Il n’y a pas à dire, chez les Gnassingbé, le linge sale se lave en public. Le procès le plus attendu à Lomé depuis plus de deux ans a enfin commencé. Dans le box des accusés, un intouchable : Kpatcha Gnassingbé. Demi-frère de Faure, le président de la république togolaise en personne. A ses côtés, un autre de ses frères, Essolizam, et quelques autres parents proches et lointains. A la barre des témoins, Rock, un autre frère du Chef de l’Etat. Et tout cela dans le cadre d’une accusation de tentative de coup d’Etat qui, en avril 2009, a secoué et mis en émoi la petite république voisine du Bénin et du Ghana. Peut-être les suites d’une guerre de succession qui va se dénouer, ne serait-ce qu’en partie, à l’issue d’une décision de justice.
Les faits remontent à l’année 2009 en réalité, mais les racines en sont bien plus profondes. Quand en cette nuit du 15 avril 2009, les forces armées togolaises ont pris d’assaut, non sans rencontrer une farouche résistance, le domicile de l’ancien Ministre de la Défense et frère du Président de la République Kpatcha Gnassingbé pour arrêter un certain nombre de personnes soupçonnées de fomenter un coup d’Etat, c’est à l’historique de l’accession de Faure Gnassingbé lui-même qu’il m’a cru bon de devoir penser. En effet, suite à la disparition inattendue du Président de la République d’alors, le Général Eyadema Gnassingbé, étaient susceptibles de prendre immédiatement la relève les fils Faure et Kpatcha. Mais il fallait tenir compte de la communauté internationale par trop emportée par ses exigences de démocratie et de respect des droits de l’homme. Toutes choses dont le Togo de cette époque-là ne s’était que trop royalement passées déjà. C’est alors que Faure, jeune, instruit, éduqué à l’occidentale a emporté la mise par rapport à son frère dont l’exubérance et le train de vie en avaient même fait un temps l’homme des sales besognes de son père, très versé dans les milieux soldatesques.
Du temps a passé, et même s’il a été nommé Ministre de la Défense quelques années, Kpatcha en voulait sans doute plus, et son frère ne l’ignorait pas. C’est donc presque tout naturellement que le complot qui fait l’objet de ce fameux procès, et dont les audiences nous diront, espérons, s’il était avéré ou non, a été éventé. Ce qui est remarquable deux années après, c’est la mise à nu complète des rivalités de pouvoir et des rivalités tout court qui pourfendent de toute évidence la fratrie Gnassingbé. Non seulement le truculent Kpatcha et son frère Essolizam se retrouvent sur le banc des accusés, mais en plus trois autres cousins du Chef de l’Etat sont poursuivis. Quant à Rock Gnassingbé, frère des deux principaux protagonistes de l’affaire, il a été peu après les incidents démis comme d’autres hauts gradés militaires de ses fonctions de Commandant des unités parachutistes du Togo. Peut-être a-t-il ainsi déjà payé l’intervention de ses hommes qui se sont interposées entre les éléments de l’armée togolaise et la garde rapprochée de Kpatcha Gnassingbé dont l’arrestation a été de ce fait retardée de plusieurs heures.
Il est évident que le Président Faure Gnassingbé sera l’un des principaux gagnants dans ce procès si, conduit dans les règles de l’art, il aboutit effectivement à la reconnaissance de la culpabilité des accusés. Faure Gnassingbé serait alors débarrassé d’un caillou dans son soulier. Car, il est évident que le député Kpatcha Gnassingbé paraissait devoir, à un moment ou à un autre, représenter un danger pour le détenteur du pouvoir. Si ce n’était par les relations privilégiées qu’il entretenait avec de nombreux hauts gradés de l’armée, ç’eut pu être à l’occasion des élections présidentielles, en déposant sa candidature, fort de sa popularité dans le nord du pays, fief électoral incontesté des Gnassingbé. Débarrassé de son truculent frère, mais aussi du Général Tidjani, célèbre pour sa férocité envers les opposants du régime de feu Gnassingbé Eyadema et même contre ceux de son successeur, Faure Gnassingbé pourra sans aucun doute poursuivre la politique de réconciliation avec l’ex-opposition traditionnelle incarnée par Gilchrist Olympio, dont le spectaculaire rapprochement avec les autorités gouvernementales en 2010 doit certainement en partie à la mise à l’écart de ceux qui furent durant quelques décennies ses bourreaux et ceux de ses partisans de l’UFC.
Le pathétique du procès Gnassingbé réside donc dans le fait qu’il expose au grand jour les dissensions profondes que le défunt Général Eyadema n’a pas été en mesure de polir au sein de son innombrable progéniture avant de tirer sa révérence. Mais s’il peut effectivement avoir des vertus, quelles qu’elles puissent être, qu’à cela ne tienne !