Decret de revalorisation des salaires aux Finances: la Cour casse et met Yayi en difficulté

La Cour constitutionnelle vient de prendre sa décision DCC 11-042 du 12 Juin 2011 qui remet les pendules à l’heure, du côté des travailleurs du ministère des Finances. Ces derniers ont récemment clamé, tout heureux, avoir réussi à faire infléchir la position du gouvernement –lequel a relevé leur grille indiciaire de 1,25- quant à leurs revendications. Hélas, suite à un recours, la Haute Juridiction, par sa décision, ici reproduite, y met un terme.

Publicité

Au motif, entre autres, que la mesure d’augmentation des salaires aux seuls agents des Finances est contraire aux dispositions de la Constitution béninoise, pour autant que le gouvernement n’est pas en mesure d’être équitable envers ses travailleurs de toute la Fonction publique. Et les 7 Sages de décréter, par le biais de leur décision, l’inopportunité de la grève des travailleurs regroupés au sein de la Coalition des Organisations syndicales de l’Administration publique (Cosynap), actuellement à couteaux tirés avec le gouvernement. La Cosynap s’est, en effet, prévalu de l’augmentation dont ont bénéficié leurs collègues des administrations des Finances et à laquelle ses militants n’ont pas eu droit, pour décider des actions de débrayage de 72 heures renouvelables tous les mardis, et en cours, depuis la semaine dernière. Et on se demande d’ores déjà la qualité de l’accueil que le monde syndical béninois, dans son ensemble, va réserver à la décision ainsi prise et qui, du fait de son origine, n’est pas susceptible de recours.

 

L’extrait du relevé n°14bis/PR/SGG/Com du Conseil des Ministres du 27 avril 2011 ainsi que celles contenues dans le Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011, qui instituent le coefficient de 1,25 de revalorisation des traitements indiciaires au profit uniquement des agents du Ministère de l’Economie et des Finances, violent les Conventions 100 et 111 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiées par le Bénin, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981, la Loi n° 86-013 portant Statut général des Agents Permanents de l’Etat du 26 février 1986, ainsi que plusieurs dispositions de la Constitution du 11 décembre 1990 (Préambule, articles 25, 30, 35, 36, etc.).

Publicité

De la violation du principe de l’égalité des citoyens devant la loi et de la discrimination dans le traitement salarial La « Convention n°100 sur l’égalité de rémunération» adoptée par l’Assemblée générale de l’OIT le 29 juin 1951 et entrée en vigueur le 23 mai 1953, dispose en son article 2 que :

«Chaque membre devra par les moyens adaptés aux méthodes en vigueur pour la fixation des taux de rémunération, encourager et, dans la mesure où ceci est compatible avec lesdites méthodes, assurer l’application à tous les travailleurs du principe de l’égalité de rémunération entre la main-d’oeuvre masculine et la main-d’oeuvre féminine pour un travail à valeur égale. Ce principe pourra être appliqué au moyen a) soit de la législation nationale : b) soit de tout système de fixation de la rémunération établi ou reconnu par la législation ».

Aux termes de cet article 2, la norme internationale interdit toute discrimination fondée sur le sexe ou toute autre disparité dans la rémunération du travail et par surcroît toute discrimination fondée sur les appartenances à des secteurs différents d’activité pourtant régis par une même loi. La Loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant Statut général des Agents Permanents de l’Etat, qui régit la fonction publique béninoise accorde un traitement égal à diplôme égal ou grade égal. En dehors des considérations d’ordre catégoriel, cette loi ne distingue pas entre les agents de la fonction publique, sauf ceux ayant des statuts particuliers (art.7). Or dans le cas présent, contrairement aux agents des Forces armées et de police, de l’Enseignement supérieur et de la Magistrature, les agents du Ministère de 3l’Economie et des Finances qui bénéficient d’un traitement préférentiel du fait du Décret n° 2011-335 ne disposent pas d’un statut particulier qui leur accorde des avantages autres que ceux prévus de façon générale par la même Loi n° 86-013. Le Décret 2011-335 n’institue pas un statut particulier au profit des Agents du Ministère de l’Economie et des Finances et donc ne peut servir de base à un traitement distinct avantageux pour eux. En distinguant là où la loi n’a pas distingué, le Gouvernement viole un principe général de droit.

