Sénégal, 23 juin 2001 : la fin du rêve dynastique ?

Dakar, le 23 juin 2011 : la rue grogne, gronde et tonne. Le printemps arabe s’invite au Sénégal. Dans les rues noires de monde, les manifestants exigent le retrait du projet de réforme constitutionnelle instituant un ticket présidentiel et un quart bloquant pour la prochaine élection présidentielle. Pour la première fois, Abdoulaye Wade rencontre une opposition plus que formelle. C’est le peuple qui fait la résistance. Il lui faut céder. Sur des points importants. Et Wade vacille. Vacille et lâche l’essentiel. D’où, la question existentielle : comme pour tous les pouvoirs absolutistes, faiblesse rimera-t-elle avec décrépitude ? Rien n’est moins sûr.

Un pas en arrière. Un grand pas. Abdoulaye Wade a renoncé au projet de révision de la constitution sénégalaise. Ce n’est certainement pas de gaieté de cœur. En s’aménageant cette réforme tout-à-fait taillée sur mesure, le président sénégalais espérait, en tout état de cause emporter avec son colistier au premier tour le scrutin présidentiel de février 2012. Cela ouvrait des perspectives. De bien vastes perspectives. Pour un chef d’Etat dont les ambitions dynastiques ne se sont pas démenties depuis qu’elles se sont fait jour lors de l’entrée en scène politique de Karim Wade en 2008. Papy Wade, par sa réforme constitutionnelle qui lui donnerait la latitude de choisir son fils comme colistier, en vue à lui céder le pouvoir en cours d’exercice, pensait encore une fois faire boire le calice aux Sénégalais. Jusqu’à la lie. Erreur !

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C’était compter sans le réveil de l’ensemble de la classe politique, de la société civile et de jeunes émeutiers déchaînés. Le 23 juin 2011, à l’heure où les députés sénégalais devaient entamer l’étude du projet présidentiel de réforme constitutionnelle, les rues du Sénégal sont noires d’un monde en colère. Les slogans et autres pancartes brandies par les manifestants en disent long sur l’exaspération évidente d’un peuple face à un dirigeant visiblement de moins en moins en phase avec son peuple. A l’échelle d’un pays où les manifestations populaires hostiles sont pour le moins rares, les milliers d’émeutiers qui ont violemment affronté la police à cette occurrence portaient un message. « Wade dégage !», « Touche pas ma constitution !». Message auquel le Président sénégalais a bien été contraint de prêter une certaine attention. La similitude entre les cris de protestations des manifestants sénégalais et ceux des émeutiers tunisiens, égyptiens, syriens ou yéménites du printemps arabe en cours, ne lui a pas vraiment laissé le choix. Et le donneur de leçons de Benghazi ne pouvait se risquer à laisser son pays sombrer dans la chienlit qui a fini par coûter leurs fonctions à Zine el-Abidine Ben Ali et Mohamed Hosni Moubarak. Le Sénégal n’a d’ailleurs pas les moyens de maintien d’ordre nécessaires à ce type de situation.

C’est donc en stratège averti que Me Abdoulaye Wade a fait machine arrière aussi promptement. Lui dont on connaît l’obstination, pour autant qu’il peut compter sur le soutien de sa majorité mécanique au Parlement. Mais en renonçant sous la pression à une réforme emblématique de sa volonté de voir lui succéder son fils Karim, le président sénégalais vient de révéler à ses adversaires politiques et même à certains esprits rétifs de son camp l’existence d’un point de rupture. Un talon d’Achille sur lequel vont désormais se concentrer les tirs croisés de l’opposition politique, de la société civile et de ceux de ses partisans qui ont trouvé depuis cette reculade une nouvelle liberté de ton. Il me parait évident, que dans les circonstances actuelles, même les partisans du président Wade, qui semblaient nourrir une sorte de vénération irraisonnée pour le chef de l’Etat, au point de voter tout-à-fait machinalement tous les projets de loi vont enfin se réveiller. Le genre de révision constitutionnelle ayant raccourci de 5 à un an le mandat du président de l’Assemblée nationale, et dont tout le monde sait qu’elle était dirigée contre le président du parlement d’alors, Macky Sall, coupable d’avoir demandé des comptes à Karim Wade sur sa gestion du sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique en 2008 à Dakar, a de moins en moins de chances d’être adoptée.

En fléchissant, Me Wade vient d’entamer durablement son ambition dynastique et donc les rêves de Karim de lui succéder. Peut-être même définitivement. Sa majorité osera désormais lui faire valoir des arguments contre toute nouvelle tentative de passage en force. Déjà, des voix s’élèvent du camp libéral pour faire entendre les divergences internes qu’aurait suscité le projet de réforme. L’opposition et une partie de la société civile, avec la constitution du « Mouvement du 23 juin », va déjà bien au-delà. Pour elles, ce n’est plus Karim le problème, c’est le président Wade en personne. Et elles exigent de ce fait qu’il ne puisse pas se présenter à la présidentielle de 2012.

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Mais comment croire qu’Abdoulaye Wade a vraiment renoncé à l’essentiel ? Il n’aura tout de même pas fait tout ce qu’il a fait depuis une dizaine d’années pour abandonner aussi facilement. Face à quelques milliers d’émeutiers en courroux ! Les Sénégalais ne sont pas sortis de l’auberge. Avec un chef d’Etat dont l’une des grandes qualités est de fourmiller d’idées toutes plus innovantes les unes que les autres, qui sait encore ce que leur réserve « l’enfarineur de Dakar » ?

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