Journaliste : ni au hasard ni par hasard

106 journalistes tués en 2011, dans 39 pays dans le monde. L’information est consignée dans le rapport annuel de l’ONG « Presse Emblème Campagne », daté du 19 décembre 2011. 106 journalistes tués en 2011, c’est un peu plus qu’en 2010 qui en a enregistré 105. Mais c’est moins que l’année record 2009, avec 122 journalistes tués. Macabre comptabilité. Importe peu le nombre des tués, dès lors que nous marquons notre accord avec André Malraux (Citation) : « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». (Fin de citation). Retenons, toutefois, que nous exerçons un métier à risque. On ne peut fermer les yeux là-dessus. Un tel métier mérite respect. C’est trop lourd, en effet, le tribut chaque fois payé pour satisfaire au droit du public à s’informer et à être informé. C’est de l’ordre du sacré un métier qui fait contracter à ceux qui l’exercent un pacte de sang. Le pire n’est jamais trop loin quand on doit être un témoin, l’œil de la conscience, celui-là qui « était dans la tombe et regardait Caïn ». C’est au regard de tous ces faits qu’il importe de revisiter notre profession. Histoire d’en appréhender la mission pour mieux en préciser la vision.

D’abord, le journalisme est un métier à risque. Nul ne devrait s’y aventurer sans qu’il n’ait eu à prendre l’exacte mesure de ce à quoi il s’expose, de ce qu’il encoure. Il ne s’agit ni de se faire peur ni de faire dans la sinistrose, en péchant par pessimisme excessif, en peignant tout en noir, en voyant roder la mort partout. Mais nous devons nous attacher, à l’adresse notamment des jeunes qui viennent dans notre métier, à aborder celui-ci au-delà de son côté jardin.

Le journalisme ne saurait ni se résumer en la collecte tranquille et sereine des faits ni se limiter à une enfilade joyeuse de cocktails mondains ou de dîners bien arrosés. Si notre métier est, comme on le dit, un sacerdoce, appelant, par conséquent, des exigences auxquelles on peut attacher un caractère religieux, il est bon et sain de faire aimer ce métier dans la vérité de ses contraintes et obligations. Sinon, on prend le risque d’avoir tout faux. Les jeunes pousses que nous cultivons dans nos écoles ou dans nos rédactions ne comprendront rien au métier, n’atteindront jamais leur pleine maturité professionnelle.

Ensuite, le fait qu’il y a tant d’hommes et de femmes qui sont ainsi sacrifiés sur l’autel de la mission de servir les autres, devrait forcer les vivants à un devoir de dignité et d’honorabilité. En effet, les vivants trahissent la mémoire des morts chaque fois qu’ils sont amenés à tricher avec les principes et les règles du métier. Les vivants pactisent avec les bourreaux de leurs confrères et de leurs consoeurs morts sur les champs du devoir chaque fois qu’ils s’avisent de franchir la ligne rouge des exigences et obligations du métier.

La conscience d’exercer un métier qui peut à tout moment placer en situation de mettre en balance sa vie pour que se manifeste la vérité, devrait conduire le journaliste à l’observance d’une sorte de morale naturelle. Ceci par delà la lettre des codes de déontologie placardés dans toutes nos rédactions. Nous nous situons ici au niveau d’une éthique de vie. Les engagements sont strictement individuels et rigoureusement au singulier. C’est chaque journaliste qui se voit tel qu’en lui-même et se saisit dans le miroir de sa conscience.

Enfin, une activité, une mission qui exige de ceux qu’elle tient dans les liens d’aller, si possible, jusqu’au sacrifice suprême se sacralise par ce fait même. C’est ce qui arrive partout où le sang est versé. Les chrétiens évoquent le sang de Jésus Christ abondamment versé pour laver les péchés du monde. Les musulmans, à travers la fête du mouton, se réfèrent au souvenir du sacrifice demandé à Abraham. Il devait alors immoler son fils Ismaël en signe d’absolue obéissance à Dieu. Les adeptes du Vodun tiennent le sang des animaux qu’ils immolent pour la meilleure offrande faite à leurs divinités.

Ainsi le sang scelle un pacte sacré qui ennoblit un acte, libère de la banalité du quotidien des espaces entiers ainsi parés d’un caractère inviolable. C’est ce que font de notre métier ceux qui y sacrifient leur vie, en versant leur sang par devoir. Et c’est ce qui explique qu’on ne doit ni devenir journaliste par hasard ni exercer le métier de journaliste au hasard.

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