D’abord les faits. Les enseignants du premier degré, de la promotion 2010, admis à faire valoir leurs droits à la retraite, sont sans salaire depuis 13 mois. Ces enseignants, le plus régulièrement du monde, ont constitué leur dossier de retraite. Ils les ont déposés, ensuite, auprès des services administratifs compétents. Depuis, ils attendent.
Après plusieurs décennies de bons et loyaux services, méritent-t-ils d’être ainsi traités, ces éducateurs, ces enseignants qui ont consacré le plus clair de leur vie à former la toute première denrée nécessaire au développement de notre pays, la ressource humaine ? Ce mépris incompréhensible, donne raison à ceux qui assimilent la retraite, sous nos cieux, à « un assassinat administratif ».
Car il y a bien lieu de parler d’un crime parfait, dès lors qu’on peut se permettre de livrer ainsi aux affres de l’existence des pères et des mères de famille. Nombre d’entre eux ont encore des enfants à charge. Nombre d’entre eux sont encore loin d’avoir éteint les effets des engagements financiers pris ou des dettes contractées. Tous arrivent à un âge où la maladie frappe sans prévenir et fond sur sa proie sans pitié. Et Dieu sait que la santé, dans notre société, a un prix. Il faut avoir les moyens de faire face. Sinon…
Quel crime ont-ils commis ces enseignants pour mériter ce triste sort ? Et pendant combien de temps encore durera leur calvaire. Dans le silence entendu de leurs tortionnaires. Dans la complicité des chefs et des « haut placés » qui savent et qui ne disent rien. Les avez-vous vus lever le plus petit doigt ou risquer le moindre avis sur un dossier qui, par son évolution, est à situer, désormais, dans le champ des plus graves violations des droits de l’homme ?
Empressons-nous d’ajouter que ce qui arrive à cette promotion d’enseignants admis à faire valoir leur droit à la retraite ne constitue pas un cas isolé. L’administration, nous renseigne-t-on, a plusieurs autres cas sur les bras, sinon sur la conscience. Des cas tout aussi graves. Des cas encore plus graves. Des cas qui heurtent notre conscience à tous. Suffisamment, en tout cas, pour nous empêcher de continuer de dormir du sommeil du juste, ou de nous taire lâchement. Il ne reste plus que ces cas provoquent le sursaut salvateur de tous ceux qui refusent de cautionner la bêtise ou d’encourager la sottise.
De toutes les manières, les faits que nous rapportons sont déjà assez éloquents pour instruire le procès de notre administration. Qui donnera tort à ceux de nos concitoyens, qui appellent de leurs vœux que nous débarrassions cette administration de sa gangue bureaucratique et paperassière, que nous la transformions en une administration de développement ?
Nous aurions tant voulu que le synonyme d’une administration de développement soit une administration humaine. Le but, ici, c’est de faire retenir que nos services administratifs, par leur mode de fonctionnement actuel, complote contre l’homme, écrase et broie des hommes. Nos services administratifs sont à l’image des salles de torture ou des champs pour des exécutions massives et sommaires. Dans chaque dossier qui traîne sur le bureau d’un fonctionnaire, se trouve écrite, à l’encre d’une indicible souffrance, l’histoire d’un homme ou d’une femme. Derrière chaque numéro matricule, il y a un drame humain qui se noue. Et chaque jour qu’on perd pour traiter et conclure un dossier, c’est un homme, c’est une femme, déjà à terre, que l’on continue de piétiner ; c’est un retraité, après qu’il se fut sacrifié sur le terrain du devoir, que l’on prive de ses droits.
La réforme de notre administration, à la lumière de tous ces faits, est plus que jamais à l’ordre du jour. Il ne peut pas s’agir d’une opération cosmétique qui se limiterait à quelques aménagements techniques. Il ne peut pas s’agir non plus d’aller pirater les autres pour venir plaquer sur notre administration des réalités d’ailleurs. Il s’agit de prendre possession de notre esprit pour dresser l’architecture d’une autre administration. Celle dans laquelle nous projetterions le meilleur de nous- mêmes. Une telle administration, sans être la retraite des bienheureux, doit cesser, au moins, d’être l’enfer des retraités.
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