30 Novembre 1972 – 28 Février 1990 : de la Pseudo-Révolution a la Démocratie de façade

Le dossier consacré par le quotidien "La Nouvelle Tribune" a la Conférence Nationale nous donne l’occasion de réfléchir et d’engager le débat sur cette période de notre histoire récente et d’essayer de répondre à quelques questions clefs. Comment avons-nous pu passer en une vingtaine d’années de l’euphorie du «renouveau démocratique» de 1990 au K.-O de Boni Yayi en 2011, consacrant une caporalisation des institutions de contrepouvoir –de la Cour constitutionnelle à la HAAC en passant par la Haute Cour de Justice, le Conseil économique sans voix etc., un parlement aux ordres, un débat démocratique inexistant, une presse sous pression, victime d’interdictions répétées, des partis politiques pleurant pour leur place à la «table du festin», bref tous les symptômes d’une démocratie de façade?

Le GMR ou la «Révolution» des intellectuels alliés aux putschistes au nom du peuple

Il faut remonter en arrière et voir la genèse du discours programme du 30 novembre 1972 prononcé par le jeune commandant Kérékou devant un parterre de jeunes et de travailleurs sous l’emprise de l’entreprise mystificatrice qui commençait. Le 26 Octobre 1972, des militaires putschistes prennent le pouvoir sans avoir la moindre idée de la direction à donner au pays. Ce putsch est intervenu à un moment où la déliquescence économique et politique était à son sommet, où le risque était réel, qu’outré, n’en pouvant plus, le peuple en vienne à se révolter avec des conséquences imprévisibles pour la «stabilité» du système.

Dans le mois qui a suivi, ces militaires recrutent des organisations de masse patriotiques, Jeunesse Unie démocratique –JUD-, Ligue nationale de la Jeunesse patriotique –LNJP, plus connue sous le vocable de «Ligue»-, Front d’Action commun des Elèves et Etudiants du nord –FACEEN-, des syndicats –notamment des TP, des PTT, des Enseignants, et des dirigeants d’organe de presse (Le Gong /Kpalingan…), les installent en «commission d’évaluation des ressources de l’Etat», commission qui transformera son mandat en mandat de rédaction d’un programme de gouvernement. Ces organisations, en particulier leur dirigeants comme Adjo Boko Ignace, Abdoulaye Issa, Gado Guiriguissou et d’autres alignent un catalogue de mesures dont ils espéraient que le Gouvernement militaire révolutionnaire –GMR- de Kérékou se ferait l’artisan. Mathieu Kérékou n’a fait que reprendre dans son fameux discours programme du 30 novembre 1972 les conclusions du conclave de ces organisations manipulées par des dirigeants qui étaient déjà en pourparlers avec les militaires putschistes tels que Michel Aipké, Hilaire Badjogoumè et autres… Deux ans plus tard, ce fut la fuite en avant avec l’adoption du marxisme léninisme avec les résultats que l’on connait.

La question fondamentale est de savoir si on peut appliquer un programme populaire sans l’implication du peuple

Force est de reconnaitre que la réponse est NON. Les pseudo-révolutionnaires de la clique Adjo Boco-Abdoulaye Issa et leur amis Ligueurs –Osho, Gado etc. ont cru pouvoir faire l’économie du travail d’éducation et d’organisation du peuple et s’appuyer sur des militaires prétendument progressistes pour infiltrer et contrôler le pouvoir d’Etat et tenter de s’en servir. Le peuple ne s’est jamais reconnu dans ces catalogues de mesures à la confection desquelles il n’a été nullement associé. Le peuple n’a jamais eu le pouvoir de contrôler ses dirigeants qui prétendaient parler en son nom. Pire, très rapidement, il fera l’objet de mesures d’embrigadement forcé dans des structures de mouchardage (Comité de Défense de la Révolution et démembrements locaux…), verra la répression s’abattre sur lui sous différentes formes, de plus en plus violentes. Un des résultats de cette période aura été l’arrivée d’une nouvelle couche d’intellectuels au sommet des structures d’Etat. La vieille «aristocratie» locale composée d’héritiers directs et fils d’une couche d’intellectuels, grands commis de la période coloniale –au Bénin et ailleurs en Afrique-, et leurs alliés dans les chefferies traditionnelles et autres relais locaux du pouvoir colonial qui avaient, jusqu’en 1972, la haute main sur l’appareil d’Etat et les maigres infrastructures économiques (Port , Transit, Banques, Exportation agricoles etc.) fut remplacée par une nouvelle couche d‘intellectuels issus des universités occidentales ou d’Afrique de l’Ouest (Dakar, Abidjan etc.). Cette catégorie de gens qui maniait le discours nationaliste avaient été jusqu’alors cantonnés dans le système éducatif. La «révolution» se résumait à un jeu de chaises musicales au sein de l’intelligentsia, sans que le peuple ne soit impliqué d’une manière ou d’une autre. L’effet immédiat fut de désamorcer pour un temps la colère populaire, retarder la prise de conscience du peuple et son organisation autonome au travers de ses propres expériences.