Par ailleurs, la discrimination dans le traitement des citoyens de façon générale constitue une violation des droits énoncés dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 en son article 15 qui dispose que « Toute personne a le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de recevoir un salaire égal pour un travail égal », ainsi que de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, en ce sens qu’elle ne respecte pas un principe général de droit, celui de l’égalité de tous devant la loi. Etant donné que ces deux textes fondamentaux sont partie intégrante de la Constitution béninoise, tel que réaffirmé au point 4 de son Préambule, la discrimination  de traitement dans son principe viole la Constitution du 11 décembre 1990.

La Convention n° 111 de l’OIT relative à la discrimination dans l’emploi et la profession, en date du 25 juin 1958, entrée en vigueur le 15 juin 1960, dispose en son article 1er : « 1. Aux fins de la présente Convention, le terme « discrimination» comprend : a) toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité des chances ou  de traitement en matière d’emploi ou de profession ; b) toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité des chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession… ».

Une lecture croisée de ces différentes dispositions internationales, en relation avec la Constitution du Bénin et la Loi n° 86-013 du 26 février 1986, montre clairement que le Décret 4 2011-335 du 29 avril 2011 institue un régime de discrimination dans le traitement des Agents permanents de l’Etat d’une même fonction publique. C’est ce que relèvent d’ailleurs les syndicats des travailleurs réunis au sein de la COSYNAP (Coalition des syndicats de l’administration publique), qui, dans leur motion de grève en date du 7 juin 2011 invoquent en ces termes : «Considérant que les mesures contenues dans l’extrait du relevé n° 14 du Conseil des Ministres du 27 avril 2011 et celles du Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 instituant le coefficient (1,25) de revalorisation des traitements indiciaires au profit des seuls agents du Ministère de l’Economie et des Finances, sont de nature discriminatoire et participent de la division des travailleurs d’une même administration publique; toutes choses contraires à la préservation de la paix sociale, l’unité nationale et la cohésion sociale dont sont investis en priorité, le Chef de l’Etat et les membres du Gouvernement. ».

Ainsi, les mesures prises par le Gouvernement dans le Décret 2011-335 sont discriminatoires et partiales en ce sens qu’elles créent un régime préférentiel pour des agents d’un secteur de la fonction publique, en l’occurrence les agents du Ministère de l’Economie et des Finances, et par conséquent ne sont pas fondées sur les principes de l’équité et de l’égalité de traitement des agents régis par une même loi. Elles introduisent des régimes de privilèges et de distinctions préférentielles là où la loi ne distingue pas. Ce décret constitue donc l’expression d’une violation flagrante de la Constitution en son article 26, alinéa 1 qui dispose que :

« L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale ».

Or, le Décret 2011-335 accorde des traitements salariaux discriminatoires aux agents du Ministère de l’Economie et des Finances, à l’exclusion des agents des autres ministères pourtant régis par la même Loi n° 86-013. En introduisant une discrimination au profit d’une catégorie de travailleurs, le Gouvernement viole aussi l’article 30 de la Constitution qui dispose que :

«L’Etat reconnaît à tous les citoyens le droit au travail et s’efforce de créer les conditions qui rendent la jouissance de ce droit effective et garantissent au travailleur la juste rétribution de ses services ou de sa production ».

Ici, le Décret 2011-335 ne garantit pas la juste rétribution de leurs services de manière uniforme à tous les travailleurs régis par la Loi n° 86-013. C’est ce que les syndicats des travailleurs eux-mêmes constatent en: «considérant que le traitement indiciaire des agents de l’Etat régis par un même texte de loi (la Loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant Statut général des Agents permanents de l’Etat) ne peut varier d’un ministère à un autre» (cf. motion de grève du COSYNAP en date du 7 juin 2011).

