Dis-moi comment on t’appelle

Wadjou, Kossamakan. Voilà deux prénoms yoruba. L’un et l’autre traduisent une certaine idée de progrès. Wadjou, littéralement, veut dire « devant ». Kossamakan renvoie à l’idée d’un accomplissement à force de constance, de régularité et de persévérance. Comme pour signifier que le succès se trouve au bout d’un engagement sans faille. Ces deux prénoms portent un message positif, un message assez indicatif sur ce que devrait être l’action, ici bas, de ceux pour lesquels ils sont des compagnons de vie.

Et le prénom que porte un individu, dans l’acception africaine, béninoise du terme, n’est d’abord et avant tout que cela. Parce que le prénom que porte un individu le signifie tout en lui signifiant une mission sur terre. Parce que le prénom que porte un individu fait complètement corps avec lui. Il doit en répondre. Il doit répondre quand on l’appelle.

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Le prénom d’un individu ainsi compris n’est plus un banal indicateur d’identité. Il ne peut être choisi par hasard, au petit bonheur la chance, avec la complicité passive et idiote du calendrier ou par souci de sacrifier à la mode. Le prénom, en référence au terreau culturel sur lequel il germe et pousse, devient objectivement un programme de vie accroché, si l’on osait dire, au cou de quelqu’un. A charge de le défendre et de l’illustrer, sa vie durant, du mieux qu’il peut.

Si l’on devait ainsi voir les choses, opérant un retour salutaire à certaines valeurs de nos cultures de base, on devrait revoir, du tout au tout, notre rapport aux prénoms que nous donnons ou que nous portons. Quelques exemples pour le montrer.

– Pour l’enfant qui naît, le seul prénom de Jean, Pierre ou Thomas pourrait se révéler insuffisant. C’est sûr : cet enfant, par l’intermédiaire de ses parents, paie sa dette à la chrétienté. Mais cet enfant accuse un grave déficit vis-à-vis de sa culture de base. Aucun plan d’ajustement structurel, ne peut l’aider à se libérer d’une telle dette.

– Pour l’enfant à qui l’on a donné un prénom fantaisiste, la facture culturelle peut se révéler lourde, parce que ce prénom ne renvoie et ne réfère à rien. C’est le cas des prénoms que l’on va pêcher dans le calendrier. Exemple : Mélaine, Guénolé, Zita et autres France ou Blanche. C’est encore le cas des noms de personnalités connues qui ont été faits prénoms. Exemple : Jaurès, Césaire, Senghor ou Faure. Il y a des prénoms piochés dans les télénovelas, ces feuilletons venus de l’Amérique ou de l’Asie qui ont depuis envahi le petit écran de nos pays : Jospinto, Marimar, Maya ou Ari.

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S’il en est ainsi et dans la perspective de nous réapproprier notre identité d’Africains, de Béninois, la question que nous devons nous poser coule de source : que faire ?

Il faut prendre conscience du poids et de la charge identitaire du prénom. Nous ne sommes pas des êtres de hasard. Le prénom reste ou devrait rester un lien organique entre nous et notre bagage culturel. C’est le patrimoine avec lequel nous traversons la vie. C’est notre héritage existentiel. Le Japonais, où qu’il se trouve dans le monde, se reconnaît ou se fait reconnaître Japonais par son prénom.

Il faut revisiter le corpus des prénoms de nos sociétés. Il faut nous réapproprier la philosophie sous-jacente, tel qu’on le ferait d’un legs sacré. Il faut exhumer des décombres de l’aliénation, de l’extraversion et du mépris ce qui nous appartient en propre ; ce que nous devons chérir au premier chef ; ce par quoi nous pouvons amorcer la renaissance africaine de nos vœux.

Il faut nous résoudre, enfin, à donner, en toute connaissance de cause, à nos enfants, aux enfants d’Afrique, des prénoms qui les signent, des prénoms qui les signifient. A leurs propres yeux d’abord, comme des héritiers d’une civilisation riche et pluriséculaire. Aux yeux des autres, ensuite, comme les habitants, les propriétaires du continent que la nature a honoré d’être le berceau de l‘humanité. Il n’est que temps de donner le top de cette révolution culturelle.

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