Reformes fiscales contenues dans le projet de loi de finances gestion 2012 : l’enfer fiscal ou la mort du secteur prive formel au Bénin ?

Dans la loi des finances gestion 2012, le gouvernement béninois a prévu des reformes fiscales avec à la loupe la hausse de certaines taxes existantes et l’institution de nouvelles taxes. L’objectif visé est l’accroissement des ressources internes du pays. Pourtant, Serge PRINCE AGBODJAN, Juriste Fiscaliste, critique, dans cette réflexion que nous vous proposons, des dispositions contraignantes pour la poignée d’opérateurs économiques que compte le Bénin et défavorables à l’essor des affaires.

Si le projet de loi portant loi de finances pour la gestion 2012 était voté en l’état, à compter du 1er janvier 2012, on notera une :

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• hausse du taux du droit proportionnel en matière de patente (A 1ère à 4ème, B, D 1ère et 2ème) qui varie à présent de 20% à 150% au lieu de 12% à 25% ; (article 1038 du projet de loi de finances gestion 2012.)

• hausse du taux du droit proportionnel en matière de patente (A 5ème et 6ème, D 3ème et 4ème) qui varie à présent de 20% à 250% au lieu de 6% à 17,5% ; (article 1038 du projet de loi de finances gestion 2012.)

• hausse du taux de la taxe sur boisson, qui sera désormais de 5% au lieu de 3% pour les boissons non alcoolisées, de 15% au lieu de 10% pour la bière et le cidre, de 35% au lieu de 15% pour le vin, de 40% au lieu de 30% pour les liqueurs et champagnes. (article 263 bis nouveau du projet de loi de finances gestion 2012.)

• hausse du taux de la taxe sur tabac et cigarettes, qui sera désormais de 40% au lieu de 30%. (article 259 bis nouveau du projet de loi de finances gestion 2012.)

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Comme si cette flopée de hausse des impôts n’est pas suffisante, le gouvernement du Bénin à travers ce projet de loi de finances portant gestion 2012 envisage à travers ses articles 280 nouveau-1, 280 nouveau-4 et 175 bis l’institution de nouvelles taxes à savoir :

– La taxe sur le café fixée à 5% ;

– Une nouvelle taxe de 7% sur les véhicules de tourisme dont la puissance est égale ou supérieure à 13 chevaux (les voitures 4×4) ;

– Une retenue de 1% à effectuer sur les sommes en rémunération de livraisons de biens ou de prestation de services reçues ou financées par les organisations non-gouvernementales, les associations et organismes à but non lucratif nationaux et internationaux, les organismes d’aide au développement ainsi que les missions diplomatiques immatriculées à l’IFU ;

– Une retenue de 5% à effectuer sur les sommes en rémunération de livraisons de biens ou de prestation de services reçues ou financées par les organisations non-gouvernementales, les associations et organismes à but non lucratif nationaux et internationaux, les organismes d’aide au développement ainsi que les missions diplomatiques non-immatriculées à l’IFU.

Dans cette volonté manifeste de faire rentrer à tout prix les fonds dans la caisse de l’Etat sans vraiment prendre en compte l’avis du secteur qui produit pourtant la richesse, le projet de loi de finances gestion 2012, semble oublier le malheureux score du Bénin dans le classement de la Banque Mondiale Doing Business 2012, (175ème sur 183). Pendant que les pays comme le Mali (146ème sur 183), le Togo (162ème sur 182), le Burkina (150 sur 183) le Ghana (63ème sur 182) avancent joyeusement, le Bénin ; notre pays vient de remettre en cause et de façon unilatérale une réforme initiée par le secteur privé à travers son Groupe de Travail Fiscalité. Cette réforme qui concerne essentiellement l’exonération à l’impôt sur le revenu pour toute entreprise nouvellement créée, a été acceptée par tous.

Sans produire des statistiques probants et sans présenter une étude d’impact de la mesure, après trois (03) ans d’application, le projet de loi de finances, gestion 2012 a tout simplement supprimé cette exonération d’impôt sur le revenu, en modifiant les articles 19, 146 et 196 du Code Général des Impôts (CGI). Ainsi en matière de création d’entreprise notre pays refuse d’être compétitif puisque les autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana…continuent d’apporter des mesures nouvelles d’assouplissement des procédures pour accueillir de nouveaux investisseurs.

