Grandeurs et misères du poste ministériel

Comment devient-on ministre au Bénin? La question vaut la peine d’être posée au regard de l’actualité brûlante de ces derniers jours, où des jours et des semaines durant, les canards ont rivalisé d’imagination pour supputer sur les chances des uns et des autres de faire partie ou non de l’équipe définitive que retiendra le patron du Palais de la Marina. Pour notre part, à «La Nouvelle Tribune», nous nous sommes toujours efforcés de nous mettre à l’écart d’un exercice qui s’apparente plutôt à de la manipulation si ce n’est pas carrément de la désinformation.

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Tout le monde connaît la méthode qui a fait florès sous d’autres cieux: on fait circuler par médias interposés des noms, histoire de jauger l’opinion avant de sortir  «la liste». Houphouët Boigny, disait-on, est passé maître dans ce jeu et les histoires fourmillent en Eburnie de ses «ministres d’un jour» qui ont sablé le champagne avant de découvrir le lendemain que leurs noms ne figurent pas sur la liste des heureux élus.

Notre position  repose sur la conviction profonde, que notre pays n’est pas «un pays normal»,  c’est-à-dire une démocratie comme les autres où on peut faire des pronostics qui ne risquent pas de se révéler faux. Ailleurs, dans les démocraties qu’on admire, ne devient pas ministre qui veut. Après une élection, on sait toujours qui peut et qui va être ministre. Le ministre c’est ce cadre du parti aspirant au pouvoir qui a mené un certain nombre de réflexions dans son domaine de compétence. Qui,  une fois nommé, ne met pas six mois à un an pour trouver ses marques. Il arrive le premier  jour  au  poste ou presque et sait déjà quoi faire. C’est ce qui se passe en France et en Grande Bretagne pour ne citer que ces deux pays. Dans ce dernier pays, les choses vont d’autant plus vite que le ministre entrant est généralement celui qui dirigeait le portefeuille dans le «shadow cabinet» que le leader de l’opposition a mis en place pour marquer à la culotte le gouvernement élu. Au Canada et surtout au Québec, pays de tradition anglo-saxonne, le ministre est toujours un élu, député ou maire, en tout cas, quelqu’un qui détient un mandat et qui a un électorat, à qui il doit rendre des comptes. Rien à voir avec notre pays où, on renvoie les ministres élus au parlement pour les remplacer par d’illustres inconnus sortis de nulle part. Le principe de la reddition des comptes, celui d’avoir à rendre compte à des gens qui vous ont élu et que vous représentez, vous oblige constamment à faire attention dans la gestion de votre poste ministériel qui est loin d’être la sinécure qu’il est sous nos cieux. D’ailleurs, au Canada comme au Québec ainsi qu’au Royaume Uni, le ministre-député siège au parlement quand il n’est pas pris par ses occupations ministérielles.

Rien de tel chez nous au Bénin où les partis n’existent que de nom, pour ne rien  dire  des programmes  ni  des compétences. Qui, dans chacun de nos clubs électoraux tenant lieu de partis a mené une réflexion globale sur l’éducation de base par exemple et dont le nom fini par s’y rattacher? Qui peut répondre de comment nos maîtres d’école doivent être formés hic et nunc, selon quel critère et avec  quel diplôme? Quelqu’un dans un parti quelconque a –t-il mené la réflexion de savoir s’il faut continuer à former les maîtres de l’enseignement primaire avec le Bepc que des pays comme la Côte d’Ivoire ont abandonné depuis une vingtaine d’années au profit du Bac? Dans un autre domaine comme les télécommunications aujourd’hui à l’heure de l’Internet et des e-business que de pistes de réflexions à ouvrir. Qui dans nos partis a mené la réflexion sur la rentabilité ou non de Bénin Telecom Sa et sur la nécessité de la restructurer avec des capitaux nationaux ou non comme l’ont fait les dirigeants pour sa sœur, la Sonatel du Sénégal, pour en faire un vrai outil de développement? Quelle solution alternative nos partis nous proposent-ils devant la volonté manifeste du gouvernement de brader ce patrimoine national acquis au prix de la sueur des travailleurs de ce pays ? Et la question massive qui découle des précédentes est: qui donc au Fcbe ou ailleurs s’impose par son nom et sa compétence pour devenir ministre de l’enseignement de base ou des télécoms à l’heure où tout le pays est coupé du monde après une  simple rupture d’un câble sous-marin?

Alors, on en vient au Bénin à chaque remaniement à un exercice à la fois puéril, futile et dangereux, puisqu’en alignant des noms qui seront disqualifiés par la suite, on joue à vil prix avec les nerfs et la vie de nos compatriotes. Imaginez la joie et la détresse qui ont régné dans certaines familles, entre samedi et dimanche soir, lorsque des journaux et une télévision ont écrit que tel ou tel va être ministre! Avec le président Yayi,  nous avons découvert que le voisin d’en face, le camarade de lycée sans parcours politique ni associatif peut devenir ministre. Les gens deviennent ministres, comme jadis M. Jourdain de Molière faisait des vers… sans en avoir l’air. Et vient alors la question lancinante qui découle de celle par laquelle nous avons commencé notre propos. Comment cesse-t-on d’être ministre?

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La réponse coule de source. Comme on devient ministre par hasard, ainsi cesse-t-on de l’être. Du jour au lendemain! Celui qui s’est défoncé comme un fou,  volant d’avion en avion de conférence en conférence, celui qui s’est plié en quatre pour aider le chef à trouver des astuces, à gagner des suffrages pour contourner la loi et la classe politique et qui croit «perdurer» à son poste se leurre. Boni Yayi a démystifié et démythifié pour longtemps le poste ministériel qui n’est plus perçu comme le sommet de la carrière d’un homme politique moyen qui n’aspire pas au pouvoir suprême. Les ministres de Yayi sont corvéables et «licenciables» à merci. En regardant le chef de l’Etat fonctionner ces cinq dernières années, on peut le comparer à nos musiciens et autres chansonniers. Sur le vinyl d’avant-hier, la cassette d’hier, ou le cd d’aujourd’hui, il n’y a guère que deux ou trois morceaux à succès. Les autres ne sont que du remplissage. Il nous faut faire beaucoup d’effort pour reconnaître que les autres morceaux sont du même auteur. Il en va ainsi des gouvernements de Yayi: deux ou trois bons ministres et le reste, ce sont «des gbègonou» ou figurants, en langue locale Fon. A peine ont-ils le temps de goûter à la joie de la surprise d’être promus qu’ils apprennent un beau matin par une bande défilante d’une télévision privée qu’ils ne sont plus ministres. Alors question: qu’est-ce qui donc fait courir nombre de nos compatriotes vers des postes ministériels ainsi vidés de leur contenu?

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