Le Bénin sous le masque de l’informel

Le dieu Janus serait-il aussi béninois ? Janus, c’est cette divinité romaine représentée avec deux visages tournés en sens contraire. Tel nous paraît, en tout cas, le Bénin, notre pays. Il présente un premier visage formel. Un visage sous le jour plutôt propre et chatoyant d’un Etat en voie de modernisation rapide. Il présente un second visage. Celui-là est  informel, tourné vers la pénombre d’une vaste cour des miracles, de surcroît mal éclairée.

Le formel serait donc le côté jardin du Bénin. Avec ses institutions qui brillent de mille feux. Avec sa technostructure et sa bureaucratie paperassière, tenue et animée par des cadres censés incarnés, à des degrés divers, l’autorité de l’Etat. Un Etat dont les ressources sont fiscales pour l’essentiel. Un Etat qui tient debout grâce aux taxes et aux impôts divers levés sur des personnes physiques et morales   qui opèrent à la lumière du jour.

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L’informel serait le côté cour du Bénin. Ici, on évolue à contre-jour, pour ne pas dire dans le clair-obscur d’un affairisme sans frontières. Ici, on s’accommode de non-dits, en conformité avec les exigences de la loi du silence. Ici, on se laisse prendre  dans le dédale des réseaux flous, sans repères ni bornes kilométriques. Ici, c’est l’Etat dans l’Etat, ou un Etat à la périphérie de l’Etat.

Les spécialistes, chiffres à l’appui, renseignent sur le fait que le secteur formel ne représente que 10% de nos entreprises. Il s’agit d’entreprises imposables et imposées. La contribution de celles-ci est vitale au maintien de l’Etat formel. Les salaires et les revenus distribués aux individus, aux familles, aux institutions, aux organisations, la masse d’argent nécessaire au fonctionnement de l’Etat formel lui-même, de même que le plus clair de nos investissements sur fonds propres, proviennent de cette cagnotte formelle.

Les 400.000 unités de production informelles dénombrées au Bénin en 2008 n’entrent dans aucune comptabilité précise, par rapport au budget de l’Etat. Les profits que réalisent ces unités de production de l’ombre, transitent par une zone obscure. L’argent sombre se recycle en argent clair. Ce sont des milliards de nos francs qui sont ainsi manipulées par des mains invisibles, au nez et à la barbe de l’Etat formel.

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A voir comment les choses se passent, à examiner l’état de santé de notre économie, à suivre nos laborieuses performances  sur le champ du développement, c’est souvent à deux Bénin fort contrastés que nous avons affaire. Il y a, d’une part, un Bénin qui pleure et sur lequel le soleil ne se couche jamais, un Bénin pris dans l’étau d’une pression fiscale forte. Il y a, d’autre part, un Bénin qui rit, dans le déguisement d’un bal masqué. Un Bénin qui évolue en roue libre par les voies souterraines et  tortueuses de l’informel. Dans l’un, on se préoccupe de taux de croissance, de Produit intérieur brut, de revenu par tête d’habitant, à grand renfort de chiffres et de statistiques. Dans l’autre, l’argent passe d’une main invisible à une autre main invisible. Il ne transite pas par une quelconque banque, si ce n’est que par celle, invisible, qui prospère à l’ombre de l’informel.

Ainsi va l’argent des tontines. Il s’agit de ces associations de personnes qui versent régulièrement de l’argent à une caisse commune dont le montant est remis à tour de rôle à chaque membre. L’argent des tontines est une épargne. Il s’évalue à des milliards de nos francs. Mais cet argent  n’irrigue pas notre économie. Cet argent ne sert ni  d’appoint, ni de valeur ajoutée à notre effort de développement.

Ainsi va l’argent des transferts de l’extérieur. En sa part non négligeable, cet argent, sans traçabilité dans les livres  officiels et formels, provient souvent de nos frères et sœurs de la diaspora. Cet argent ne renforce pas les capacités de réalisation et de développement du pays d’accueil.

Ainsi va l’argent de toutes nos fraudes, grandes ou petites. Qu’il concerne celui de la vente de l’essence frelatée dite »Payo ». Qu’il touche à la piraterie des œuvres de l’esprit (musique, livre, film..). Qu’il se rapporte à l’immense marché des faux médicaments. Sans oublier le marché du sexe, de la drogue, voire du crime. On peut le dire : l’informel a encore de beaux jours devant lui.

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