L’habit, la culture et l’économie

Deux parcours, mais une seule et même ambition : montrer que les habits que nous portons nous révèlent et nous identifient. La quête de Tibouté Sama, présidente de l’ONG « African Culture Pride », c’est de promouvoir le pagne tissé. Elle est tout au début de cette expérience qui a encore les couleurs d’une aventure. De quoi demain sera-t-il fait ? Jean-Baptiste Hounyovi est couturier de son état. Il a à son compteur quarante ans de carrière. Il veut partager un savoir et un savoir-faire. Il veut réconcilier les Béninois, les Africains avec eux-mêmes, à travers les habits qu’ils portent. D’un côté, l’audace de la jeunesse. De l’autre côté, la transmission du témoin au terme d’un long et fructueux combat. Mme Tibouté Sama a lancé, le samedi 17 décembre, la première édition de « La nuit du pagne tissé », une manifestation honorée par le Premier ministre et plusieurs ministres de la République. Jean-Baptiste Hounyovi nous invite, depuis le 18 décembre et ce jusqu’en février, à découvrir son exposition de couture haut de gamme. Il y présente notamment le « Natté », fruit de ses recherches et qu’il définit comme « du tissu en ruban entremêlé avec d’autres supports… ». L’exposition a bénéficié de la présence remarquée de la Première Dame, Mme Chantal Yayi.

Heureux Béninois, témoins privilégiés des deux séquences d’une seule et même fête, la fête de l’habit placée sous le regard croisé de deux passionnés de l’art vestimentaire. L’une et l’autre ambitionnent de redessiner la silhouette du Béninois. L’une et l’autre caressent le rêve de voir une majorité de Béninois comprendre l’apport, la contribution des métiers du vêtement au développement de notre pays. L’une et l’autre partagent la conviction que la créativité et l’expertise locales peuvent aider à révolutionner l’art du vêtement et à donner au Béninois, à l’Africain une assise esthétique qui le réconcilie avec les réalités de son environnement socioculturel.

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Cela revient, pour l’une, à tirer le pagne tissé des ateliers artisanaux de nos tisserands pour l’introduire, comme une matière noble, dans les magasins les plus huppés d’ici et d’ailleurs. Et puis, il y a l’étape essentielle du façonnage, appelé à porter la griffe de certains de nos couturiers et stylistes. Sans méconnaître les progrès faits dans l’affirmation d’une nouvelle profession, le mannequinat. Sans oublier, en remontant tout au bout de cette chaîne, le brave paysan, le producteur de la matière première, le coton. Ce paysan qui est jusqu’ici à la peine verra-t-il son travail valorisé et ses efforts récompensés ? Voilà toute la problématique de la démarche de Tibouté Sama dont la quête, esthétique par essence, n’est pas moins sociale et économique. Ainsi, l’habit que nous porterons désormais sera à la confluence de plusieurs métiers qui font vivre une multitude d’hommes et de femmes. C’est la valeur ajoutée du tissu au développement national.

Cela revient pour l’autre, en l’occurrence Jean-Baptiste Hounyovi, au faîte de son art et ayant blanchi sous le harnais, à adresser un message à la jeune génération de couturiers et de stylistes béninois et africains. Un message d’espérance pour tous ceux qui s’engagent dans un métier dont on a prédit la mort sous les coups redoublés de l’industrie du prêt-à-porter. Un message aux accents graves d’un testament. En ce qu’il trace aux jeunes les chemins exaltants de la recherche, au-delà de la rentabilité immédiate.

La production en série pour une consommation de masse s’essoufflerait bien vite si, en amont, on ne cherchait pas à améliorer le matériel de base, à renouveler les formes, à être dans le vent de la mode sans s’assujettir aux modes. Pour dire que le styliste qui habille Monsieur et Madame tout le monde doit donner la main au couturier dont les créations uniques inaugurent des séries, fécondent les imaginations. Si bien que si le styliste a des admirateurs qui lui tressent des lauriers de célébrité, le couturier a plutôt des disciples qui lui profilent ses chemins d’éternité. Et Jean-Baptiste Hounyovi est un maître, un grand maître à qui nous ne savons pas toujours rendre l’hommage qui lui est dû, un hommage à la hauteur de son immense talent. Tibouté Sama et Jean-Baptiste Hounyovi, l’une et l’autre dans leur créneau respectif, restent deux visages marquants de notre culture nationale.

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