Nous consacrons l’édition de ce jour au Béninois Libéré, pour marquer notre soutien ferme à un confrère qui vient d’être définitivement fermé sur simple décision de la Haac, en attendant un éventuel recours. Ainsi, dans cette édition, vous trouverez des analyses, des interviews des députés de toutes tendances, des juristes, des syndicalistes, des confrères et des citoyens ordinaires. Et pourquoi un tel soutien à un quotidien, aux antipodes de la ligne éditoriale de La Nouvelle Tribune et qui au surplus, passe dans une certaine opinion pour un journal à sensation, plusieurs fois condamné par l’Odem, le tribunal des pairs, la Haac et les tribunaux de notre pays?
Pour deux raisons et deux raisons seulement : d’abord nous pensons fortement que la Haac, en prenant cette décision qui, de notre point de vue n’est pas de son ressort, dans la précipitation et dans une atmosphère de très grande tension et de passion, s’est complètement fourvoyée. Nous pesons nos mots ! Ensuite, dans un climat politique caractérisé par la pensée unique, la caporalisation au forceps de tous les médias privés et de service public, au nez à et la barbe de la Haac, la volonté manifeste de l’Exécutif de notre pays d’assujettir de force toutes les institutions de contre pouvoir et l’impuissance qui s’apparente à la démission des partis politiques dits de l’opposition, dans ce climat-là, la disparition d’un journal, fût-il de mauvaise qualité, est une mauvaise nouvelle pour la liberté d’expression et donc pour la démocratie tout court.
Avant d’aborder les deux raisons ci-dessus clairement exprimées relevant des principes qui fondent notre entrée dans ce noble métier, levons d’emblée une équivoque. Nous avons dit plus haut que la ligne éditoriale de notre journal est aux antipodes de celle de notre confrère frappé d’interdiction. Tout en effet, sauf le métier lui-même, nous oppose à ce journal. D’abord, c’est un concurrent qui, dans la jungle du marché de la publicité (la première source de revenus des médias ) nous dame largement le pion. Car dans notre pays malheureusement, malgré les déclarations tonitruantes des uns et des autres sur la viduité du contenu de la presse écrite, c’est le sensationnel qui tient le haut du pavé. Chez nous, on n’achète pas encore un journal , par réflexe comme ailleurs ou pour son contenu, la justesse de ses informations ou la pertinence de ses analyses et commentaires. On achète un journal d’abord pour le titre qu’il affiche en manchette. Et, plus le titre est ronflant, plus les lecteurs de notre pays se ruent pour l’acheter. Les annonceurs aussi malheureusement ! Ce phénomène se renforce tous les jours par l’effet néfaste des «crieurs publics» modernes que sont les revues de presse radiotélévisées. C’est un fait de société qui mérite une réflexion collective. Notre société est avide et demandeuse de nouvelles à sensation. Et c’est le Béninois libéré qui l’a compris mieux que nous tous. Il a choisi en toute liberté son créneau : la dénonciation tous azimuts des scandales politico-financiers, dans un langage cru et totalement débridé, proche de l’irrespect, le tout, dans un style décapant et sur un ton humoristique. Le Béninois libéré c’est notre Canard enchaîné, moins les dérives. A sa une, on trouve aussi, les faits divers les plus loufoques, et autres joyeusetés du genre burlesque. La composition des titres est tout un art chez notre confrère et il faut l’avouer, c’est une spécialité maison, sa marque de fabrique pour ainsi dire ! Ses titres sont pour la plupart ronflants. Les mots, dominés par des verbes forts et des adjectifs qualificatifs redondants, sont volontairement choisis pour faire rire et frapper l’opinion. Chez lui, c’est la dérision et même l’autodérision permanente. Comme ce titre à la Une du journal au lendemain de la première décision de suspension : « Comment la Haac a fracassé le crâne de votre journal ». Le Béninois libéré est donc un journal à part mais un journal quand même qui a le droit d’exister aux côtés des autres journaux. Car, par sa ligne éditoriale, il est au carrefour de toutes les informations, et donc au carrefour de toutes les tendances politiques qui l’utilisent les unes contre les autres. Cela est un fait avéré ! Les confrères et les politiciens qui jouent les vierges effarouchées le savent bien ! Ses rapports incestueux avec toute la faune de la jungle politique et des affaires est un secret de polichinelle. Tout le monde s’en est accommodé, malgré les fautes déontologiques qu’il accumule. On sait que ce qu’il écrit n’est pas toujours déontologiquement défendable mais tout le monde se tait. Non ! Tout le monde condamne sur le bout des lèvres ou au détour d’une décision et le tour est joué ! De ce fait, tout le monde est coupable : ses amis, les associations professionnelles qui, en l’absence d’un ordre des journalistes, ont parfaitement le droit et le devoir de le rappeler fermement à l’ordre, et surtout la Haac. On nous rétorquera qu’on l’a plusieurs fois rappelé à l’ordre et qu’il a toujours récidivé.
