Senghor dans l’histoire, en sa maison

Le Musée Senghor. C’est l’hommage que l’ancien opposant Abdoulaye Wade rend à son prédécesseur à la Présidence de la République, Léopold Sédar Senghor. Les autorités sénégalaises viennent de prendre la décision de transformer l’ancienne maison du Président-poète à Dakar en un musée. L’acte a du sens. C’est un bel exemple qui doit faire tache d’huile. Senghor n’aurait pas eu besoin d’un musée pour que continue de s’écrire la légende d’une vie bien remplie, l’épopée d’une vie pleinement accomplie. L’homme, par son parcours exceptionnel, s’était taillé, de son vivant, une place de choix dans l’histoire. Abdoulaye Wade, l’ancien opposant, l’actuel Président de la République, rachète la maison de son prédécesseur à Dakar. Il en fait un lieu de mémoire. Ce n’est pas banal. Assez significatif, en tout cas, pour retenir l’attention.

Dans une Afrique où les haines politiques sont tenaces, la chose est rare. C’est vrai que Senghor mort ne menace ni ne dérange le pouvoir d’Abdoulaye Wade. Mais le fait du Prince est si fort en nos pays que celui qui est au pouvoir veut tout le pouvoir, occupe tout l’espace du pouvoir, au point de tout réduire à sa seule et unique personne. Avant lui, rien. Après lui, le déluge ! Le beau geste d’Abdoulaye Wade bat en brèche une telle d’idée. Il consacre, du coup, l’exception sénégalaise. Comment convient-il de l’interpréter et de l’apprécier ?

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A un Président honorable, la nation reconnaissante. Senghor n’aura pas été pour son pays un président ordinaire, un accident de l’histoire. Mais un vrai chef qui a marqué son temps. Un leader, au sens plein du terme, qui a suscité l’admiration de ses compatriotes.

Trente ans après son départ volontaire du pouvoir, dix ans après sa mort, son souvenir demeure vivace dans l’esprit et dans le cœur de ses compatriotes. L’histoire serait indéchiffrable, incompréhensible si elle devait consacrer au même titre un Idi Amin Dada ou un Samuel Do.

Le geste d’Abdoulaye Wade témoigne pour Senghor, et au-delà pour la fonction présidentielle, en termes de grandeur et de servitude. Une fonction éminente certes. Mais une fonction complexe et difficile, ingrate et éreintante. Ceux des nôtres qui ont ainsi accepté de se jeter à l’eau et qui ont sacrifié le meilleur d’eux-mêmes pour le service des autres méritent d’être honorés. Leur exemple doit traverser les âges. Leur exemple doit parler à l’esprit et au cœur des générations qui se suivent. C’est l’aspect hommage.

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Par ailleurs, la conscience historique d’un peuple autour des faits édifiants, des vestiges signifiants ou des personnalités marquantes se construit. On peut parler aux Sénégalais de Senghor à longueur de temps. Mais rien ne leur parlera de lui aussi intimement que sa maison, expression de son être profond, de ses goûts, voire de sa vision des êtres et des choses. La maison musée d’un personnage de légende comme Senghor, c’est une manière de recréer une ambiance, de reconstituer un environnement, un cadre de vie, de restaurer une vie en vérité et en authenticité, sans fard ni artifice. C’est le complément vivant à tout ce que nous avons appris et su l’homme à travers des ouvrages, des études, des thèses… etc. C’est l’aspect mémoire.

Mais diront les sceptiques, pourquoi regardez en arrière alors que les vagues du présent maltraitent nos rêves d’aujourd’hui, tel un navire en perdition dans l’immensité océane ? Pourquoi invoquer le passé alors que l’espoir s’étire en pointillé et que demain perdure à se cacher derrière le masque lugubre de l’incertitude ?

Des questions qui ne manquent pas de pertinence. Mais ce n’est pas à un peuple sans mémoire qu’on demande de tracer les chemins qui mènent vers demain. Ne se souvenant plus de qui il est, ce peuple ne pourra jamais formuler le projet de l’être nouveau qu’il entend devenir. Ne sachant pas où il va, il ne retrouvera point les sentiers qui conduisent à sa maison. Il ne peut s’ouvrir aux autres. Il ne peut échanger avec les autres. Sans racine et sans frondaison, c’est du bois mort. C’est l’aspect repère. Que dire de plus ? Que ce qui prend ls allures d’une exception sénégalaise, avec le musée Senghor, s’impose comme la nouvelle vision de l’Afrique.

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