Religions d’Afrique et christianisme

Il est étrange de constater combien les ethnologues étrangers, qui autrefois ont pris contact avec l’Afrique sub-saharienne, ont méconnu la valeur profonde et le sérieux de sa religion traditionnelle ! Le Dr Bellamy, par exemple, écrivait en 1886 : ‘Les Mandingues (Malinké et Bambara) n’ont pas de religion au sens vrai du mot ; on ne peut, en effet, appeler de ce nom quelques pratiques superstitieuses qu’ils exécutent sans aucune idée un peu profonde.’

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On se demande comment il est possible que des esprits, par ailleurs distingués et probablement sincères, en arrivent à porter sur des hommes et des peuples, des jugements aussi hâtifs ! En Afrique, comme partout dans le monde, l’homme, parce qu’il est homme, a toujours senti le besoin légitime de dépasser la réalité concrète pour s’approcher d’une réalité transcendante ; il a perçu, fort logiquement, que l’homme, s’il est objet de science, est aussi sujet de conscience, que ce serait se mutiler d’une partie essentielle de lui-même que de se limiter à sa matérialité.

Ces anciens voyageurs, malgré leur science et leur probable bonne volonté, n’ont donc vu que l’extérieur des choses : ils n’ont pas découvert que l’univers africain dit traditionnel, représente, réalisé par des têtes et des cœurs d’hommes, dans l’optique particulière où ils ont vécu, un effort d’intelligence du monde et du surmonde…

Les divers peuples africains sont restés assez longtemps isolés les uns des autres ; quoique prenant conscience du même fond religieux, chacun a exprimé et vécu à sa manière sa relation avec le monde d’en haut. Les peuples pasteurs voient leur symbole de la vie dans les bovidés et leur expression religieuse en sera imprégnée. Les cultivateurs feront de même avec la terre nourricière, donneuse d’une vie toujours renaissante. Les pêcheurs et les peuples dont la vie est menacée par la sécheresse voient l’eau comme source de vie et s’en serviront dans leurs rites religieux. Mais, sous cette apparente diversité, on relève chez tous ces peuples une idée de base : la recherche de la vie et d’une vitalité accrue. L’Être Suprême sera donc perçu comme la source de la vie, le Grand Vivant. L’objectif central du rapport avec Dieu sera d’en recevoir et d’épanouir en soi cette vie, bien que cette option commune soit exprimée dans des expressions symboliques différentes.

Dieu étant perçu comme un être unique, ils disent : ‘Il doit être seul ; s’ils étaient plusieurs, ils ne seraient pas tout-puissants puisqu’ils se combattraient les uns les autres’. L’unique Tout-Puissant est perçu et nommé comme Celui dont la Parole fait exister, le Plus grand des Grands, le Maître du ciel, Celui qui luit, le Soleil que l’on ne peut fixer, l’Éternel, source de tout être, l’Inexplicable, Celui que l’on ne peut piéger, Celui qui sait tout, Celui qui fait tout, Celui qui crée sans avoir besoin de personne, Celui devant qui les hommes se prosternent sans tomber… Ces noms – et il en a pas mal d’autres – tâchent de traduire ce qu’ils découvrent de Dieu, par leur réflexion et leurs sentiments, mais aussi et surtout par ce qu’ils constatent de l’action qu’ils attribuent à l’Être Suprême.

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Habitués à la pensée imageante, vue comme renforçant la compréhension et la mémoire, ils le décrivent souvent par des mythes, affirmant, pour les faire mieux comprendre, et surtout mieux ressentir, des convictions profondes, vues comme vraies, sous des formes imagées.

Mythe de l’homme qui voulait tuer Dieu

Voici, par exemple, un mythe Chagga, du nord de la Tanzanie : Un homme qui avait perdu tous ses fils en conçut contre Dieu un grand ressentiment. Il s’en alla trouver un forgeron et lui demanda ses plus belles flèches pour tuer Dieu. Il s’en alla ensuite chez un corroyeur et lui demanda ses courroies les plus solides et les plus élastiques pour en faire un arc capable d’atteindre Dieu. Puis il se mit en route vers où le soleil se lève. De là partaient un grand nombre de chemins, les uns vers le ciel, les autres vers la terre ; il attendit le lever du soleil, vint le bruit d’une foule en marche et de voix criant : ‘Ouvrez les portes ! Laissez passer le Roi !’Il vit une multitude d’hommes tout brillants, eut peur et se cacha dans un buisson.