Parce que tout le monde passe à côté de la solution qui se trouve dans la loi organique de la Haac. C’est l’article 45 qui stipule clairement : » La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication peut ester en justice. Elle est représentée par son Président ». Toutes les autres dispositions qu’on invoque ces deux derniers jours pour justifier la position de la Haac ne peuvent nous convaincre que la Haac peut se substituer aux tribunaux , pour interdire définitivement un organe de presse, pour délit d’offense à chef d’Etat. Car en se faisant représenter devant les tribunaux par son président, la Haac adresse un signal fort pour frapper fort en toute légalité les récidivistes de l’acabit du Béninois libéré. Car seul le tribunal, de par les moyens dont il dispose (confrontation du plaignant à l’accusé, présence des avocats) peut amener un média récidiviste (amende élevée, fermeture temporaire et autres) à faire amende honorable.
Au lieu de cela, (nous revenons ainsi à nos deux raisons évoquées plus haut), la Haac s’est érigée illégalement en un tribunal d’exception qu’elle n’est pas, pour prendre la décision la plus radicale qui soit, c’est-à-dire l’interdiction définitive de parution, jetant ainsi dans la rue , sans préavis des familles entières de journalistes, techniciens, distributeurs qui vivent de ce journal. Elle avait pourtant pris la veille une décision de suspension d’un mois contre le même journal. Pourquoi une telle célérité qu’est-ce qui presse tant? Le plus grave ce n’est pas que le journal a été pris en flagrant délit d’arnaque ou d’escroquerie, comme l’a dit un peu légèrement un membre éminent de la Haac sur une chaîne de radio internationale (même dans ce cas, c’est le tribunal qui est compétent).Le plus grave , disions-nous est que la Haac, l’organe de régulation et de protection de la liberté de presse, fonde sa décision sur un article de presse qui n’est qu’une opinion. Cet article a été jugé par la Haac, offensant pour notre président et tous les chefs d’Etat d’une organisation sous régionale avec laquelle nous avons écrit dans ces mêmes colonnes qu’il fallait en finir.
Mais alors, on est où là ? Depuis quand, condamne-t-on un citoyen pour ses opinions ? Pourquoi la Haac se substitue-t-elle au chef de l’Etat qui peut instruire son ministre de la justice, lequel peut donner des instructions au parquet pour une citation directe pour offense au chef de l’Etat et à ses pairs étrangers ?Car seul le tribunal a les moyens que la Haac n’a pas, de connaître et surtout de juger des cas de diffamation et d’offense au chef de l’Etat ou tout autre délit prévu par les deux lois qui régissent l’ensemble des médias. En procédant ainsi, la Haac joue à faire peur aux acteurs des médias et crée un précédent très grave qui ouvre la boîte de Pandore aux pouvoirs publics (ministres et présidents d’institutions politiques) pour sévir à peu de frais, sans aller en justice contre les écrits répétitifs ou non, jugés diffamatoires ou offensants à leur endroit. Désormais le président de la République peut dormir tranquille. Les conseillers de la Haac qui se taisent, quand l’exécutif utilise les moyens de l’Etat pour mettre au pas les médias et les institutions du pays, montent admirablement la garde! Cette instrumentalisation d’une institution de contre pouvoir dont le rôle principal est de garantir et de protéger la liberté de presse est tout simplement inacceptable! Le Bénin devient ainsi un pays normalisé comme le Togo, le Burkina, la Côte d’Ivoire de Ouattara et de Gbagbo où un media peut être interdit sur simple décision administrative, par la simple volonté du prince régnant. Or depuis la Conférence des forces vives de la Nation, le roi est nu et il ne fait plus peur !
* Note : Nous empruntons le titre de ces colonnes à notre confrère ivoirien Fraternité matin. Une rubrique qu’animait avec brio l’ancien ministre, professeur titulaire et éminent homme de lettre et de culture ivoirien, Botey Zadi Zaourou. C’était, au plus fort de la guerre, sa manière de décrire les temps difficiles que vivaient les populations de Côte d’Ivoire.
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