Le phénomène des pratiques visant à attirer ou empêcher la pluie au Bénin

(PAQUES 2011 SANS PLUIE A SÈ ET ENVIRONS : UN FAIT INHABITUEL !) Les populations de Sè et environs au Mono ont passé avec beaucoup d’appréhensions les Pâques et jours suivants sans une goûte de pluie contrairement aux années antérieures après que de gros nuages, tout prêts à s’effondrer, ont été mystérieusement dispersés plusieurs fois de suite par des coups de vents violents venus on ne sait d’où. Des signes précurseurs des effets de changement climatique ou un phénomène surnaturel comme le pensent d’autres qui y voient la main invisible des défaiseurs de pluie se fondant sur le fait que justement au cours de ces deux week-ends des cérémonies grandioses de funérailles ont été organisées à Sè par deux prestigieuses collectivités sous le regard complaisant des Autorités Locales? La question mérite profonde réflexion et pose la problématique du phénomène des pratiques visant à attirer ou empêcher la pluie lors des cérémonies funéraires ou de réjouissances au Bénin.

De plus en plus, le Béninois passe maître dans les organisations des cérémonies funéraires ou de réjouissances grandioses. A l’occasion de ces grandes exhibitions des richesses, pendant que les organisateurs s’acharnent, pour la réussite de l’organisation, des esprits mal intentionnés imaginent des nuisances aux organisateurs afin de perturber les cérémonies. Au nombre de ces nuisances se trouve la pratique consistant à attirer la pluie. Le phénomène de provocation et d’empêchement de pluie qui, au départ s’observait lors de l’organisation de tam-tams entre villages ou quartiers adversaires, s’est progressivement transposé dans les domaines des diverses cérémonies de funérailles ou de réjouissances ou encore de sorties de couvents des adeptes fétichistes.

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Dans le premier cas, la pratique pouvait se justifier. En effet, dans ce système de manifestations culturelles où les uns , les habitants d’un village ou quartier doivent, au cours des tam-tams ainsi organisés , présenter des chansons satiriques contre les habitants de l’autre village ou quartier, il y a de quoi pour les seconds d’imaginer des nuisances pour perturber les manifestations culturelles organisées par les premiers .A ces occasions, on allait même jusqu’à lancer des “missiles occultes” appelés « tchacatou ›› dont l’effet dévastateur sur l’individu n’est plus à démontrer au Béninois authentique. C’était le champ de prédilection pour certains, réputés pour leur puissance en occultisme, d’expérimenter des gris -gris nouvellement acquis aux conséquences désastreuses et incalculables sur l’homme et sur son environnement. L’antagonisme entre quartiers et villages adversaires était tel que, les uns, pressentant et redoutant les satires dont ils feraient l’objet de la part des autres dans leurs chansons, devraient tout faire pour empêcher ces manifestations culturelles populaires. C’était non seulement une affaire d’honneur à sauvegarder mais également une affaire de vie ou de mort. Le village ou quartier organisateur de ces séances de tam-tams devrait à tout prix empêcher la pluie de tomber, et si par malheur il n’y arrivait pas, le village ou quartier adverse descendait dans la rue organisant à son tour une manifestation euphorique de tam-tams, danses et chants appelée « oman » en «fongbé» pour célébrer sa victoire. Il arrive parfois que les forces s’équilibrent. Dans ce cas, il pleut dans tout le village sauf dans le quartier où ont lieu les manifestations culturelles. Un exemple épatant des démonstrations des fortes occultes dans ce domaine reste toujours vivace dans mes souvenirs.

C’était en fin février 1971 à Sè. Lors des manifestations devant clôturer les séances de tam-tams «Yohountomè» où tous les enjeux devaient se jouer entre le quartier Zounmè, organisateur et son adversaire Honnougbo, appuyé de son quartier allié Logohoué, contre toute attente, il a plu abondamment dans les cinq autres quartiers de Sè sauf Zounmè qui porta en triomphe le sieur SEWAVI, le spécialiste venu de Sèko, un village du Togo voisin pour les besoins de la cause. Feu Nesto d’ALMEIDA, paix à son âme, de la Radio Diffusion du Dahomey, avait même qualifié la chose de «miraculeux» sur les antennes de la radio nationale reportant l’événement, tellement il en était stupéfait.

Déviation d’un fait social

Une des dures réalités de chez nous avec lesquelles il faut désormais compter lors des manifestations culturelles à caractère compétitif entre villages et quartiers. Ces pratiques très bien connues dans les régions de Porto-Novo et du Sud-Mono, s’étaient rapidement répandues dans presque tout le Bénin dans le contexte vicieux des rivalités inter villages et inter quartiers.