 Dans le système fiscal ivoirien, on peut noter :

 La réduction d’impôt jusqu’à 50% en cas d’investissement de bénéfices ;

 l’exonération fiscale pendant trois (03) ans pour les entreprises nouvellement créées ou pour reprendre des activités en difficulté ;

 le crédit d’impôt de 100 000 FCFA pour la création de chaque nouvel emploi ;

 le crédit d’impôt s’élevant à 20% de la valeur d’acquisition de brevets ou procédés nouveaux de fabrication, dont les petites et moyennes entreprises bénéficient.

 le système fiscal ghanéen prévoit des exonérations plus importantes :

 l’exonération pendant dix (10) ans pour les produits de cueillette ;

 l’exonération pendant cinq (05) ans pour les exploitations d’animaux de ferme (autres que le bétail), les poissons et les cultures de rapport commercial ;

 l’exonération pendant dix (10) ans pour l’élevage de bétail ;

 l’exonération pendant trois (03) ans pour les sociétés de produits de transformation au Ghana ;

 l’exonération pendant dix (10) ans sur le revenu d’une banque, généré par une entreprise bancaire ;

 l’exonération pendant cinq (05) ans sur le revenu perçu par une personne à titre de loyer sur tout local résidentiel ou professionnel ;

 l’exonération pendant cinq (05) ans sur le revenu généré par une entreprise de construction immobilière, sur la vente et la location de locaux résidentiels ;

 l’exonération illimitée sur le revenu d’un cultivateur de cacao, provenant de la culture de cacao ;

 l’exonération pendant quinze (15) ans sur le revenu de la Bourse des Valeurs du Ghana.

Et comme pour rendre l’année 2012, très difficile avec un étouffement certain et programmé des quelques opérateurs économiques béninois qui sont encore dans le secteur formel, le projet de loi de finances vient de renforcer le pouvoir discrétionnaire du fisc à travers :

– la possibilité prévue à l’article 1085-A1 de faire désormais en « inopinée » une vérification de comptabilité ;

– le délai de 48 heures désormais accordé au contribuable pour se faire assister par son conseil avant l’examen au fond de la comptabilité (art.1085-A1, al.2).

Devant cette multitude de taxes et une volonté manifeste d’abuser des contrôles fiscaux comme nous le constatons dans le secteur des auxiliaires de justice (avocats ou tout faiseur d’opinion), l’on se demande bien à quel jeu joue le pouvoir public. Même si la politique du gouvernement actuel est comme l’a dit l’autre,« une politique d’échec », (c’est-à-dire foncer et se raviser après avoir fait des casses dans le secteur) il faut quand même savoir « qu’à force de trop presser une orange, on finit par rien n’y trouver ». Si les 5% d’opérateurs économiques encore appelées par la Direction Générale des Impôts et des Domaines « les grandes entreprises » s’étouffaient, cela causera de graves préjudices aux recettes de l’Etat qu’on cherche à avoir à tout prix. Au lieu de presser ceux qui acceptent encore de rester dans le secteur formel, il vaut mieux amorcer une réforme courageuse de ceux qui opèrent au vu et au su de tout le monde dans le secteur dit « informel ».

 

Qu’il vous souvienne que dans la loi de finances gestion 2011 en vigueur, une importante réforme fiscale y a été introduite. Il s’agit de la réforme de l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP) et l’Impôt sur les Sociétés (IS) dont l’application a été différée pour compter de janvier 2012. A ce jour, aucun acteur fiscal sérieux ne sait de manière précise la charge financière que va engendrer cette réforme au niveau du secteur privé. A cela, il faut y ajouter la réforme « PVI » en cours au niveau du Port de Cotonou. Selon le Ministre Jean-Michel ABIMBOLA qui était sur un plateau de télévision le 21 août 2011, le PVI est « une réforme qui va permettre aux douaniers et autorités portuaires de savoir quels sont les genres de marchandises qui transitent par le Port de Cotonou et de mettre fin aux rançonnements et aux faux frais ». Si on comprend le Ministre du gouvernement, ce programme permettra aux opérateurs concernés de payer désormais le vrai et juste prix à l’Etat béninois ce qui suppose inexorablement que les consommateurs achèteront désormais aux vrais et justes prix. D’où l’inéluctable hausse des prix des denrées sur le marché.