Pour n’avoir pas pris des mesures d’ordre général au profit de tous les travailleurs à la fois, le Gouvernement n’a pas agi en toute impartialité et avec compétence dans l’intérêt et le respect du bien commun. En agissant comme il l’a fait, le Gouvernement a violé aussi l’article 35 de la Constitution qui dispose que :

« Les citoyens chargés d’une fonction publique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ».

En prenant des mesures partiales et discriminatoires qui ont entraîné des mouvements de grève et de protestations chez les travailleurs exclus des bénéfices, donc des actions qui menacent la paix et la cohésion sociale, le Gouvernement n’a pas fait preuve de respect et de considération à l’égard d’une grande partie des travailleurs et viole ainsi l’article 36 de la Constitution qui dispose que :

«Chaque béninois a le devoir de respecter et de considérer son semblable sans discrimination aucune et d’entretenir avec les autres des relations qui permettent de sauvegarder, de renforcer et de promouvoir le respect, le dialogue et la tolérance réciproque en vue de la paix et de la cohésion sociale», toutes choses que les syndicalistes ont stigmatisées dans leur motion de grève en date du 7 juin 2011. De la violation du Consensus national par le Décret 2011-335 Lorsque les Députés à l’Assemblée nationale avaient modifié unilatéralement la Constitution pour proroger leur mandat de 6quatre (4) à cinq (5) ans en 2006, la Cour Constitutionnelle a rendu une décision invoquant le Consensus national comme un principe à valeur constitutionnelle. Il s’agit de la Décision DCC 07-074 du 08 juillet 2006 …

En partant de cette Décision et des considérations qui la fondent, on peut affirmer sans risque de se tromper que le Décret 2011-335, en créant une situation d’inégalité entre des citoyens Agents Permanents de l’Etat régis par la même Loi 86-013, constitue une violation d’un Consensus national consacré justement par cette loi votée par l’Assemblée nationale révolutionnaire le 26 février 1986.

Ainsi, chaque fois qu’une décision d’une institution de la République a pour effet de rompre le Consensus national, principe à valeur constitutionnelle, elle constitue une menace à la cohésion sociale et à l’unité nationale. Il se trouve que dans le cas du Décret 2011-335, la discrimination de traitement salarial qu’il introduit dans la fonction publique est source de rupture de la paix sociale et de menace à l’intérêt général, en ce sens qu’il est aujourd’hui devenu la cause principale de la rupture de la continuité du service public à travers le déclenchement de deux grèves successives les 30 et 31 mai 2011 et du 14 au 16 juin 2011 par un collectif de syndicats de base sans se référer aux centrales syndicales. Il y a là un signe de désagrégation même des

institutions représentatives des travailleurs.

Devant les nombreux risques d’une part, de discontinuité du service public portant ainsi atteinte aux droits des citoyens usagers du service public, de menace à la paix et à la cohésion sociales dont la preuve est donnée par la multiplication des grèves; d’autre part de désordre social et organisationnel qui se traduit par l’émergence spontanée de nouvelles formes de regroupements syndicaux sans base juridique comme le COSYNAP, signe d’une certaine anarchie sociale mais aussi d’une

dé-légitimation des organisations représentatives du monde des travailleurs, notamment les centrales syndicales, on peut affirmer que le Décret 2011-335 constitue une véritable source de rupture du consensus social au Bénin. En conséquence, il est contraire à l’esprit de la Constitution et des acquis de la Conférence des Forces vives de la Nation de février 1990, et devra donc être déclaré anticonstitutionnel.

La violation des engagements internationaux

Le Bénin est engagé depuis plus de deux décennies dans  différents programmes tantôt d’ajustement structurel (PAS), tantôt de stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté (SCRP) avec le Fonds Monétaire International (FMI). Ces différents programmes sont assortis de conditionnalités qui fixent les cadres de dépenses à court et moyen termes et qui ont fait l’objet d’accords avec notre pays. Ainsi, le FMI fixe un cadre des dépenses salariales entre 25 et 35% des recettes totales inscrites au budget général de l’Etat. Or, avant même le Décret 2011-335, le Bénin a dépassé le plafond des 35%. Cette situation a donné lieu à des négociations difficiles pour l’obtention de la Lettre de confort du FMI au moment de l’élaboration du budget général de l’Etat, exercice 2011. Dans ces conditions, le Décret 2011-335  qui a pour conséquence d’aggraver la part des dépenses salariales  dans le budget de l’Etat au-delà de ce que les Accords avec le FMI autorisent, est une violation de la Constitution, en ce sens que les Accords et Traités internationaux représentent une norme juridique supérieure reconnue par cette même Constitution.