Mais de là à les transposer dans les domaines des cérémonies funéraires ou de réjouissances, il y a dénaturation ou déviation du fait social qui, dans une certaine mesure avait sa raison d’être. Il s’agit purement et simplement de la manifestation d’un esprit de jalousie à l’égard d’un prochain dont on convoite le rang social ou les possibilités financières. La chose est devenue si préoccupante aujourd’hui que l’on ne peut plus penser à l’organisation d’une fête sans prévoir le chapitre «météorologie» comme l’on se plait à le dire vulgairement. Cela a fait naître dans presque tous les villages une caste des spécialistes de «météorologie occulte», s’il faut m’exprimer ainsi, qui vivent de cette sale besogne. Un souci de plus pour les organisateurs qui ne résistent pas devant les exigences de nos «grigriseurs» à la signature du contrat. Dès lors, une fois le contrat conclu, ces spécialistes, prestataires de services doivent tout faire pour empêcher la pluie de tomber pendant les cérémonies. Se considérant désormais comme un maillon incontournable dans la chaîne organisationnelle des manifestations du genre, ils menacent lorsqu’ils sentent que les organisateurs semblent ignorer leur présence sur le terrain. Peut-on donner raison aux commanditaires de cette sale besogne ? Oui et non. Non, pour ceux qui provoquent la pluie afin de perturber les cérémonies. Car rien ne justifie leur comportement sinon qu’il s’agit purement et simplement de la manifestation d’un esprit de destruction, de haine, à l’égard de son prochain. Oui, pour ceux qui empêchent la pluie de tomber, car ces derniers tiennent à sauvegarder leurs intérêts. La pratique aurait même cours, parait-il, dans les milieux des grandes entreprises de BTP pendant les grands travaux de constructions d’infrastructures routières et immobilières. En effet, mobiliser des frais énormes pour une réception et recevoir enfin de compte à peine le quart des invitées ne peut laisser personne insensible.

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Des conséquences bien graves

Mais ces commanditaires mesurent-ils à leur juste valeur les conséquences de tels actes? Assurément non. Or, c’est tout le village qui subit les affres de la sécheresse avec tous ses cortèges de mauvaises récoltes, famines, maladies. L’insuffisance chronique ou le manque criard des pluies ou les dérèglements des saisons auxquels on assiste de nos jours sont, à notre humble avis, les suites logiques des pratiques consistant à empêcher la pluie de tomber à des moments donnés, fussent –elles provoquées ou non. Si l’on fait attention aux mouvements des pluies dans une année, en petite saison de pluies de Septembre à Novembre, c’est à peine une dizaine de pluies programmées par Dame nature au meilleur des cas. Or, si dans une région donnée, des cérémonies de grandes envergures sont organisées les week-ends à cette époque, la pluie tombe rarement ou presque pas. Résultat : on ne sème plus à bonnes dates, la saison rate et c’est la catastrophe dont les responsables ne sont autres que les commanditaires des pratiques incriminées.

Des mesures hardies

Face aux dangers que représentent les conséquences de telles pratiques, que faire ?

– Primo, faire appel à la conscience individuelle et collective afin que les uns et les autres comprennent le rapport entre ces pratiques rétrogrades et la pénurie ou manque de pluie qui s’observent de plus en plus dans notre pays.

– Secondo, dissuader les praticiens de cette vilaine besogne par des moyens coercitifs appropriées à la mesure de leur forfaiture.

– Tertio, réglementer les cérémonies funéraires ou de réjouissances en les interdisant pendant les saisons des travaux champêtres comme ce fut le cas à l’ère de la Révolution dans ce pays. Et là, Autorités Locales, notamment Maires, Chefs d’Arrondissement, Chefs de village ou quartiers de ville sont vivement interpellés car la gestion de la cité embrasse également ce domaine.

– Quarto enfin, organiser des journées nationales de réflexion sur le phénomène devenu désormais un danger public à voir l’allure où il gagne du terrain afin de rechercher d’autres moyens contre ces pratiques qui font plus de mal que de bien.

En somme, en ces temps de flambée généralisée des prix des denrées alimentaires en général et des céréales en particulier où le maïs a battu le record jamais égalé de 400 FCFA le kilo, ne peut-on pas mettre au service du bien ces connaissances occultes visant à provoquer la pluie pour régulariser les saisons et permettre d’avoir de bonnes récoltes ? Si tant est que cette réalité culturelle s’impose à nous, ne faudrait-il pas envisager à la longue la reconversion de ces prestataires de service en vue d’un changement dans le sens de la positivité pour le bien-être de toute la nation béninoise ? Un nouveau défi certain pour nos gouvernants qui, en plus, de la politique d’envergure des reformes dans le domaine de l’agriculture, doit avoir également à l’esprit cette dure réalité de chez nous. Sociologues, Psychologues, Chercheurs, Anthropologues, Intellectuels traditionnels, tous doivent se pencher sur ce problème, un autre facteur insidieux qui entrave aussi à sa manière la bonne productivité agricole.

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