Une chose paraît certaine, et je me l’accorde a priori en supposant que là-dessus, tout le monde serait d’accord avec moi, c’est que la politique, entendue soit en tant qu’activité, soit en tant qu’entreprise, ou soit en tant qu’exercice, est une chose difficile tout en étant nécessaire.
D’abord, elle est nécessaire, parce que sans elle, nul ne saurait organiser et gérer la société avec un minimum de pertinence. Mais elle est difficile parce qu’elle concerne le domaine de l’action, celui de la vie au quotidien du citoyen. Et bien évidemment, dans ce domaine, sur ce terrain chargé d’aléas, aucune idée, aucun mot, aucun langage n’a vraiment la vertu magique de couper la vérité comme au couteau pour la donner définitivement et avec certitude ou précision.
Cet embarras ou cette difficulté s’applique au phénomène politique globalement perçu. Et l’habileté de l’homme politique consiste sûrement à se jouer de cet embarras, c’est-à-dire, à calculer sans toujours pouvoir la prévoir, l’opportunité des espaces, des contextes et des circonstances pour y semer le germe de propos féconds et exploitables. Qu’importe si la compréhension de tous ne suit pas immédiatement ! Car il ne sera jamais donné que tout le monde pense et dise exactement la même chose et de la même manière. D’un tel point de vue, mes risques sont limités. Je veux dire que personne ne m’en voudra de me tromper, si je me trompe, dans ma tentative d’interpréter ici un mot que nous entendons tous depuis quelques mois: «refondation». Quid?
Si ce mot n’est pas un néologisme, on peut en découvrir le sens en consultant un dictionnaire approprié. Mais tout comme un signe de géomancie ou d’astrologie, tout en ayant un sens général en lui-même peut être soumis à des interprétations très nuancées suivant des cas concrets, je me dis que ce mot de refondation pourrait aussi avoir quelque chose de très figuré à ne pas confondre avec le sens premier, et qui pourrait même dépendre partiellement de celui qui, sans l’avoir inventé, l’a mis en chantier. Prudence oblige donc! Et ce, d’autant que, en ce qui me concerne, ne l’ayant ni inventé, ni mis en circulation, et surtout n’en ayant reçu aucune explication spéciale, je ne prétends rien dire ici qui ne puisse pas être contredit. Lorsque, gentiment des gens de bonne foi me demandent ce que c’est que la refondation, sans hésiter je leur réponds franchement: je ne sais pas!
Pourtant, moi aussi, je me pose la même question, et sans cesse je me réponds que je ne sais pas, du moins, je ne sais pas encore. Mais je ne me console pas de ne pas savoir, car il vaut toujours mieux savoir que de ne pas savoir.
C’est pourquoi, en l’absence de toute enquête et de toute précision, j’entreprends ici de me proposer à haute voix, au grand risque de me tromper, quelque essai d’interprétation. Si par hasard cela se justifiait, nous le partagerions, mais dans le cas contraire, nous nous hâterons de l’oublier sans effort ni regret.
Cela dit, à propos de «refondation», je me suis interrogé sur fondation et sur fondement qui signifient au dictionnaire respectivement:
1. action de fonder
2. éléments essentiels servant de base à quelque chose
Ces sens me renvoient à deux verbes, tous de la même racine, à savoir, fonder et se fonder (sur).
Fonder, c’est prendre l’initiative de créer, d’établir. On peut fonder une entreprise, un foyer, un Etat!
Se fonder (sur): c’est avoir quelque chose pour fondement, pour base. S’appuyer sur quelque chose pour légitimer une opinion, un sentiment.
L’un dans l’autre, ou l’un par l’autre, les deux mots me permettent de comprendre, sauf erreur de ma part, qu’il peut être question dans refondation, d’un nouveau démarrage tout autant que de nouvelles bases de départ. En m’imaginant dans le contexte politique du président de la république, la refondation pourrait très bien servir à rendre compte du souci de mieux faire qui l’habite au début d’un nouveau mandat, responsabilité oblige!
Il est légitime pour tout homme de se demander: comment vais-je m’y prendre désormais pour que les choses marchent mieux que par le passé? Quelles nouvelles bases vais-je donner à mes initiatives, à mes propos, à mes décisions, à mes actions? Comment réorienter l’attention des concitoyens etc.