Au vu de tout ce qui précède, qu’il plaise à la Cour Constitutionnelle de déclarer non conformes aux lois et à la Constitution les mesures contenues dans l’extrait du relevé n° 14  du Conseil des Ministres du 27 avril 2011 ainsi que le Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 qui en a découlé.

Telle est la substance du présent recours, dont la prise en compte permettrait d’annuler les dispositions qui induisent des traitements salariaux discriminatoires dans la fonction publique, et d’amener le Gouvernement à ouvrir de nouvelles négociations avec les syndicats des travailleurs, en vue de parvenir à la prise en compte équitable de tous les travailleurs de la fonction publique tout en restant dans le cadre des lois et de la Constitution ainsi que des engagements internationaux souscrits par notre pays » ;

Considérant que la requérante a joint à son recours les pièces ci-après :

1 – Relevé n°14bis/PR/SGG/Com. du Conseil des Ministres du 27 avril 2011.

2 – Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011

3 – Convention n° 100 de l’OIT du 29 juin 1951

4 – Convention n° 111 de l’OIT du 25 juin 1958

5 – Motion de grève du 7 juin 2011 du C0SYNAP ;

INSTRUCTION DU RECOURS

Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la Haute Juridiction, Monsieur le Président de la République affirme : « Les agents permanents et contractuels de l’Etat en service au Ministère de l’Economie et des Finances sont ceux qui sont chargés, entre autres, de la mobilisation des recettes publiques. Ce sont ces ressources qui permettent à l’Etat de faire face aux dépenses publiques en général et aux dépenses de souveraineté en particulier (salaires, pensions, bourses, etc.). Ces agents sont régis par la Loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des Agents Permanents de l’Etat. Aux termes de cette loi, un traitement égal à diplôme égal ou grade égal est accordé à tous les Agents Permanents de l’Etat. C’est dire, qu’en dehors des considérations d’ordre catégoriel, cette loi ne fait pas de distinction entre les agents de la fonction publique sauf ceux ayant des statuts particuliers comme par exemple, les agents des Forces Armées et de Police et ceux de l’Enseignement Supérieur et de la Magistrature (cf. article 7 de ladite loi). Au jour d’aujourd’hui, les travailleurs du Ministère de l’Economie et des Finances ne disposent pas de statut particulier …

Pendant près de huit (08) mois, les agents du Ministère de l’Economie et des Finances ont observé un mouvement de grève de soixante douze (72) heures par semaine qui a perturbé le bon fonctionnement des régies et paralysé presque le fonctionnement régulier des Institutions de la République.

Cette situation de débrayage permanent au niveau du Ministère de l’Economie et des Finances a entraîné la baisse drastique des recettes et engendré de sérieuses difficultés pour l’Etat à faire face à ses charges et à assumer convenablement ses missions régaliennes.

Le motif initial de la grève était le prétexte de l’affaire DANGNIVO, mais chemin faisant, ce prétexte s’est mué en revendication de revalorisation du point indiciaire du traitement salarial des agents du Ministère de l’Economie et des Finances.

C’est dans ce contexte de crise qui perdurait que le Gouvernement, dans son souci de baisser la tension et de garantir aux citoyens béninois un climat apaisé, a engagé des négociations avec les travailleurs représentés par les responsables de leurs différentes centrales syndicales.

Au terme de ces négociations, le relevé des conclusions … a été signé par les responsables de ces centrales et le Gouvernement.

L’application du coefficient de revalorisation des traitements indiciaires au profit des agents du Ministère de l’Economie et des

Finances entrainera une incidence additionnelle sur la masse salariale de 2011 de 1,5 milliards de francs CFA, alors que l’application de la mesure à tous les agents de l’Etat entrainerait une incidence financière additionnelle de 14, 2 milliards de francs

CFA, soit une augmentation de la masse salariale de 5,25% par rapport aux 270 milliards de francs CFA prévus au budget 2011.

