Suite aux critiques de Roger Ahoyo sur l’ouvrage «Le Roi Béhanzin: Du Dahomey à la Martinique» : l’auteur apporte des précisions

Même des années après sa mort, l’histoire du Roi Béhanzin continue d’être un sujet à polémique. Après les observations portées sur le livre « Le Roi Béhanzin : Du Dahomey à la Martinique », par l’arrière-petit-fils du roi,  Jean Roger Ahoyo et publiées dans les colonnes de notre parution du lundi dernier, l’auteur de l’œuvre réagit avec conviction. Patrice Louis, dans un droit de réponse à nous adressé, prend actes de certaines observations mais rectifie d’autres en citant certaines de ses sources et replace certaines terminologies dans leurs contextes d’utilisation sans pour autant fermer la porte à d’autres réactions.

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Je vous saurai gré de porter à la connaissance de vos lectrices et de vos lecteurs le texte suivant au titre des droits de réponse et de réplique que le Code de déontologie et de l’éthique dans les médias prévoit. Il concerne les observations de M. Jean-Roger Ahoyo publiées dans vos colonnes le 29 août dernier.

Que Jean-Roger Ahoyo soit d’abord ici remercié. Je lui sais gré d’être le premier à vouloir réfuter des points de mon livre Le Roi Béhanzin, Du Dahomey à la Martinique (Arléa, Paris, 2011).

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Avec cet ouvrage, j’ai voulu, humblement, apporter ma contribution au récit de l’Histoire du Bénin, mon pays d’adoption depuis que je me suis passionné pour ce grand personnage.

Je désespérais de l’absence de réactions. Me voilà servi et j’espère que mes échanges avec l’éminent Jean-Roger Ahoyo en déclencheront d’autres afin que les Béninois s’approprient complètement cette page de leur Histoire aussi méconnue que mémorable — douze années d’exil du héros de l’autre côté de l’Océan, dans une île peuplée par les descendants d’esclaves vendus notamment par ses aïeux.

Par respect pour mon contradicteur, j’ai tenu à répondre à ses critiques point par point.

1 – Le despotisme

Qu’ai-je écrit pour mériter les foudres ? J’ai traité le héros de mon livre de despote !

Page 9 : «Béhanzin a régné en despote».

Page 13 : «Le despote est propriétaire du Dahomey» : «Que le monde l’apprenne : roi il est, pas dieu, mais sacré, extraordinaire, d’une trempe unique, thaumaturge charismatique, unificateur, maître absolu, fort en toutes circonstances, arbitraire si ça lui chante. Tout-puissant. Que le monde le retienne : dans son pays, il est vénéré comme père de toute la communauté (Dâdâ), maître du monde, (Sèmèdo), maître éminent de la terre (Aïno), maître des perles (Jéhossou), maître et possesseur de toutes les richesses (Dokounnon). Possesseur? Ô combien. Le despote est propriétaire du Dahomey et de tout ce qui s’y trouve. Il a symboliquement «acheté» le pays en prenant ses fonctions. Il considère le sol et ceux qui l’occupent comme ses biens. Terres, objets et êtres sont à lui – les sujets ne valent pas plus que les choses. Il en fait ce qu’il veut, incluant — cela va de soi — le droit de vie et de mort. » La citation est longue mais elle justifie à elle seule l’emploi du mot. (Source principale : Le Danxomè, Maurice Ahanhanzo Glélé, Nubia, 1974).

Page 65 : «l’ancien despote noie son chagrin d’exilé dans le champagne.»

Page 72 : Le despote reçoit huit Français pris en otages à Ouiadah, enchaînés, ligotés, en caleçon long, tricot à manches longues, chaussettes…

Ce ne sont pas les usages d’une cour policée.

Page 101 : «un despote diminué», à propos d’une lettre au président français : «Vaine exhortation éplorée d’un despote diminué. » Au total, donc, cinq utilisations de «despote» mais environ quatre-vingt du mot «roi», une vingtaine de «souverain», une quinzaine de «monarque», une enfin de «tyran» (mais c’est dans une citation concernant Glèlè).

Jean-Roger Ahoyo concède qu’il y avait «monarchie absolue» et, avec un sens aigu de la litote, que Béhanzin «a dirigé son royaume avec une grande Autorité». Admirez le A majuscule.

Lors du colloque consacré au héros en décembre 2006, l’universitaire Anselme Guézo notait que Béhanzin se considère «comme le centre de l’univers» (Le roi Béhanzin : destin tragique d’un précurseur de la nation béninoise ).

Quand Jean Pliya (qui ne peut être suspecté d’irrévérence à l’égard du roi) évoque dans son discours d’hommage à Abomey-Singbodji, le 10 décembre 2006, les Amazones, «véritable garde prétorienne» du Roi, qui aurait l’idée de lui intenter un procès au prétexte que le dictionnaire Le Robert dit qu’il s’agit de «la garde personnelle d’un chef d’Etat autoritaire»…?