 

N’est-ce-pas les mêmes opérateurs économiques qui vont faire face à cette réforme ?

Dans cet environnement où l’Etat lui-même n’a toujours pas encore maitrisé l’inflation occasionnée par l’annonce et la mise en œuvre partielle de la réforme PVI avec la hausse constante des prix sur le marché, on s’apprête encore à augmenter le droit proportionnel en matière de patente (A 1ère à 4ème, B, D 1ère et 2ème) qui varie à présent de 20% à 150% au lieu de 12% à 25% et du droit proportionnel en matière de patente (A 5ème et 6ème, D 3ème et 4ème) qui varie à présent de 20% à 250% au lieu de 6% à 17,5%.

Si nous savons que les tranches concernées par la hausse sont ceux du tableau A 1ère à 4ème, B, D 1ère et 2ème ; A 5ème et 6ème, D 3ème et 4ème qui regroupe l’ensemble des opérateurs économiques béninois y compris les tout petits qui se cherchent encore à savoir le transitaire n’ayant pas d’employé, le Marchands ambulants de bétail vendant annuellement plus de 150 à 300 bœufs ou chèvres.0 ânes ou 1800 moutons ou chèvres, exploitant de Bar, Commerçant au détail n’effectuant ni importation, ni exportation dont le montant des marchandises en magasins est supérieur à 1 000 000 de francs, mais inférieur ou égal à 2 000 000 de francs et dont le montant annuel des transactions est supérieur à 3 000 000 de francs, mais inférieur à 8 000 000 de francs, Ingénieur consultant, Avocat, Banques, établissement de crédit (succursale principale et agence), Compagnie de navigation au long cours (agence principale), Compagnie de navigation au long cour (sous-agence), Magasins généraux (exploitant de…), Entrepreneur en bâtiment, chef d’atelier ou d’usine non inscrit au tableau B occupant 30 ouvriers ou plus et dont le chiffre d’affaires annuel est égal ou supérieur à 50 000 000 de francs, Hôtelier avec restaurant ayant plus de 6 chambres, Entreprises de pêche ayant au moins deux bateaux, Mécanicien – garagiste représentant une ou plusieurs marques de véhicules automobiles, Pharmacien, Société d’expertise comptable, Transitaire ayant plus de 5 employés, Succursales de sociétés et entreprises d’exploitation de machines à sous et autres jeux de hasard, Exploitant de bars et buvettes dépositaires de machines à sous, Bureau d’études et réalisations, de documentation et projets pour sociétés et entreprises importantes, Agence d’assurance, Architecte, Commerçant au détail n’effectuant ni importation ni exportation dont le montant des marchandises en magasin est supérieur à 2 000 000 de francs ou dont le montant annuel des transactions est supérieur à 8 000 000 de francs, Commerçant en gros ou demi-gros n’important pas, Commissionnaire en marchandises, Consignataire de navires, Dentiste, Entrepreneur en bâtiment, chef d’atelier ou d’usine non inscrit au tableau B occupant 30 ouvriers ou plus et dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 50 000 000 de francs, Expert comptable, Garagiste, Médecin, Notaire, Restaurateur ayant plus de 8 employés, Société formée par actions pour l’achat ou la vente d’immeubles ou autres spéculations immobilières, Station service gérée par la société importatrice, Succursale que fait tenir un importateur ou exportateur du tableau B et dont le montant annuel des transactions est supérieur à 8 000 000 de francs, Transitaire ayant plus de 2 employés, Entreprise de pêche ayant moins de deux bateaux, Agent d’affaires ayant au moins 2 employés, exploitant de Bar, exploitant de Cinématographe ou théâtre, Commissaire-priseur, Eaux gazeuses, limonade ou sirop (fabricant de…), Entrepreneur en bâtiment, chef d’atelier ou d’usine non inscrit au tableau B et occupant 10 à 30 ouvriers, Géomètre, Hôtelier avec restaurant ayant 5 à 8 employés, Succursale que fait tenir un importateur ou exportateur du tableau B et dont le montant des transactions est supérieur à 3 000 000 de francs ou inférieur ou égal à 8 000 000 de francs, Transitaires ayant 1 ou 2 employés, Promoteurs artistiques, Petites et moyennes entreprises, Agence de publicité, Agence d’affaires n’ayant qu’un employé, Collecteur de ferraille achetant sur place et n’exportant pas, Boulanger ou pâtissier utilisant des moyens mécaniques, Commerçant au détail n’effectuant ni importation ni exportation dont le montant des marchandises en magasin est supérieur à 400 000 francs mais inférieur ou égal à 1 000 000 de francs ou dont le montant annuel des transactions est supérieur à 1 500 000 francs et inférieur ou égal à 3 000 000 de francs, Courtier d’assurance, Couturier, couturière et tailleur ayant assortiment d’étoffe, Entrepreneur en bâtiment, chef d’atelier ou d’usine non inscrit au tableau B et occupant 5 à 10 ouvriers, Mécanicien garagiste, Produits du pays (marchand de…) ayant une installation fixe, Représentant de commerce, Sage-femme tenant une clinique où elle reçoit sa clientèle, Restaurateur ayant moins de 5 employés, Succursale que fait tenir un importateur ou un exportateur du tableau B et dont le montant annuel des transactions est inférieur à 3 000 000 de francs, , Photographe ayant plus d’une vitrine

