Injurier quelqu’un, c’est quoi ? C’est proférer à l’encontre de celui-ci un terme de mépris. Et la République bruit, ces jours derniers, d’injures et de noms d’oiseaux, lancés à tout va. Comme si nous sommes un pays, avec deux composantes distinctes. D’une part, le cercle vertueux des saints et des anges aux mains pures. Ils peuvent s’autoriser d’injurier les autres. D’autre part, le marigot des diablotins à jamais marqués de la tare satanique du mal. Ils ne mériteraient que d’être injuriés. Les journalistes, souvenez vous-en, en ont pris récemment pour leurs grades. En plus d’avoir été étiquetés « écrivaillons », voilà que nous devons tenir pour vrai qu’en chacun d’eux sommeille un clochard. S’il devait en être ainsi, quoi attendre de ces gueux de la plume, du micro et de la caméra ?
Les magistrats et les juges, dans le collimateur de leur ministre de tutelle, viennent d’être déclarés « corrompus ». Ce qui laisse penser que la façade de notre Justice, qu’on voudrait propre et respectueuse, n’est que du toc. Dit à la manière béninoise, c’est « payo ». Ce qui réduirait toutes nos procédures judiciaires en des sketches, en des pièces de théâtre. Tout serait déjà ficelé en coulisses et à l’avance. Les acteurs seraient dans des rôles prédéterminés. Sous le couvert des textes ainsi détournés. Sous le masque des robes et des toges qui ne seraient plus que de simples accoutrements de scène. L’argent roi ayant déjà finit d’huiler tous les circuits, nos prisons peuvent se remplir d’innocents.
Les responsables des sociétés d’Etat en portent encore la blessure : ils viennent d’être traités de voleurs de primes. Comme tels, ils ne vivraient qu’aux dépens de leurs entreprises ainsi mises en coupe réglée. Et pour faire passer une telle image dans l’opinion, on a dû se servir de certains d’entre eux comme des moutons du sacrifice, au prix d’un lynchage médiatique malsain. Il fallait accréditer à tout prix l’idée selon laquelle nous avions affaire à des bouffeurs à l’appétit vorace, qui promènent leur morgue hautaine par-dessus la misère du plus grand nombre.
Les responsables syndicaux, ne seraient ni plus ni moins que des anarchistes, à la solde des politiciens. Tout était alors bon pour accuser son chien de rage et le faire tenir pour un trublion fauteur de grèves. Tout est bien goupillé pour faire du responsable syndical l’ennemi public N°1.
Quant aux douaniers et aux opérateurs économiques, ils ne seraient que des bandits qui, dans un baroud d’honneur ou de déshonneur, mèneraient leur dernier combat, attachés qu’ils seraient à leurs prébendes. Au détriment et sur le dos de l’Etat.
Au regard de tous ces cas, il y a lieu de se poser la question d savoir si l’injure participe d’un rituel, consacré par nos traditions, destiné, comme tel, à purger une société qui refuserait de cacher ou de se cacher ses tares ? C’est là une question pour laquelle nous n’avons même pas un début de réponse. Une question qui nous amène à nous poser trois autres questions.
L’injure peut-elle avoir la force et la vertu de moraliser ? Si injurier quelqu’un c’est le mépriser, on peut aisément comprendre qu’on ne peut ni réaliser grand ni construire durable par le mépris et dans le mépris. Le mépris n’est pas un outil de développement, de progrès.
L’injure peut-elle favoriser un échange fructueux entre les citoyens d’un pays ? L’injure participe du parti-pris. C’est un regard unilatéral, voire arbitraire qui coupe toutes voies de dialogue. L’injure subjectivise les rapports entre les individus, dominés par leurs émotions et par leurs sentiments. C’est sûr : qui oublie de se servir de sa tête ne risque pas de bien raisonner avec son cœur.
L’injure, à la fin, pour quel résultat ? Ce proverbe anonyme y répond : « Celui qui t’insulte, n’insulte que l’idée qu’il se fait de toi, donc il n’insulte finalement que lui-même».
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