Une sanction sans précédent a été infligée au quotidien «Le Béninois Libéré». Il est formellement et définitivement interdit de parution en République du Bénin. Le promoteur Aboubacar Takou et le Directeur de Publication Eric Tchakpè sont interdits jusqu’à nouvel ordre d’exercice de la profession de journaliste au Bénin et de création d’un organe de presse. Ainsi en ont décidé les conseillers de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) suite à l’audition publique spéciale tenu hier dans les locaux de l’organe de régulation.
Pour en arriver là, la Haac reproche au quotidien des écrits incendiaires, des propos discourtois qui visent à détruire la République et à mettre à mal les relations entre Bénin et les pays membres du Conseil de l’Entente. En guise d’exemple, les conseillers ont fait allusion à la manchette d’une des parutions de ce quotidien qui est libellée comme suit «Conseil de l’Entente : Du vent !» et dont la suite disait : «Cotonou a servi hier de cadre à un club d’amis mal élus qui se sont retrouvés pour se féliciter chacun pour sa brillante élection», illustré par les propos des cinq Chefs d’Etat du Conseil de l’Entente. Ce titre a été, aux yeux des conseillers de la Haac, d’une gravité particulière « et les expressions employées par le journal sont non seulement grossières, outrageantes, ordurières à l’égard des Chefs du Conseil de l’Entente». Deux autres faits ont également offusqué ces conseillers. Primo, ils estiment qu’au lieu que les sieurs Aboubacar Takou et Eric Tchiakpè apportent des clarifications sur leurs réelles motivations, ils ont préféré leur perdre le temps sous prétexte que leur droit de citoyen n’a pas été respecté. En effet, ces deux messieurs ont souhaité que la Haac leur accorde un temps conséquent pour qu’ils puissent préparer leur défense du moment où ce n’est que dans la soirée du mercredi dernier qu’ils ont été informés de l’audience sans savoir l’objet. Secundo, il a été constaté par la Haac que ce quotidien n’est qu’un récidiviste et que le comportement de ces deux responsables n’est pas acceptable. Ce qui est mis en exergue à ce niveau est la manchette dudit quotidien suite à son audition de mardi dernier assortie d’une sanction d’interdiction de parution pendant un mois. Alors à sa manchette de la parution de mercredi passé, on pouvait lire : «Comment la Haac a fendu le crâne au journal».
En plus de ces deux sanctions, il a été décidé une saisie conservatoire de tout écrit et la mise sous scellé des locaux du quotidien. A noter que cette décision prise par la Haac hier abroge toute décision antérieure et prend effet immédiatement.
Un précédent gravissime contre la liberté de presse
Ainsi donc, la Haac a suspendu définitivement notre confrère, «Le Béninois Libéré». Ce quotidien béninois très connu pour ses titres à sensation devrait faire ses adieux aux Béninois, suite à la décision de la Haac, de Théophile Nata. En attendant de revenir sur les tenants et les aboutissants de la sanction, on peut noter deux grandes leçons de la grave décision de l’instance de régulation de la communication et de l’information, laquelle porte un coup dur à la liberté de presse et d’expression au Bénin.
En effet, dans cette décision, la Haac accuse le canard d’avoir traité les présidents du Conseil de l’Entente de présidents «mal élus» et de mettre à mal les relations entre le Bénin et les pays de la sous-région. A ce niveau, la Haac ne fait qu’un commentaire de trop par rapport à une opinion donnée par un journaliste. Il ne saurait y avoir péril en la demeure, à ce sujet, mais la Haac décide de sanctionner de façon si gravissime. On en conclut qu’au lieu de réguler, la Haac se comporte comme une Cour d’exception qui juge. Nulle part dans la Constitution béninoise ou même dans la loi organique qui la régit, la Haac n’est prévue pour devenir un tribunal ou une Cour de l’ordre judiciaire. Faire ainsi, c’est apporter de l’eau au moulin de ceux qui s’opposent à sa méthode de régulation des médias. Ensuite, on a comme l’impression que la Haac expose les journalistes au lieu de les protéger. Oui, à une audience publique qui, en revanche, ne devrait pas être médiatisée. Or, la Haac semble s’accommoder de cela. Normalement, il revient aux associations corporatistes ou aux ordres de gérer à l‘interne les dérives de ses membres sur le plan déontologique et professionnel. Il en est ainsi de beaucoup d’autres corps de métiers (ordre des médecins, des avocats, des architectes…). L’Observatoire de déontologie et d’éthique dans les Médias (Odem) semble mieux indiqué pour le faire. En tout cas, toute sanction en la matière doit être celle des pairs. La Haac devrait rester dans ses rôles de régulation. Sans plus. Mais à l’allure où vont les choses, il y a lieu de ramener sur le tapis le débat sur ses prérogatives au regard du droit positif béninois. Sinon, l’institution républicaine qu’elle se doit d’être risque de sacrifier la liberté de presse, au nom d’un hypothétique assainissement de la corporation.
Laisser un commentaire