Petit métiers, grands hommes

On les range dans la catégorie des petits métiers. Et une ville comme Cotonou en montre et en offre à la pelle. Le tailleur ambulant trouve un bouton à placer, ici, une fermeture éclair à réparer, là. Le cordonnier du coin ne chôme pas : ça pique et ça repique, ça coud et ça répare. Ne parlons pas du vendeur de café ambulant. Avec lui, votre petit déjeuner est à portée de bouche. Les Béninois ont même inventé le petit métier des laveurs de pieds. Saison des pluies oblige.

Mais ce n’est pas parce que l’on exerce un métier catégorisé « petit » que l’on est petit soi-même, qu’on n’a aucune valeur sociale. C’est vrai : point n’est besoin de faire de grandes études pour se tailler son territoire de cordonnier de quartier. C’est vrai : on n’a pas à exhiber son CV, comme vendeur de café ambulant, avant de répondre à la demande d’un client. Est-ce parce que un métier est dit petit qu’il n’y ni grandeur d’âme ni hauteur de vue à l’exercer ?

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Agossou fait partie du personnel d’une entreprise de la place. Une entreprise préposée au désensablement des rues et artères de la ville de Cotonou. Agossou a le sentiment d’exercer un petit métier qui lui inspire le sentiment d’être un nain social ou de n’être rien dans sa société. C’est quasiment à contre cœur qu’il se rend tous les jours à son travail. Rien ne l’excite, rien ne l’enthousiasme outre mesure. Il balaie les rues et cure les caniveaux, juste pour un salaire. Point barre.

Le cas d’Agossou n’a jamais quitté notre esprit. Car c’est bien d’un cas qu’il s’agit. Notamment pour nous qui n’avons de cesse de soutenir l’idée selon laquelle derrière tout métier, quel qu’il soit, il y a une mission. Et la mission, c’est l’homme du métier qui la définit, en termes d’objectif à atteindre, avec le sentiment d’un devoir à accomplir.

Nos réflexions vont être confortées, au hasard de nos lectures, par cette belle pensée de Martin Luther King Jr. Empressons-nous de la partager avec vous (Citation) : « Si une personne balaie les rues pour gagner sa vie, elle devrait les balayer comme Michel-Ange peignait, comme Beethoven composait, comme Shakespeare écrivait » (Fin de citation).

Par rapport au travail qu’ils font, chacun dans sa sphère de compétence et d’action, les hommes sont sur un pied d’égalité. Qu’ils exercent de grands ou de petits métiers, les hommes devraient être rigoureusement respectés pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils font. Mais un respect qui n’a rien d’automatique, rien de mécanique. Un respect mérité en fonction et au regard de la qualité du travail fourni.

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Un proverbe dit : « Il n’y a pas de sot métier, il n’y a que de sottes gens ». Affirmons que tout métier honnête, ordonné honnêtement vers le service des autres, anoblit et promeut ceux qui l’exercent. Importe peu leur rang social. Pour dire que, sur ce plan, le jardinier n’a rien à envier au propriétaire du jardin, le portier de Capp Fm au Président de la République. Exactement comme Martin Luther King Jr fait jouer dans la même cour son balayeur de rue à l’égal de quelques uns des hommes éminents, universellement connus, tel un peintre de génie comme Michel-Ange, un grand maître de la musique comme Beethoven, un prince des lettres comme Shakespeare. L’excellence est comme la lumière : on ne la met pas sous le boisseau. L’excellence révèle le génie qui sommeille en chacun de nous.

Revenons à Agossou, ici, à Cotonou. Il exerce un métier qu’il croit petit, voire dégradant, parce qu’il ne l’a jamais hissé au niveau d’une mission. C’est normal qu’il le porte comme un lourd fardeau. Il exerce un métier qu’il n’a jamais vu sous l’angle du service qu’il rend à des tiers. C’est normal qu’il le vive comme un pis-aller, c’est à-dire quelque chose que l’on fait faute de mieux. Il exerce un métier qui n’a aucun sens pour lui, à plus forte raison, un métier auquel il pourrait donner un sens ou du sens. C’est normal qu’il n’éprouve le moindre plaisir à travailler.

Comme on le voit, nous sommes tous des génies, qui que nous soyons, à travers le métier que nous exerçons, de la manière dont nous l’exerçons, par la qualité du service rendu aux autres en l’exerçant. Que personne n’en doute plus : le génie n’est pas un privilège réservé à une minorité d’élus ; le génie est la chose du monde la mieux partagée.

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