La Cour constitutionnelle du Bénin: la République des juges non élus

La décision DCC 11-042 du 21 juin 2011 cassant le décret de revalorisation du point indiciaire des agents du ministère des finances est tombée tard dans la nuit de mardi à mercredi. Comme tous les canards de la place, nous l’avons publiée in extenso, attendant le lendemain, c’est-à-dire la journée d’hier mercredi, pour faire des commentaires appropriés. Nous à la Nouvelle Tribune nous connaissons nos limites. Qui d’autre que les spécialistes du droit peut nous aider à décrypter une décision qui s’étale sur deux pages du journal papier? Toute la journée d’hier, nous avons fait la chasse à tous les constitutionalistes de renom que compte  notre pays. En vain! Quand l’un n’est pas dans un amphi, en train de dispenser des cours, l’autre est en voyage,  quand le troisième ferme son portable pour ne pas se mettre… «Des gens  à dos». Heureusement pour nous, la Nouvelle tribune à un site internet, parmi les plus visités de la place. Un site internet interactif qui dispose d’un forum de discussions où les internautes s’expriment librement parfois trop libre ment. Là est un autre problème, celui de la régulation qui n’est encore résolu nulle part au monde. Ainsi, l’un de nos internautes parmi les plus percutants du forum qui porte  le pseudonyme de «Gombo» a laissé sur le site à propos de la dernière décision de la Cour Constitutionnelle une analyse très pointue et particulièrement digne d’intérêt. Cet internaute est un Béninois de la diaspora, cadre de haut niveau dans une multinationale qui fait de fréquents séjours au pays. (Son dernier séjour remonte au mois d’avril dernier). La réflexion que nous publions en toute connaissance de cause ci-dessous pose la question ô combien pertinente de savoir si nous sommes encore au Bénin dans une République démocratique où le peuple détient la réalité du pouvoir à travers ses représentants élus ou si nous sommes déjà dans la «République des juges non élus» désignés dans  des circonstances opaques, comme chacun le sait. Vincent Foly

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La cour de Dossou vole au secours de Yayi

L’arrêt de la Cour DOSSOU peut paraître juste, car il semble dénoncer une inégalité. Il est en fait extrêmement dangereux et juridiquement confusionniste, bafoue et banalise tous les principes juridiques fondamentaux pour faire plaisir à Yayi Boni. La décision DCC 11-42 a fini de présenter la Cour constitutionnelle comme la seule institution de la République, celle qui est investie du pouvoir d’usurper le pouvoir législatif et exécutif. Celle dont le pouvoir outrepasse celui des autres et que les Anglais qualifient d’«over-reach». La rédaction de l’arrêt querellé et le raisonnement juridique pauvre y contenus montrent les limites et l’incompétence de la Cour constitutionnelle béninoise. Les personnalités de la Cour, encore appelées les Sages  -7 au total- se prennent pour de nouveaux khalifes créant des édits à souhait en faisant du sophisme. Ils «trivialisent» les réelles discriminations en faisant obstruction au jeu normal de la démocratie. De par cette attitude, ils créent un précédent dangereux à combattre.

1-Du principe d’égalités des citoyens et de la non discrimination

Le principe d’égalité dans la rémunération a pour but de lutter contre les discriminations basées sur le genre, la race ou les opinions politiques et syndicales. La Cour de Dossou utilise ce principe essentiel pour venir au secours de négociations salariales bâclées par Boni Yayi. Comment Robert Dossou et ses collègues peuvent-ils prouver que le travail effectué dans deux ministères différents est le même et de même valeur? Comment peuvent-ils invoquer ce principe général alors même que dans le pays différentes entreprises paient des salaires différents?

Il est légitime de s’appuyer sur le statut général des agents de la Fonction publique pour décider de l‘illégalité des revalorisations sectorielles du point d’indice, mais pour cela, il aurait fallu que la Cour constitutionnelle qui se mêle de tout renvoie la question simplement devant la chambre administrative de la Cour suprême, constitutionnellement compétente.

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Mais les Sages de la Cour se sont autorisés à sortir le gouvernement et son chef de tous les tracas au nom du «non recours des décisions de la CC qui s’imposent a tous », en sortant les principes constitutionnels de leur contexte pour leur tord le cou.

Cette manipulation et «trivialisation» des principes fondamentaux de la Constitution pour faire plaisir au prince est un précédent dangereux. En d’autres occasions, on a pu être déjà troublé par l’invocation du principe de l’égalité des citoyens pour rendre la polygamie illégale. Sans être un partisan de la polygamie, on soutiendrait dans un raisonnement juridique rigoureux la légalisation de la polyandrie. Quand des juristes activistes s’amusent à manipuler les principes fondamentaux du droit pour justifier n’importe quelle décision ou s’immiscer dans n’importe quelle sphère de la vie sociale, on assiste à des abus.

Un des principes juridiques centraux, c’est aussi l’appréciation souveraine du juge –en particulier du juge constitutionnel- sur l’opportunité d’examiner et de rendre un avis sur un recours. L’intelligence et la sagesse du juge s’apprécie aussi par rapport à sa décision de rendre ou pas un avis, comme celle du procureur de poursuivre ou pas, quoiqu’on puisse toujours trouver matière à poursuite ou à avis.

En l’occurrence la Cour constitutionnelle aurait du se déclarer incompétente et renvoyer le recours devant la chambre administrative de la Cour suprême, car il ne s’agit pas là d’une question de respect de la Constitution, ni de protection des libertés publiques et/ou individuelles encore moins de fonctionnement des institutions.