Par ailleurs, en raison du faible niveau des ressources publiques, il a été décidé de limiter la mesure aux seuls agents du Ministère de l’Economie et des Finances. C’est ce qui explique la prise du Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 querellé … L’Etat béninois est soumis à des engagements internationaux relativement au niveau de la masse salariale et des recettes fiscales notamment avec le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale (BM) et l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA). En effet, le Bénin est engagé depuis 1989 dans différents programmes avec les Institutions financières internationales à savoir, le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) et récemment le plan de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (SCRP) avec le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale.

Ces programmes fixent des cadres de dépenses à court et moyen termes qui ont fait l’objet d’accords avec notre pays.

Dans ce cadre, le Fonds Monétaire International a fixé avec le Bénin, un cadre des dépenses salariales compris entre 25 et 35% des recettes totales inscrites au Budget Général de l’Etat. Ce seuil a déjà été largement dépassé par le Bénin en 2009 et 2010. Ce qui a rendu difficiles les négociations pour l’obtention de la lettre de confort du Fonds Monétaire International au moment de l’élaboration du Budget Général de l’Etat, exercice 2011.

En effet, le Conseil d’Administration du Fonds Monétaire International a approuvé un nouveau programme économique et financier en faveur du Bénin le 14 février 2010. En adhérant  librement à ce programme, la partie béninoise s’est engagée à  maintenir et à consolider la stabilité macro-économique et à dégager les marges de manoeuvre nécessaires pour la prise en charge des dépenses de réduction de la pauvreté. Cet engagement nécessite que la masse salariale soit ramenée sur une trajectoire soutenable. Pour cela, le Bénin a pris l’engagement de contenir son évolution et de ne pas dépasser les seuils de 270 milliards de francs CFA en 2011 et 279 milliards en 2012. L’extension de la mesure à l’ensemble des fonctionnaires conduirait à un niveau de masse salariale de 284,1 milliards de francs CFA avec des conséquences néfastes sur la coopération avec le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, en l’occurrence la rupture des accords. Or, la rupture de la coopération avec ces institutions pourrait occasionner non seulement des difficultés au niveau de la mobilisation des ressources extérieures, notamment celles des partenaires qui appuient notre pays en subordonnant leur décaissement à l’appréciation faite par le Fonds Monétaire

International sur la gestion macroéconomique … Au plan sous-régional, le Bénin fait partie des huit (8) Etats membres de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Ces Etats sont liés par un pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements dont les principaux sont :

 

– Le respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales qui ne devrait pas excéder 35% ;

– Le respect du solde budgétaire de base sur PIP nominal qui doit être supérieur à 0 ;

– Le respect du ratio des investissements financés sur Ressources intérieures qui doit être supérieur à 20%. Pour ce qui concerne le Bénin, le ratio masse salariale sur recettes fiscales est de 46,7% et place le Bénin au 1er rang des pays qui ne respectent pas ce ratio dans l’Union. Ce ratio serait de 49,2% si la mesure d’indexation du salaire à 1,25% était accordée à l’ensemble du personnel de l’Etat … » ;

Considérant que le Gouvernement a joint à sa réponse divers documents dont :

 

– le Relevé de la Session Extraordinaire de la Commission Nationale Permanente de Concertation et de Négociations Collectives Gouvernement/Centrales et Confédérations Syndicales du 20 avril 2011 ;

– un tableau en date du 13 juin 2011 portant évolution du ratio masse salariale sur recettes fiscales de 2005 à 2011 ;

ANALYSE DU RECOURS

Considérant que la requérante demande à la Cour de « déclarer non conformes aux lois et à la Constitution les mesures contenues dans l’extrait du relevé n° 14 du Conseil des Ministres du 27 avril 2011 ainsi que le Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 qui en a découlé » ;

