Bénin: Quels remèdes pour une administration publique défaillante?

A sa troisième édition du Forum Talent sur le thème « Comment choisir son métier avant d’étudier », l’organisation Junior Achievement s’était demandée combien de jeunes parviennent à bien choisir leur métier, La problématique ainsi posée mérite effectivement réflexion.

Toute refondation commence par l’examen de la fondation et la fondation de tout développement c’est la bonne santé physique. Cette vérité peut agacer et gêner justement par sa simplicité et son évidence mais nous n’aurons de cesse de saisir toute occasion pour la crier de toutes nos forces tant que plus de 90% de la population de notre pays ne bénéficiera d’aucune protection sanitaire. De la même façon la refondation dans l’administration publique et plus généralement dans le choix de toute profession devrait commencer par l’examen de son fondement et son fondement ne devrait être autre que la vocation dont on ne parle guère parce qu’il s’agit justement là aussi d’une vérité fort simple et profonde à la fois dont la simplicité et peut-être l’abstrait désarçonnent et déroutent. Elle est si simple et si discrète que l’on finit par lui dénier toute existence et partant son impact sur notre vie professionnelle. Mais cette vieille dame refoulée par l’utilitaire de notre civilisation ne peut être ensevelie : elle est omniprésente dans notre tréfonds et l’on ne peut l’étouffer.

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Des tendances naturelles

Ne devrait pas rentrer et faire carrière dans l’administration publique qui veut. La fonction publique désigne un ensemble de personnes travaillant au sein des administrations publiques et l’on dénomme fonctionnaire toute personne qui en ressort. Les anglais traduisent ce terme fonctionnaire par l’association de deux mots, l’un qualifiant l’autre : « Civil servant » qui, en français signifie serviteur de la société, serviteur du peuple. Ces deux mots accolés donnent la mesure de ce qu’on est en droit d’attendre d’un fonctionnaire : servir le peuple et l’Etat. Le fonctionnaire est d’abord un serviteur et pour servir il faut en avoir essentiellement la vocation. Vocation vient du mot latin ‘’vocare’’ qui se traduit en français par ‘’ appeler’’. Les ecclésiastiques se sont appropriés le terme il est vrai mais pour servir en tous domaines il faut en avoir les dispositions et l’attirance de quelque manière.

La Fonction publique requiert des tendances naturelles et des aptitudes à servir ; car servir gracieusement c’est donner une partie de soi-même à l’autre. Pour cela il faudrait soit avoir des dispositions innées à rendre service sans rien attendre en retour ; soit avoir reçu une bonne éducation en ce sens. Mais il va sans dire que l’on ne peut demander à tous candidats à la Fonction publique d’avoir cette chance alternative d’autant que la vocation est une valeur personnelle, individuelle, endogène et qu’il n’y pas de technique pour l’apprécier. Par contre il en existe pour apprécier l’aptitude à servir d’où l’importance des tests d’orientation et de l’assistance psychologique au moment où les étudiants accèdent à l’université ou des tests d’aptitude au moment où ils déposent leurs candidatures à un concours bien déterminé. Que sont devenus tels tests que l’on pratiquait jadis et comment peut-on s’étonner alors de la situation de dégradation d’une Fonction publique ainsi ouverte à tout vent. On, c’est-dire l’administration elle-même en l’occurrence, a laissé les jeunes embrasser des carrières à leur guise et selon leur fantaisie du moment. On a même financé leurs études avec l’argent du contribuable dans ces conditions ; on les a recrutés quand bien même sur concours alors qu’ils n’avaient aucune disposition psychologique pour exercer la profession dont ils ont fait le choix. Pis, l’administration elle-même, au nom d’une certaine politique de plein emploi, a engorgé la Fonction publique de façon inconsidérée. Il n’est que de rappeler qu’entre 1972 et 1987 l’effectif des agents de la Fonction publique est passé de 9.200 à 47.000 agents sans que compte soit réellement tenu ni de leurs aptitudes ni de leur niveau intellectuel ni mêmes des recettes de l’Etat qui devaient servir à payer leurs services : et l’on sait les conséquences désastreuses que cet état de chose a entraînées. La Fonction publique ne peut être l’endroit où le politique réalise ses promesses électorales d’emploi ; elle n’est pas une entreprise, elle ne crée pas la richesse qui génère l’emploi, elle n’est que service budgétivore.

Dans toute situation il faut savoir dissocier le phénomène des épiphénomènes et s’attaquer résolument au phénomène si on veut régler le problème correctement et définitivement autrement l’on perd son temps et ses énergies. Dans la Fonction publique, les épiphénomènes ont pour noms les retards injustifiés, le manque de conscience professionnelle, l’incompétence, le manque de courtoisie envers les usagers, la corruption, la concussion, les passe-droits, les bakchichs ; le tout enveloppé dans le cocon rassurant et pervers de la sécurité de l’emploi. Sur ce point l’on devrait convenir que l’assurance tranquille qu’offre la sécurité de l’emploi dans la Fonction publique en mettant l’agent à l’abri du licenciement en toutes circonstances, si ce n’est celle de malversations avérées, est un élément qui draine les jeunes vers cette profession mais qui n’incite ni à l’effort ni au dépassement de soi. Le phénomène, c’est ce qui ou ce dont l’absence génère tous ces maux Pour lutter contre ces derniers il convint donc les contrer par anticipation ; il sied de les prendre en amont. Toute autre politique quelle que séduisante qu’elle puisse être me parait jeter de la poudre aux yeux.

