Françafrique : Quelle étincelle a allumé Bourgi ?

Le grand déballage ! Robert Bourgi vide son sac ! Dans les journaux, dans les studios de radio, sur les plateaux de télévision. Ça s’étale partout et ça éclabousse tout le monde… enfin, presque tout le monde. Et ce sont les puanteurs de la tristement célèbre Françafrique qui remontent des égouts d’une histoire très récente. Les personnes en cause semblent soigneusement choisies ; Dominique de Villepin entre autres. Les dates tout autant ; à moins d’un an de la présidentielle de 2012. Et les objectifs du prétendu « repenti » ne font guère de doute pour une certaine partie de la presse française. Et pourtant. Il y a dans le repentir public de Robert Bourgi quelque chose d’irrationnel. Que le malaise de la Droite française toute entière cache mal.

Robert Bourgi, c’est toute une vie de Françafrique. Toute une vie de mafiafrique. L’héritier de Jacques Foccart a fait presque aussi bien que son mentor. Maintenir ces « bougres » de Chefs d’Etat africains dans la hantise perpétuelle de l’insécurité politique et de la perte du pouvoir, si jamais les desiderata du patron de l’Elysée et de Matignon n’étaient pas réalisés. Et comme ils sont si rares, nos chefs d’Etat à être prêts à assumer de devoir perdre le pouvoir, il suffisait à Bourgi de leur passer quelques coups de fil pour s’assurer leur entière collaboration. Jusqu’à Laurent Koudou Gbagbo ! A en croire en tout cas le néo-repenti. Et donc, il n’y avait pas de raison objective pour que cela cessât. C’est de la main de Robert Bourgi qu’a été exécuté le rêve de fin de la Françafrique que le malheureux Jean-Marie Bockel avait cru bon devoir réaliser tel que le clamait Nicolas Sarkozy.

C’est en cela que le repentir de Robert Bourgi peut faire sourire. Ou pleurer, selon que l’on soit indifférent à la saignée subie par l’Afrique dans ce cadre ou non. Robert Bourgi ment. Sans doute pas quand il mentionne les chefs d’Etat et de gouvernement africains qui, un jour ou l’autre, ont livré sans sourciller à la France les deniers de leurs peuples. Encore moins peut-être quand il évoque les personnalités politiques françaises qui ont bénéficié de ces prodigalités tous azimuts. Le mensonge de l’éminence grise françafricaine à la Sarkozy, c’est quand il parle de repentir. Car il est bien curieux, le repentir qui ne vient que cinq années après le moment où on l’attendait. Encore plus curieux quand il ne porte que sur des faits potentiellement prescrits en justice et dont les protagonistes ne sont que des adversaires passés et ou futurs de Nicolas Sarkozy.

Mais de là à affirmer que Robert Bourgi est en mission commanditée, il y a un pas que je ne franchirai pas. Le déballage en cours me semble pour ma part servir moins les intérêts du président de la République française qu’il n’y est susceptible de nuire. En vidant certes, de façon bien sélective son sac, l’avocat Bourgi n’ignore pas que les enquêtes ouvertes par la justice française risquent de porter préjudice à bien plus de monde que ceux qu’il a pris le soin de mettre sur sa liste noire. Sauf que dans cette scabreuse affaire de transport de valises de billets pour le compte d’autrui, il l’a souligné lui-même, il n’existe presque jamais de preuves matérielles. Et ce n’est certainement pas aux Bongo, Obiang Nguema et autres Sassou Nguesso qu’il faudra demander de venir confirmer ces propos. Bourgi sait sans doute pouvoir compter sur cette donne. Mais une chose est certaine, pour avoir servi Nicolas Sarkozy en tant que l’homme « d’influence » qu’il revendique être, il ne rassure pas totalement son patron par ses propos.

La vérité sur l’attitude Robert Bourgi, il faut à mon sens la trouver dans la perte de cette influence qui lui était si chère, depuis le départ de Claude Guéant de l’Elysée et la reprise en mains de la diplomatie française par Alain Juppé. Celui-ci n’avait que moyennement apprécié le rôle de la cellule diplomatique de l’Elysée durant les premières années du règne de Nicolas Sarkozy et a fait de son démantèlement au moins partiel, une des conditions de sa participation au gouvernement Sarkozy en exercice. Il y a donc de quoi lire à travers l’attitude de Me Bourgi une envie de règlements de comptes, bien loin de cette prétendue lutte qu’il prétend engager aux côtés de Nicolas Sarkozy pour l’avènement de la « rupture » tant de fois promise et jamais advenue.

Mais s’il prend à quelque Africain naïf de croire que la disgrâce de Robert Bourgi et la « mise à nu » de ces pratiques malsaines va changer quelque chose au sordide de la relation qui lie encore la France à certaines de ses ex-colonies africaines, il en sera bien pour ses frais. L’année de campagne électorale qui s’ouvre sera, comme d’habitude, celle des valises qui vont et viennent entre les états-majors politiques français et les capitales africaines. Ce qui allume Bourgi, c’est certainement de n’être plus de ceux qui vont les transporter. Car cela aussi a bien entendu ses avantages, et c’est ce que Robert Bourgi n’a pas encore révélé.

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