Considérant que le Décret querellé dispose en son article 1er : «Il est institué au profit des personnels Agents Permanents de l’Etat et Agents Contractuels de l’Etat en service au Ministère de l’Economie et des Finances, un coefficient de revalorisation du traitement indiciaire de 1, 25. » ;

Considérant que l’article 26 alinéa 1 de la Constitution et l’article 3 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples disposent respectivement : article 26 alinéa 1 : « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale. » ; article 3 alinéa 1 : « Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.» ; qu’il résulte de ces dispositions et de la jurisprudence de la Cour que le principe d’égalité s’analyse comme une règle selon laquelle les personnes relevant de la même catégorie doivent être soumises au même traitement sans discrimination, et ce conformément à la loi ;

 

Considérant que tous les agents de l’Etat sont régis par la Loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des Agents Permanents de l’Etat ; qu’en dehors des considérations d’ordre catégoriel, cette loi ne distingue pas entre les agents de la  fonction publique sauf pour les catégories ci-après : les magistrats, les personnels de l’Enseignement Supérieur, les personnels des Forces Armées et de la Police ; que les agents du Ministère de l’Economie et des Finances ne relèvent pas de ces catégories ; que le Gouvernement, en procédant à la revalorisation

des traitements indiciaires exclusivement au profit du personnel dudit ministère, a violé la Constitution ;

 

Considérant que la Loi Organique n° 86-021 du 26 septembre 1986 relative aux lois de finances dispose en son article 1er alinéas 3 et 4 :« Lorsque des dispositions d’ordre législatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé, tant que ces charges n’ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente loi.

Les créations et transformations d’emplois ne peuvent résulter que des dispositions prévues par une loi de finances. Toutefois, des transformations d’emplois peuvent être opérées par Arrêté du Ministre chargé des Finances. Ces transformations d’emplois ainsi que les recrutements, les avancements et modifications de rémunérations ne peuvent être décidés s’ils sont de nature à provoquer un dépassement des crédits annuels préalablement ouverts. » ; que l’incidence financière découlant du coefficient de revalorisation du traitement indiciaire de 1,25 accordé au personnel de l’Etat en  service au Ministère de l’Economie et des Finances n’est pas prévue au Budget Général de l’Etat exercice 2011 ; que, dès lors, il y a lieu pour la Cour de dire et juger que le Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 est contraire à la loi organique précitée et par conséquent à la Constitution ;

Considérant que par ailleurs, la Constitution en son article 147 prescrit : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ont, dès leur  publication, une autorité supérieure à celle des lois. » ; qu’ainsi, les accords intervenus depuis 1989 entre les Institutions de Bretton Woods et l’Etat Béninois et liant le niveau de la masse salariale dans la fonction publique avec le niveau des ressources nationales s’imposent à tous ; qu’il en est de même du Traité créant l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine et des actes dérivés notamment le pacte de convergence, de stabilité de croissance et de solidarité qui comporte des engagements, dont le

respect du ratio masse salariale sur recettes fiscales ne devant pas dépasser 35% ; qu’en ne respectant pas les engagements internationaux souscrits par le Bénin, le Gouvernement a méconnu la Constitution ;

D E C I D E :

Article 1er.- Le Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 portant institution d’un coefficient de revalorisation des traitements indiciaires des Agents de l’Etat du Ministère de l’Economie et des

Finances est contraire à la Constitution.

Article 2.- Le Gouvernement a violé la Constitution.

Article 3.- La présente décision sera notifiée à Madame Ingrid HOUESSOU, à Monsieur le Président de la République, à Madame le Ministre de l’Economie et des Finances et publiée au Journal Officiel.

Ont siégé à Cotonou, le vingt et un juin deux mille onze,

Monsieur Robert S. M. DOSSOU Président

Madame Marcelline C. GBEHA AFOUDA Vice-Présidente

Messieurs Bernard D. DEGBOE Membre

Théodore HOLO Membre

Zimé Yérima KORA-YAROU Membre

Madame Clémence YIMBERE DANSOU Membre

Monsieur Jacob ZINSOUNON Membre.

Le Rapporteur, Le Président,

Zimé Yérima KORA-YAROU Robert S. M. DOSSOU

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité