Ministres en villégiature ou ministre en inspection ? Une demi-douzaine de ministres de la République sillonne le territoire national. Ces hauts dignitaires gouvernementaux, comme s’ils n’en avaient pas assez à s’occuper dans leurs ministères, procèdent à l’évaluation des chantiers financés sur les fonds du Programme d’investissement public (PIP). En temps normal et en situation ordinaire, on ne se foulerait pas la rate : l’expertise et les compétences des collaborateurs des différents ministres concernés auraient été requises pour une mission de routine d’inspection et de contrôle technique. Les experts se chargeront de rendre compte à qui de droit pour la suite à réserver à leur rapport d’inspection.
Le fait d’avoir hissé la mission au niveau ministériel, lui confère, ipso facto, un caractère politique. Nous ne sommes pas dans la routine du « déjà vu, déjà entendu », mais dans l’exigence du « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Autrement dit, comment et à quoi a-t-il été utilisé, au regard du cahier des charges, l’argent public affecté à la construction des écoles, des centres de santé, des logements sociaux, des infrastructures sociocommunautaires.
Le territoire national est un vaste champ d’éléphants blancs. Des chantiers ouverts depuis des lustres, mais qu’on ne sait plus clôturer. Des infrastructures qui, après les premiers coups de pioche, devenus depuis les derniers, poursuivent un dialogue muet avec la brousse et les reptiles qui y habitent. Notre pays, de ce point de vue, est un vaste cimetière d’éléphants blancs. C’est-à-dire des réalisations coûteuses, mais inachevées. Des réalisations d’utilité douteuse. Des réalisations qui auront coûté beaucoup d’argent au contribuable et par ricochet aux populations destinataires. Celles-ci, déçues et dépitées, ont fini par faire leur deuil de toutes ces choses qui auraient pu changer leur vie de tous les jours.
On cite volontiers le cas de l’hôpital de zone de Djougou qu’on n’en finit plus de construire depuis plus de onze ans ! Peut-être existe-t-il d’autres cas tout aussi graves ou plus graves ? Ce serait pour nous conforter dans l’idée qu’une ballade de nos ministres, par monts et par vaux, ne pourrait pas grand-chose contre ces pachydermes. Les éléphants blancs ont la vie dure. Il va falloir imaginer des mesures moins spectaculaires, mais plus efficaces. Des mesures qui frappent juste et sans faiblesse, découragent ceux qui sacrifient la chose publique sur l’autel de leurs intérêts égoïstes.
Mais, attention : on peut facilement désigner l’entrepreneur adjudicataire qui a fourgué aux populations un ou plusieurs éléphants blancs. Il a un visage sur lequel on peut mettre un nom. Sa raison sociale est connue. Mais cela ne suffit pas à bien clarifier les choses. La réalité est autrement et souvent plus complexe. Un seul exemple pour nous en convaincre. Surtout pour analyser et appréhender le phénomène des éléphants blancs en des termes nouveaux.
Il y a un marché des marchés, pourrait-on dire. En effet, celui qui soumissionne pour un appel d’offre, se trouve souvent pris dans les mailles d’une nébuleuse maffieuse. Comme tel, il est soumis à des pressions de toutes sortes. Il s’agit de le racketter proprement. Il s’agit de dédouaner le marché qu’il a honnêtement gagné ou qu’il s’est fait frauduleusement attribuer. Les droits, taxes et autres cadeaux prélevés sur ce marché entament et épuisent drastiquement la cagnotte initiale. Qui peut, dans ces conditions, respecter les termes d’un cahier des charges ? Qui peut, dans ces conditions honorer ses engagements d’entrepreneur ?
Ce cas de figure montre et démontre que l’entrepreneur délinquant n’est que la partie visible d’un immense iceberg. Il n’est que l’un des maillons visibles d’une longue chaîne quasi invisible de corruption. Avec des complicités de l’ombre. Avec des parrains souterrains. Avec des réseaux de malfrats de gros calibre. Comme on le voit, les éléphants blancs ont des ramifications insoupçonnées. Mais il n’y a pas de quoi se décourager. Il ne faut, sous aucun prétexte, lâcher prise. Débarrasser le pays des éléphants blancs ne relève pas d’une mission impossible. Les Malgaches, dans l’un de leurs proverbes, nous rassurent : « A force de sucer, le moustique finit par se faire aplatir».
Laisser un commentaire