Voici venir le crépuscule d’un grand félin politique. La campagne électorale de la présidentielle sénégalaise qui entre dans sa dernière ligne droite. Et ainsi s’annonce la fin d’un parcours long de plusieurs dizaines d’années. Les démocrates du monde entier regardent avec appréhension et attention. Qu’elle soit couronnée d’un improbable succès ou sanctionné du presque inévitable échec, cette campagne électorale devrait être pour « Gorgui » la der des ders.
Cette dernière bataille, il faut s’attendre à ce que Papy Wade la livre de toutes ses forces, de toute sa hargne, de toute sa dextérité. Pour avoir tenu à se présenter à cette élection à laquelle presque personne ne voulait le voir en lice, personne hormis ceux qui ont voté pour lui et ceux qui s’apprêtent encore à le faire, Me Wade n’a certainement pas dans l’intention de capituler sans combattre. Ces douze dernières années, le président sortant du Sénégal n’a pas souvent eu l’occasion d’essuyer des échecs. Avec une majorité parlementaire totalement acquise et une capacité à virer les moindres trublions de sa famille politique, quel que puissent être leurs fonctions, il aura passé deux mandats tranquilles et se prenait à rêver de continuer dans cette dynamique. D’un point de vue global d’ailleurs, son parcours n’a pas souvent laissé place aux revers. Sauf bien sûr à l’occasion des élections présidentielles perdues contre ses prédécesseurs Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf en 1978, 1983, 1988 et 1993. Une époque où la notoriété de l’homme n’était qu’en cours d’édification et où la fiabilité des opérations électorales, même dans un pays comme le Sénégal, n’était pas exempte de reproches. Pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs.
Cette ultime bataille, Me Wade se doit de la mener. Il le doit à ces 35% de Sénégalais qui, parmi ceux qui ont osé aller voter, ont choisi de porter leur choix sur lui. Il le doit à son fils Karim pour qui il a sacrifié honneur et dignité. Pour ne pas avoir eu à renoncer trop facilement à un rêve dynastique pour lequel il a trahi tant d’amis et tant de partenaires. Il le doit à ses collaborateurs dont l’avenir politique en son absence, ne tient pas à grand-chose. Il le doit à tant de gens, mais avant et après tout à lui-même. Papy Wade a trop montré d’obstination et d’orgueil pour se retirer maintenant dans l’espoir de restaurer une estime perdue. Il n’en a d’ailleurs pas manifesté l’intention et l’opposition menée par Macky Sall n’ignore pas qu’il faut encore compter avec lui.
Il faut en effet s’attendre à ce que dans cette dernière bataille, Papy Wade sorte l’artillerie lourde. Il en a les moyens. Riche comme peu de Sénégalais peuvent oser en rêver un jour, président de la république jusqu’à ce que le scrutin du 25 mars donne un verdict contraire, l’homme dispose de moyens personnels et publics de mener une lutte âpre. Les consignes de vote que commencent déjà à donner quelques dignitaires des confréries religieuses, au mépris des recommandations de leurs responsables suprêmes peuvent laisser supposer que des moyens de persuasion autrement plus importants que ceux mis en œuvre à l’occasion du premier tour sont à l’œuvre. Les capacités de couverture intégrale de l’espace géographique national par son parti et les moyens de l’Etat qu’il est susceptible de mettre dans la bataille ne manqueront pas non plus d’avoir un effet.
En dépit de tout cela, il est à espérer ou redouter (selon le camp où l’on se trouve) que la dernière bataille de Gorgui sera une bataille perdue. Pas perdue d’avance, non. Les capacités de remobilisation et de manipulation du camp présidentiel ne sont pas réduites à néant. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner, les Chefs d’Etat africains qui perdent des élections qu’ils organisent ne sont pas légion. Et ce n’est pas toujours parce que leurs peuples ont décidé souverainement de leur renouveler leur confiance. Papy Wade pourrait être tenté par ce genre de passage en force. Mais dans la bataille loyale, à armes presque égales que l’opposition sénégalaise et la communauté internationale espèrent, la victoire ne devrait pas être dans le camp de Wade. Bien au contraire. C’est dans la défaite, et la reconnaissance de cette inévitable défaite quand elle sera survenue, que Gorgui va restaurer une partie de sa valeur de démocrate engagé et de patriote africain.
Gorgui ne gagnera pas cette dernière bataille. Mais il va la mener. Au mérite de son honneur et dans l’attente d’une défaite honorable.
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