Le «Renouveau démocratique» ou la confiscation des aspirations démocratiques du peuple

Dix-huit ans plus tard, le pays est de nouveau en proie à une crise sans précédent, avec la faillite économique, une répression sauvage et une totale privation des libertés. En dépit de cette répression, la colère populaire monte et s’exprime ouvertement sous la direction notamment des communistes. Beaucoup plus qu’en 1972, le risque d’une explosion populaire est réel et la grande manifestation à travers la marche publique organisée par le Parti communiste du Dahomey (PCD) le 11 Décembre 1989 témoigne de ce que la colère populaire pourrait déboucher sur autre chose qu’une éphémère explosion.

Kérékou–sous les conseils de l’ambassadeur de France notamment qui est en constante liaison avec Pierre Osho, Directeur de cabinet de Mathieu Kérékou- sort à nouveau la ficelle usée des commissions. Comme en 1972, il veut réunir une commission pour lui faire des propositions («économiques») de façon à étouffer une fois de plus le mécontentement et coopter une nouvelle couche d’intellectuels. Dossou Robert jouera, en 1990, le rôle qu’Adjo Boco Ignace a joué en 1972 pendant que lui, Dossou Robert, était encore à Paris. Rappelons que tous deux furent des dirigeants de l’Association des Etudiants Dahoméens –AED-, en France, ex-leaders de fait du mouvement patriotique et, à ce titre, avaient un carnet d’adresses fourni et des relations particulières avec la nouvelle couche d’intellectuels évoquée supra. Dossou Robert battra le rappel des «anciens camarades» de l’AED, de ce qui restait de l’ex-JUD, ex-FACEEN, des ex-Syndicats indépendants, décapites ou cooptes par le PRPB. A eux s’ajouteront les retraités des institutions internationales, à la recherche d’une «mission» pour leurs vieux jours et de retour d’ascenseur pour leurs anciens patrons.

Des gens qui n’avaient jamais élevé la moindre protestation publique (clandestine ou ouverte) contre la répression sauvage du peuple, qui avaient participé ou couvert de leur silence complice la gabegie et l’incurie au plan économique, se retrouvaient en posture de «héros de la démocratie», s’abritant derrière la révolte populaire qui grondait.

Le résultat fut un nouveau catalogue de mesures prises en dehors du peuple, sans sa participation, cette fois-ci, un catalogue de professions de foi démocratiques et de libéralisme économique à la sauce Banque Mondiale tempérée d’accents de «démocratie chrétienne».

Comme en 1972, lors de la confection du discours programme par les «jeunes», la confection du «renouveau démocratique» par ce qu’il faut bien appeler «les vieux» (il serait intéressant de voir la moyenne d’age des participants, le nombre de retraites ou semi-retraités …) s’est faite sans aucune implication ou consultation du peuple.

Encore une fois, une couche d’intellectuels, de «bien pensants » décident au nom du peuple et pour lui, de comment il sera gouverné, au profit de qui et selon quelles règles.

La suite, les années de transition, la rédaction de la Constitution et la mise en place douloureuse des institutions, seront la mise en musique de la partition écrite sans le peuple et au nom du peuple absent.

La leçon que l’on peut en tirer est que:

  • La conférence nationale de 1990, tout comme la «commission d’évaluation des ressources» de 1972 ont été d’abord et avant tout un moyen d’arrêter la colère populaire, d’empêcher qu’à travers elle, les couches populaires fassent leur éducation et leur organisation et décident par elles et pour elles (comme les peuples arabes font l’apprentissage dans la douleur ces temps-ci);
  • En décidant au nom du peuple sans le peuple de la mise en place d’une façade démocratique, la conférence nationale –dirigée par des gens étrangers aux luttes populaires- porte en elle les germes de la fragilité des institutions démocratiques mises en place:
    1. Aucun travail d’éducation et d’organisation du peuple pour qu’il puisse s’exprimer en connaissance de cause.
    2. Aucun moyen pour le peuple de contrôler des élus qui se prétendent ses représentants.
    3.  Aucune tradition d’abnégation –cimentée par des luttes communes pour un idéal partagé- n’existe au niveau des acteurs politiques propulsés sur le devant de la scène politique.

Les raisons de notre impasse démocratique sont nombreuses, mais le processus de l’avènement du «renouveau démocratique», essentiellement un deal passé entre différentes couches d’intellectuels, explique que notre démocratie bâtie sur du sable mouvant tangue dès qu’un «intrus» –comme Boni Yayi- moins scrupuleux que les autres décide de lui faire violence.

Il n’y a pas de raccourcis, et pour bâtir une démocratie solide qui ne soit pas de façade, il nous faut éduquer et organiser le peuple afin qu’il participe véritablement et fasse en toute conscience les choix conformes à ses intérêts bien compris. Point d’autre voie de salut.

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