Productivité et rentabilité

L’une des solutions préconisées de nos jours est l’éducation civique dès le jeune âge mais pour juste qu’elle soit, il s’agit d’un remède à long terme et nous ne pouvons attendre encore une vingtaine d’années pour avoir une Fonction publique correcte. L’installation d’appareils biométriques pour contrôler les présences est génial mais le fonctionnaire pervers sait être ponctuel aussi bien à l’arrivée qu’au départ mais il sait aussi passer tout son temps à faire autre chose ou à mal faire ce qu’on lui demande de faire ; ce pour quoi il est rémunéré. En fait la solution qui attaque le phénomène demeure bien, abstraction faite de la vocation, dans la sélection par les tests d’orientation, les tests d’aptitude et l’assistance psychologique.

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Il est vrai que l’on ne peut introduire les notions de productivité ni de rentabilité dans la Fonction publique pour la bonne raison qu’elle n’est pas une entreprise mais celle de l’efficacité devrait être omniprésente comme norme de travail dans ce secteur des services. Efficacité c’est-à-dire faire bien et vite ce qu’on vous demande de faire tout en suivant la procédure établie. Dans la Fonction publique on ne vous confie pas un dossier en vous demandant de trouver les voies et moyens de le traiter et de résoudre avec promptitude les difficultés qu’il peut poser comme c’est la règle dans le secteur privé. Et c’est là que la norme même de la Fonction publique fait problème ; c’est là que le bat blesse. Il n’y a pas place à l’initiative de l’agent à qui on confie un travail. Et il ne peut en être autrement, il faut bien l’avouer car si chaque agent devait faire de sa façon, il n’y aurait plus d’administration publique parce que devant fonctionner par procédures standardisées pour servir le plus grand nombre. Par contre ce qui est faisable pour pallier cette situation de manque d’initiative qui décourage et sclérose rapidement, c’est d’institutionnaliser un comité de révision des procédures au niveau du collectif des directeurs de chaque département ministériel pour leur remise en cause le cas échéant dans une optique de simplicité et discursivement d’efficacité. Ce comité pourrait se réunir une fois l’an pour connaître des améliorations procédurales à apporter à notre administration et injecter ainsi dans cette dernière sinon certains éléments de rentabilité du moins l’esprit de rentabilité. Si ce comité existait l’on aurait peut-être convenu depuis belle lurette de la création d’un guichet unique pour les évacuations sanitaires à l’étranger au lieu de laisser les citoyens rendre l’âme tout simplement pour raison de respect des procédures établies, rigides sans âme et finalement ridicules. Véritable goulot d’étranglement que sont nos procédures ! Et pourtant le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) du Fonds Monétaire International et de la Banque mondiale venus au secours de notre économie moribonde, nous avait déjà recommandé la simplification de nos procédures administratives ainsi que l’informatisation de nos services pour fiabiliser notre Fonction publique. Notre administration est adossée à un système conservateur, écrasant toute velléité de changement dans lequel les anciens s’accrochent aux procédures et les imposent aux jeunes cadres. Les jeunes sont pris dans l’engrenage ; ils n’ont plus le temps de réfléchir et s’ils veulent le faire, ils deviennent suspects. Les chefs les apprécient, en fait, à leur capacité de soumission. Ce problème est réel ; il crée un conflit de génération à l’intérieur des administrations et les paralysent des fois. Les jeunes estiment d’emblée que les anciens sont dépassés et qu’ils n’ont plus rien à leur apprendre. Les anciens s’accrochent à leur expérience comme la prunelle de leurs yeux. Dépassant les stages et les ateliers ponctuels, la meilleure façon de résoudre cette équation parait être la formation continue et le recyclage obligatoire des anciens en partenariat avec des cabinets privés ou même avec l’université à la condition qu’on ne les mélange pas avec les étudiants. Alors les jeunes comprendront que non seulement les anciens ne sont pas dépassés mais qu’en plus ils ont l’expérience qu’eux, n’ont pas encore. L’autre avantage du recyclage et de la formation continue sera que les fonctionnaires auront l’occasion d’apprendre à connaître les réalités et les problèmes que rencontrent le secteur privé qu’ils sont censés servir aussi alors qu’ils n’en appréhendent rien. Cela est aberrant.

Vocation

Peut-être l’Etat a t-il choisi de compenser les bas salaires de ses fonctionnaires avec la médiocrité de leurs prestations, Auquel cas il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même et le problème restera récurrent car plusieurs médecins sont déjà venus au chevet de notre Fonction publique. Je ne ferai référence qu’au Programme d’Ajustement Structurel (PAS) en 1989 ; qu’aux Etats généraux de la Fonction publique tenus en Décembre 1994 qui ont préconisé notamment l’introduction de la notion de contrôle de gestion ou de résultat dans la Fonction publique pour déboucher sur celle du mérite et de sa rétribution ; je rappellerai également la Conférence sur la Fonction Publique tenue du 28 Mai au 1er Juin 2001. Mais Apparemment rien n’y fait et notre administration publique reste procédurière et souffre toujours puisqu’on ne lui administre aucun traitement à titre préventif. Et, dans ce cas de figure, la meilleure prévention a pour noms la vocation, la sélection par les tests d’orientation, les tests d’aptitude et l’assistance psychologique au moment du choix de carrière notamment dans les services publics.

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