Mort de Mouammar Kadhafi : crépuscule d’un résistant ou fin d’un despote ?

Le Guide a tenu parole. Mouammar Kadhafi avait juré de ne jamais fuir la Libye, de combattre jusqu’à la dernière balle, de mourir sur sa terre natale. C’est exactement ce qu’il a fait. Après huit mois d’une guerre farouche, après deux mois d’une résistance aussi déterminée que désespérée, après quarante-deux ans de dictature sordide, le Colonel Kadhafi a passé l’arme à gauche. Les circonstances en sont violentes, dégradantes, déshumanisantes.

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Comme le sort que le Guide a souvent réservé à ceux qui ont osé braver son autorité. Mais une page s’est tournée. Pour les uns, celle d’un héros africain mort aux champs d’honneur, chantre de la résistance et de l’unification du continent africain. Pour les autres, celle d’un dictateur sanguinaire et d’un clan corrompu.

 

La nouvelle est tombée comme une de ces bonnes blagues auxquelles le Conseil national de Transition libyen a fini par nous habituer ces derniers mois. A force d’annoncer la capture de Seïf Al-Islam Kadhafi par-ci, la mort de Mouatassim Kadhafi par-là, l’arrestation de Moussa Ibrahim d’un autre côté, sans que jamais aucune de ces informations n’ait été avérée, le nouveau régime libyen n’a réussi depuis sa prise du pouvoir qu’à jeter le doute et la suspicion sur toute sorte d’annonce venant de sa part. La veille même de la date fatidique de la mort de l’ex-Guide, le Premier Ministre du régime de transition le voyait arpenter le désert sahélo-saharien, recrutant des dizaines de milliers de combattants dans l’optique de reconquérir la Libye. La parole de ces gens-là est donc pour le moins assez peu crédible, et ce n’est pas sans raison que l’annonce de la mort du Colonel a si difficilement été confirmée. Néanmoins, c’est fini, échec et mat ! Kadhafi est mort et bien mort. Livré à la vindicte populaire, abattu comme un chien.

Le fait que rien n’ait visiblement été fait pour protéger le Colonel de l’inévitable lynchage, le fait que les combattants qui l’ont capturé n’aient pas jugé utile de préserver son intégrité physique afin qu’il puisse répondre en justice de tous les crimes qui lui sont reprochés, le fait que Mouammar Kadhafi ait été exécuté en de telles circonstances pose une question aux réponses multiples : pourquoi ? Il est évident d’un premier abord que les forces pro-CNT aux mains desquelles le Colonel est tombé ne semblaient recevoir d’ordre de personne, agissaient à leur guise, livrées à elles-mêmes et décidées à faire leur propre justice. C’est la désastreuse image qu’offre le CNT depuis l’éviction du Guide en août dernier : celle d’un agrégat d’intérêts disparates sans leader charismatique à sa tête, sans personne à qui rendre des comptes sur ce qui est fait, comment il est fait et pourquoi il a été ainsi fait. Au-delà de cela, les dirigeants du CNT sont bien à l’heure actuelle, pour les plus visibles d’entre eux, d’anciens collaborateurs du Guide. Il était donc plus probablement plus facile pour eux de laisser abattre Mouammar Kadhafi que de le livrer à une Cour pénale internationale dans la perspective d’un procès. Un procès où les révélations, les déballages éventuels auraient en plus pu concerner les tout-puissants dirigeants de ce monde qui, au moment où la Libye revenait dans les années 2000 au sein du concert des nations fréquentables, ont peut-être pour certains été juteusement aspergés pour faciliter et accélérer le processus. Seïf Al-Islam Kadhafi n’avait-il pas ouvertement accusé Nicolas Sarkozy d’avoir bénéficié de financement occulte de la part de son père en 2007 ?

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La vérité, on ne la saura plus jamais. Ce qui est certain, au-delà du regret de voir tuer un homme, l’homme qu’aura été Mouammar Kadhafi dans des conditions d’une telle abomination, sans même que les réactions de protestation au sommet en Afrique ne se fassent nombreuses et intensives, une question d’une autre nature se pose : que perd l’Afrique ? Un grand fils ou un grand despote ? Bien entendu les deux, mais l’un plus que l’autre. Durant les quarante-deux ans de son long règne, Mouammar Kadhafi s’est employé à maintenir son peuple sous un terrible joug. Le pain et la paix sans la parole (libre) n’est que despotisme. Plus, le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Soudan, le Tchad ont tant de fois subi les actes de déstabilisation militaire fomentés depuis Tripoli qu’il y a bien de gens dans ces pays qui doutent de la figure de l’homme de paix et d’unité que le Guide libyen a tenté de se forger ces dernières années, realpolitik obligeant. Même quand on reste à déplorer, voire à condamner les interventions intempestives des nations occidentales dans l’Afrique de nos pères hier, dans la nôtre aujourdh’ui et probablement dans celle de nos fils demain, c’est à des dictateurs comme Mouammar Kadhafi que nous devons d’avoir laissé ouvertes les brèches qui facilitent ce genre d’intervention. Des brèches que les actions de développement entamées ici et là sur le continent auraient peut-être permis de colmater, mais que le « printemps arabe » est, en Libye, venu amplifier.

Le roi des rois (traditionnels) d’Afrique est mort. Saluons, comme on sait le faire en Afrique, la mémoire du decujus. La Libye est « libérée ». Le CNT qui attendait semble-t-il sans trop y croire ou même en nourrissant l’espoir que cela n’arrive pas de sitôt, la libération totale du pays pour annoncer la composition d’un gouvernement de transition va devoir s’y mettre. Rude perspective. La nouvelle page qui s’ouvre pour la Libye est déjà une page maculée de sang et d’incertitudes.

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