Marchands sédentaires de bétail vendant annuellement plus de 300 bœufs ou 150 chevaux ou 800 ânes ou 1800 moutons ou chèvres, Marchands ambulants de bétail vendant annuellement plus de 300 bœufs ou 150 chevaux ou 80 Marchands sédentaires de bétail vendant annuellement de 150 à 300 bœufs ou de 75 à 150 chevaux ou de 400 à 800 ânes ou de 900 à 1800 moutons ou chèvres, …

l’on est en droit de se demander le sort des honnêtes citoyens béninois qui ont choisi investir au Bénin. Ce projet de loi de finances gestion 2012 si elle était votée en l’état, serait pour le secteur privé un enfer fiscal avec la mort programmée des quelques rares entreprises du secteur privé existants au Bénin.

Il faut de la mesure en toute chose. L’on ne saurait conduire trois réformes importantes dans le seul secteur la même année et ne pas avoir une inflation sur le marché. Cette fois-ci les tournées gouvernementales sur nos marchés ne seront pas justifiées car, parmi les huit principes pour le management de la qualité, il est dit et connu mondialement au septième principe que « Les décisions efficaces se fondent sur l’analyse de données et d’informations » ce que les qualiticiens appellent l’Approche factuelle pour la prise de décision ».

Comment peut-on lancer des réformes fiscales de ce genre en cette période où on ne sait pas encore les conséquences de la réforme PVI sur les opérateurs du secteur formel ?

La conséquence de la hausse de la patente, du taux de la taxe sur boisson, qui sera désormais de 5% au lieu de 3% pour les boissons non alcoolisées, de 15% au lieu de 10% pour la bière et le cidre, de 35% au lieu de 15% pour le vin, de 40% au lieu de 30% pour les liqueurs et champagnes en 2012 ainsi que la nouvelle taxe de 5% sur le café couplée avec la réforme PVI nouvelle génération aura sans nulle doute une augmentation des prix sur le marché national. Les citoyens béninois qui peinent sous le poids du coût de la vie et qui continuent de subir cette hausse des prix sur la marché constaterons avec regret que cette inflation va s’accroitre dès lors que cette loi de finances gestion 2012 serait votée en l’état par nos honorables députés.

Dans une pareille situation, il faut reprendre le Professeur émérite de l’Université de Nantes, Michel de Viliers qui écrit que : « L’Etat n’a pas sa fin en lui-même sa fin est dans le bien commun de la société et des personnes qui la composent »

En tout cas, si ce projet de loi gestion 2012 est voté Magister dixit (voté parce que le maître l’a dit) ce serait malheureusement une porte ouverte au développement du secteur dit informel qui s’accroît dangereusement dans notre pays.

 

Au Bénin, l’on a l’art de justifier l’injustifiable pourvu que la volonté du «Prince» se fasse. Attention ! Ici c’est la vie économique du Bénin qui est en jeu et le Bénin n’est pas le seul pays de l’Afrique. Des opportunités existent également ailleurs et juste près de nous. Le doing business 2012 vient de nous le rappeler par son dernier classement.

Serge PRINCE AGBODJAN
Juriste Fiscaliste

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