Le cortège royal s’arrêta et les gens se plaignirent d’une odeur épouvantable, à croire qu’un homme de la terre était passé par-là. Ils inspectèrent les alentours, découvrirent l’homme et le conduisirent auprès de Dieu. Celui-ci lui demanda : ‘Que veux-tu ?’ L’homme lui répondit : ‘Le chagrin m’a conduit à fuir ma hutte !’ Et Dieu dit : ‘Pourquoi donc cet arc et ces flèches ?’ – ‘Oh, je voulais peut-être chasser !’ … Et Dieu répondit : ‘Ne voulais-tu pas me tuer ? Fais-le donc !’ … L’homme hésita et poursuivit : ‘C’est à cause de mes fils que tu m’as pris !’ Dieu répondit : ‘Si tu veux tes fils, tu peux les prendre… Regarde, ils sont là, derrière toi !’ L’homme se retourna et les vit, si radieux et brillants qu’il les reconnut à peine. Alors il dit à Dieu : ‘Non ! Garde-les ! Ils sont tellement mieux chez toi !’

Les missionnaires ont apporté le Christ

Nous comprenons maintenant pourquoi Monseigneur Tumé, du Cameroun, affirme : ‘Les missionnaires ne nous ont pas apporté Dieu ; nous en avions déjà une idée ! Mais ils nous ont apporté le Christ !’

Il n’est donc pas douteux que cette religion traditionnelle ait engendré, malgré pas mal de lacunes et d’erreurs, un objectif très valable dans une approche de connaissance du Seigneur, et cela dans un effort de qualité de vie personnelle et sociale.

Ensuite la découverte du Christ, l’évangélisation, l’engagement des missionnaires, le magnifique essor de prise en main par le clergé et les catéchistes africains, l’urbanisation de l’Afrique ont provoqué une notable raréfaction de cette pratique religieuse et des coutumes qu’elle inspirait. Mais un peuple, des hommes ne perdent pas complètement une culture qui fait partie de leur identité, de leur vie profonde, de leur façon de vivre, de penser et d’agir. Il est donc inévitable que de nombreux chrétiens, quoique sincères, apparaissent, en partie chrétiens et en partie traditionnels, dans une personnalité divisée, moins équilibrée spirituellement.

La foi en Jésus Christ et la culture traditionnelle

C’est pourquoi les évêques africains en réunion à Rome, au Synode africain (10 avril – 8 mai 1994) ont dénoncé, un peu partout, une réelle et regrettable dichotomie, une situation dans laquelle deux éléments – la foi et la culture – qui devraient être intimement unis, se retrouvent séparés provoquant un déséquilibre de la pensée profonde, des convictions et de la vie religieuse, du comportement personnel et social, de l’union à Dieu.

Ils insistent donc sur un vaste effort d’interculturation : une acculturation joignant la culture à la foi et une inculturation joignant la foi à la culture. Par exemple, en introduisant la musique traditionnelle dans l’expression de la foi ou un rite chrétien dans une coutume traditionnelle. Il ne s’agit donc pas d’en revenir à la religion traditionnelle mais de s’en soucier dans la présentation et la vie de foi.

De très nombreux missionnaires ont consacré leur vie à présenter la foi chrétienne en Afrique noire, avec tout leur cœur et toute leur foi. Ils l’ont nécessairement fait selon les modes d’expression auxquels ils étaient accoutumés, inspirés d’une culture différente de la culture africaine. C’était inévitable et le résultat en est tout de même très largement positif.

Mais, pour aborder, connaître, informer valablement un peuple, il est absolument nécessaire d’avoir d’abord perçu, en bonne sémiologie, ce qu’il est, comment il pense, comment il sent et comprend les êtres humains et les choses, comment il voit Dieu, le prie, organise ses relations avec lui. Comme le disait le président Ahidjo, du Cameroun : ‘C’est en enfonçant ses racines dans la terre nourricière que l’arbre s’élève.’ Or, par exemple, beaucoup de missionnaires, en exprimant les vérités ou des prières chrétiennes, l’ont fait en traduisant littéralement des textes, alors que ce qu’il aurait fallu faire, c’est traduire les idées comme les vivent et les expriment les peuples africains, les gens auxquels ils s’adressaient.

Il paraît donc évident que nous, non ‘missionnaires en Afrique’, mais ‘missionnaires d’Afrique’, nous sommes appelés, en accord avec le clergé africain, à tenir compte, dans les relations et la pastorale, de la culture et de la religion africaine qui sont parties intégrantes, même si c’est parfois peu apparent, de l’identité profonde des peuples qui nous ont adoptés !

Le père Georges Defour, 92 ans, est au Congo depuis plus de 60 ans, traversant toutes les mutations et les épreuves avec un courage et un optimisme remarquables. Docteur en pédagogie, il est l’auteur de nombreux manuels scolaires utilisés jadis à l’école primaire en français comme Mon ami Noé et Calculons juste et en swahili comme Usikie habari, Tuhesabu sawa… 

En 1952, il fonde le mouvement de jeunesse Xavéri maintenant répandu dans plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne. Il travaille toujours à l’Institut supérieur de développement rural de Bukavu et à ses publications. Le P. Defour sait bien que pour enseigner l’arithmétique à John, il faut connaitre John ! Ici, il nous dit que pour présenter l’Évangile à Kisito, il faut connaître Kisito.

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