A qui appartient la terre en République du Bénin ? Si la question ne fait pas l’objet d’une expression explicite, elle n’est pas moins présente et constante dans la conscience de tous les Béninois. L’ancien Président de la République, Dieudonné Nicéphore Soglo, dès qu’il fut élu maire de Cotonou, exprima son ambition de faire de notre capitale économique, « L’une des plus belles cités de l’Afrique de l’Ouest ». L’homme se rendit vite compte de l’extrême difficulté de la tâche. Ses rêves et ses ambitions ont tôt fait d’être plombés par des contentieux fonciers qui lui prenaient le plus clair de son temps.
Cette expérience du premier magistrat de la ville de Cotonou n’est pas à prendre pour une simple anecdote. C’est ce que vivent douloureusement, tous les jours, tous nos compatriotes placés à divers postes de responsabilité. Ils doivent arbitrer des différends liés au foncier, gérer des conflits qui n’en finissent plus. Il s’y ajoute que les armes en usage ne sont pas toujours conventionnelles.
La terre est devenue le plus grand commun diviseur des Béninois. Autour d’elle, on se dispute, on se bat comme des chiffonniers. Pour elle, des familles, des communautés se livrent une guerre sans merci. Avec elle, la haine et la rancœur se comptent comme les principaux ingrédients d’un cocktail explosif. Héritage empoisonné qui se transmet de génération en génération.
Plus de cinquante ans après nos indépendances, nous devons gravement nous interroger sur notre incapacité à mettre bon ordre à cette pagaille monstre qui déstabilise la nation tout entière. A moins que nous ayons des raisons, sinon des intérêts, de préférer ce jeu d’ombre autour du foncier. Un jeu malsain qui favorise des spéculations maffieuses. Un jeu médiocre qui remet constamment en question la cohésion nationale. Un jeu suicidaire qui pourrait nous conduire nous-mêmes et de nos mains à embraser notre pays.
Quel est donc ce pays où personne ne peut prendre le risque d’acheter une parcelle de terre sans avoir sur le dos, quelque temps après, l’armée des arrière-petits enfants du propriétaire ? Quand le terrain ne vous est pas carrément arraché, c’est son prix initial qu’il faut renégocier, à la hausse bien sûr. Désillusionnez-vous : vous n’êtes pas au bout de votre chemin de croix. Vous attend de pied ferme l’armée des parents, amis et alliés des derniers revendeurs. Le plus légitimement du monde, ceux-ci viennent faire valoir leurs droits, prétentions et revendications. Et le cycle infernal se poursuit. De quoi devenir fou !
Cette pagaille autour du foncier est indigne d’un pays comme le nôtre, un pays qui aspire à la modernité et qui ambitionne de se construire selon les normes rationnelles et légales d’un Etat de droit. A quel saint le citoyen peut-il se vouer quand ses droits à la propriété sont piétinés, et quand, comme tel, il ne peut bénéficier d’aucune forme de protection et de sécurité ? Livré à lui-même, abandonné de tous, à commencer par l’Etat, le citoyen est jeté en pâture aux cannibales de la spéculation foncière. Qu’il s’en sorte ou qu’il crève, c’est le cadet des soucis de ceux qui sont pourtant censés lui apporter aide et assistance.
Nous suivons avec intérêt la fièvre législative qui s’est emparée de notre parlement. Et le thermomètre n’en finit plus de monter. C’est bien. Cela a déjà donné des résultats importants, mais surtout rapides. Regardez avec quelle vitesse nous avons voté la loi sur les violences faites aux femmes, la loi sur l’abolition de la peine de mort, la loi anti-corruption, la loi supprimant le droit de grève aux douaniers, la loi référendaire…
Il faut souhaiter que le législateur mette autant d’intérêt et de célérité à étudier, à élaborer et à voter une loi qui aide à répondre aux questions essentielles suivantes : à qui appartient la terre en République du Bénin ? Qui a qualité à vendre une portion de la terre béninoise à qui et à quelles conditions ? Le décret d’application de la loi se chargera de régler les détails afférant à la clé des prix, aux droits, taxes et redevances. Une loi sur le foncier est de l’ordre de l’urgence. Même si elle doit faire monter encore le thermomètre législatif au point de le faire voler en éclats dans les mains de nos honorables députés.
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