Et si véritablement l’idée de refondation,-et c’est plus que le mot ce qui m’intéresse- navigue dans ces eaux politiques, alors assurément, on peut s’en servir, non pas seulement comme un leitmotiv, c’est-à-dire comme un refrain qui alimente les discours ou les déclarations, mais comme un outil de formation de la conscience du citoyen, un instrument idéologique susceptible de le mobiliser sur la base de nouvelles motivations. En quelque sorte, refonder l’Etat béninois, n’est-ce pas reconsidérer le fonctionnement de ses structures à travers une profonde prise de conscience et/ou s’inscrire dans une nouvelle vision qui engage à améliorer les méthodes, à œuvrer pour le progrès et un développement réels?
Assurément, de façon pédagogique, cela appelle une rectification en chacun et en tous de la mentalité, des habitudes, mais aussi un réajustement des ambitions et des intérêts pour une véritable convergence des activités nationales. Cela suppose aussi probablement, la mise en commun des ressources et des compétences, leur meilleure utilisation et rentabilisation.
Mais par ailleurs, tous ces efforts ne reviennent pas seulement à un mandat présidentiel. Nous venons de commémorer ici au Bénin et un peu partout en Afrique les cinquante premières années de notre indépendance qui nous interpellent immédiatement sur les cinquante prochaines. Là aussi, il y a nécessité d’asseoir la marche des affaires de la République sur de nouvelles bases, sur de nouveaux principes, plus actifs, plus dynamiques et plus pertinents au regard des nouveaux besoins, toujours plus nombreux et plus envahissants dans un monde instable et tiraillé. Oui, là aussi, disons-nous, un engagement s’impose, non seulement de la part des structures et institutions étatiques, mais encore de la part de chaque citoyen en tant qu’acteur du présent et de l’avenir.-
L’impulsion peut en être donnée du haut, mais elle doit être assumée par chacun et par tous. Une idée, même la meilleure, ne peut être actualisée par une seule personne et doit bénéficier de l’effort et de l’apport de tous.
Forcément, dans cette logique, le mot de refondation, avec le cortège d’obligations et d’engagements qu’il véhicule ou suggère, ne saurait être celui d’un inspiré solitaire, mais requiert nécessairement d’être accompagné par la compréhension et l’acceptation de tous pour pouvoir être assumé en actes et vertus (forces) de transformation avantageuse de notre réalité. Notre devenir se donne à lire dans un tableau ou une vision où configurent tous nos défis et tous nos espoirs. Ils sont tous à nous! Il nous faudra les démêler, les discriminer, les dialectiser, et même les transmuter les uns par la force des autres. Bien sûr, cela demande de la volonté, une volonté forte, de la vigilance et du réalisme. La mission de la politique est d’organiser et de gérer la société avec de telles dispositions. Il faudra toujours des idées pour mener le monde de l’action.
Alors refondation? Oui, probablement, mais pas seulement au regard d’un mandat ou d’un quinquennat, ni seulement non plus au regard d’un prochain cinquantenaire national, mais sûrement au regard tout à la fois de notre histoire individuelle et collective dans le déploiement infini des cycles millénaires de la terre, de l’humanité et de l’univers. Nous y avons tous et chacun une place qui se construit, un rôle qui se joue par la qualité de notre investissement au quotidien. Décidément, rien ne se perd et tout est en marche pour nous transformer, et nous devons nous changer pour changer les choses. Si nous nous libérons de nos haines et des germes de nuisance, très certainement, le rythme du monde sera aussi le nôtre.
Dans tous les cas, 2012 sera pour notre planète la fin d’une étape de 26.000 ans et le commencement d’un nouveau cycle d’évolution. Il nous est ainsi donné à tous l’occasion de nous inscrire dans cette mouvance de restauration pour y programmer ou reprogrammer notre marche en avant.
Alors pouvons-nous parler de refondation? Très certainement oui! Et pourquoi pas? Mais nous avons besoin de la penser aussi, ou peut-être même d’abord! Car il doit sûrement s’agir de l’intégrer en nous-mêmes pour pouvoir la réaliser…
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