Soyons sérieux : le titre de roi suppose un pouvoir souverain, suprême, qui n’est subordonné à personne. Despote n’en est qu’une déclinaison. Dans mon esprit, ce n’est pas un jugement.

Je conçois toutefois parfaitement que le mot puisse heurter les thuriféraires du défunt roi. Pour ce qui me concerne, c’est le mot «déporté» que je tends à éviter (fortement utilisé sous des plumes béninoises), le réservant aux victimes des nazis. C’est d’ailleurs à tort que je l’utilise, page 90, à propos d’Agoli-Agbo.

 

2 – Villégiature

C’est chercher une mauvaise querelle que de contester le mot villégiature pour traiter de lieux de séjours — un fort militaire aménagé en appartement et une villa, aujourd’hui logement de fonction du procureur de la République de la Martinique !

 

3 – Citation

J’ai quelques talents, mais peu d’imagination. La phrase est tirée d’une source que le temps compté m’empêche de retrouver. Pour l’anecdote, Aimé Césaire aimait beaucoup utiliser le verbe «emmerder»…

 

4 – La princesse Agbokpanou

Je prends bonne note et avec reconnaissance de l’ordre exact d’apparition des filles de Béhanzin.

 

5 – Hilarité

C’est dans le reportage d’un journal martiniquais, Le Réveil, racontant l’arrivée de Béhanzin à Fort-de-France que j’ai lu : «[Béhanzin] fume une longue pipe et montre une face hilare. » Plus tard, selon Le Mémorail martiniquais, il y a cette scène au palais du gouverneur : «L’ancien adversaire du général Dodds se découvre, s’incline et, dans un français hésitant, articule : «Salut et honneur, Monsieur le Gouverneur, comment allez-vous?» M. Moracchini a souri. Décidément, ce tyran apparaît bien débonnaire »…

En faisant miennes ces descriptions, j’ai voulu montrer combien Béhanzin entendait rester digne, majestueux, en opposant de la gaieté aux contraintes à lui imposées, montrant ainsi, dans une position de défi, le peu de cas qu’il en fait.

Au passage, l’une des raisons de mon ouvrage naît dans ce statut dans l’Histoire d’un prisonnier politique traité en majesté. C’est unique dans notre histoire.

 

6 – La règle de succession

Fausse querelle : je place moi-même les limites à une règle que mon contradicteur tempère après moi. Au passage, je note que, d’après Jean-Roger Ahoyo pour devenir le Vidaho, c’est une lutte sans merci (antichambre du despotisme?)

 

7 – La curiosité de Ouanilo

Sans commentaire, puisqu’il s’agit d’un compliment !

 

8 – La contradiction

M. Ahoyo fait semblant de mal me lire. Concernant la formation de cuisiniers royaux à Paris, je ne fais que citer, avec ironie «l’envieuse chronique» et l’épisode se réfère au temps de la splendeur, pas de l’exil.

9 – Dodds, Colonel ou Général ?

Je mérite d’être mis aux arrêts pour avoir anticipé la promotion de Dodds. J’ai plaisir à reconnaître mes torts sur ce point.

 

10 – Le Fâ

Même si ma phrase est particulièrement resserrée, il n’est pas raisonnable de me faire dire que ce sont les Français qui ont voulu l’avis du Fâ sur la nomination de Goutchili. Nommé par eux, ce dernier a toute latitude pour consulter les esprits.

Pour l’interprétation de la succession (continuité ou trahison), je renvoie aux désaccords qui déchirent les auteurs béninois sur le sujet.

 

11 – Le Prince Frédéric

Pour faire une révélation, si je n’ai pas voulu évoquer la relation incestueuse de deux enfants de Béhanzin, c’était pour respecter un «secret de famille» que m’avait révélé M. Ahoyo en personne en me recevant lors de l’écriture de mon livre. Libre à lui de s’en estimer libéré et de s’en ouvrir dans la presse.

 

12 – Louis Souffler

La question évoquée n’est pas dans le livre. Je ne l’aborde donc pas ici.

 

13 – Des amours secrètes

Les informations sur une descendance de Béhanzin aux Antilles m’ont été données aux Antilles et au Bénin. Je n’ai pas enquêté sur un sujet qui relèverait aujourd’hui de la rubrique «people».

Quant à votre affirmation, inédite et grave, sur la stérilisation des épouses, j’attends avec intérêt d’en connaître la source.

14 – L’hyperpolygamie

Si j’évoque des dizaines d’épouses, nombre traditionnel dans la dynastie, je ne cite pas un nombre d’enfants alors que je tiens d’un des meilleurs connaisseurs de Béhanzin, le prince Francis Béhanzin, le chiffre de quatre-vingts.

15 – Le convoi funéraire

Les observations me paraissent fort pertinentes et je m’y rallie volontiers.

Au final, je réitère mes remerciements au professeur Ahoyo et invite les Béninois à s’emparer de mon ouvrage et à le lire sans œillères, fut-ce pour le critiquer.

Le débat est toujours fécond.

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