Par son activisme pro-Yayi, la Cour dévalue et galvaude l’institution, banalise les principes fondamentaux d’égalité des citoyens en droit et leur enlève leur force morale.

2- De la supériorité des traités et accords notamment avec les institutions de Bretton Woods

Ici encore, en émettant des avis à caractère général sur la supériorité des traités et en faisant spécifiquement référence aux accords avec le FMI et la Banque mondiale, la Cour constitutionnelle outrepasse ses pouvoirs et crée une jurisprudence dangereuse, enlevant au parlement, au gouvernement et aux acteurs sociaux tout pouvoir et tout contrôle de la vie économique et sociale. La Cour crée ainsi les conditions pour que ses décisions ne soient ni respectées, ni appliquées.

Il faut d’abord s’interroger sur la ratification par le parlement béninois d’accord avec le FMI. Va-t-on opposer à nouveau aux Béninois les accords de servitude imposés pendant la période coloniale instituant les travaux forces (accords qui n’ont jamais été abolis ou dénoncés formellement).

Il serait intéressant de savoir si ces accords sont prescriptifs jusque dans la définition exacte du pourcentage des dépenses de personnel dans le budget de l’État ou s’il s’agit de ratios indicatifs. A supposer qu’ils le soient, donnent-ils une définition comptable et exhaustive de ce que sont les dépenses de personnel? Et le juge constitutionnel n’a pas à se transformer en comptable du FMI, en exécutant des programmes d’ajustement structurels ou en commis des fonctionnaires du FMI, tout frais émoulus des Business Schools. C’est déjà une honte que nos ministres se voient dicter la conduite de nos économies par ces blancs becs experts en tableaux et macros Excel. Que nos institutions les plus prestigieuses se transforment en auxiliaires est simplement inique. Si on poursuit la logique de ces juges constitutionnels, à quoi nous sert-il d’avoir un gouvernement un parlement et des syndicats?

Une fois les accords et traités supranationaux signés, il faut demander au FMI d’envoyer ses fonctionnaires faire appliquer leur traités comme les gouverneurs coloniaux étaient chargés d’imposer les traités iniques imposés par la puissance coloniale. Même dans les pays membres d’une union économique et monétaire prescrivant explicitement des transferts de souveraineté, comme c’est le cas dans l’Union Européenne, il ne viendrait à l’idée d’aucun juge constitutionnel de demander au gouvernement de limiter les négociations salariales au prétexte des recommandations de convergence (x% de déficit budgétaire par exemple…). Il faudrait savoir rejeter ces avis ou arrêts qui font du gouvernement et du parlement des commis aux écritures du FMI et de la Banque mondiale. Messieurs les Sages de la Cour, on a peine à vous reconnaître!

3-Du principe de financement des charges nouvelles

La Constitution prévoit, en effet, que les charges nouvelles doivent être couvertes par des ressources correspondantes. La question qui se pose est de savoir s’il appartient au juge constitutionnel de vérifier l’application de cette disposition et quels sont les moyens à sa disposition pour ce faire.

Là aussi, la Cour constitutionnelle sort de son rôle de garant de la Constitution et des libertés fondamentales pour se transformer en épicier au service de Boni Yayi. Il se substitue, par ailleurs, au parlement qui vote et contrôle l’exécution du budget et au gouvernement qui l’exécute.

La Cour constitutionnelle a-t-elle conduit un examen ligne à ligne des postes budgétaires pour affirmer de façon péremptoire que les recettes n’existent pas? Le budget ne connaît-il jamais de dépassement ou, est-il toujours exécuté en équilibre à 100% conformément aux prévisions? Quel est le rôle des suppléments et collectif budgétaires?

N’est ce pas au parlement de travailler avec le gouvernement à définir les ressources ou économies (réduction de dépenses et/ou gain de productiviste) permettant de couvrir les charges supplémentaires qu’ils (parlement et gouvernement) jugent nécessaires? Si l’on suit la logique de la Cour, on n’a plus besoin de parlement, ni de gouvernement. La Cour DOSSOU, omnipotente et compétente en toutes matières, avec le «dernier mot» peut gérer le pays avec, juste, une administration à son service. Cela s’appelle la République des juges non élus, et le Benin n’a pas (encore) choisi ce système. Bas les pattes! Non à l’accaparement de tous les pouvoirs par des juges non élus!

Emmanuel S. Tachin (d’après le commentaire de  «Gombo» du site Internet de «La Nouvelle Tribune»)

Les attributions de la Cour constitutionnelle

(elle peut faire plus, à condition de rester raisonnable dans le cadre de ses fonctions essentielles)

Extrait de la Constitution du 11 décembre 1990

Art 117: La cour constitutionnelle statue obligatoirement sur

*la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation;

*les Règlements Intérieurs de l’Assemblée Nationale, de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et du Conseil économique et social avant leur mise en application, quant à leur conformité à la Constitution;

*la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, sur la violation des droits de la personne humaine;

* les conflits d’attributions entre les institutions de l’Etat.

*veille à la régularité de l’élection du Président de la République; examine les réclamations, statue sur les irrégularités qu’elle aurait pu, par elle-même relever et proclame les résultats du scrutin; statue sur la régularité du référendum et en proclame les résultats;

*statue, en cas de contestation, sur la régularité des élections législatives;

* fait de droit partie de la Haute Cour de Justice à l’exception de son Président.

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