de l’autre professeur –Albert Tévoédjrè, pour ne pas le nommer.  Dans les pays où la transparence est la règle d’or et la bonne gouvernance, une règle de vie, personne n’accepterait que ce soit celui qui a fait du lobbying et fait rédiger les textes fondamentaux d’une institution publique qui en prenne la direction, aussitôt après son adoption par l’Assemblée nationale suivi du chef de l’Etat qui signe son décret d’application. Trêve de commentaires.

On aura tous compris que la frontière entre une mission d’intérêt publique et une entreprise privée est extrêmement ténue pour admettre que les pouvoirs n’aident pas à en délimiter les contours de l’une par rapport à l’autre. Emmanuel S. Tachin

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