«Le site n’est visité que par les étrangers»
Imourou Abdoulaye est depuis 2008, le conservateur du musée régional de Natitingou. Un musée installé en 1991 dans un bâtiment vieux de 97 ans mais réhabilité l’année dernière dans le cadre de la célébration du 51è anniversaire de l’accession du Bénin à la souveraineté internationale. Dans cet entretien, le conservateur parle de quelles catégories d’œuvres on y trouve et de l’historique de ce site visité en majorité par les étrangers.
Racontez nous brièvement l’historique de ce musée
L’historique de ce musée a commencé par celle du bâtiment. C’est un bâtiment colonial construit par les colons en 1915 et qui servait à l’époque, de Bureau au Commandant de cercle et son logement. Après les indépendances en 1960, le bâtiment a abrité la Préfecture de l’Atacora jusqu’en 1987 avant que la Préfecture ne dégage les lieux pour ses nouveaux locaux. Le bâtiment a été ensuite offert au ministère de la culture qui le transforma plus tard en musée. Le musée a ouvert ses portes le 9 février 1991. C’est un musée de la tradition érigé sur environ un hectare et demi en pleine ville dernière la mairie. Il est composé de cinq salles d’exposition. Tous les objets qu’on y retrouve sont représentatifs pour la région du Nord-Bénin.
A combien peut-on estimer ces œuvres?
Nous avons environs 300 objets. Certains datent de 600 ans avant Jésus-Christ. Ce sont des objets sur l’histoire de Natitingou mais aussi des objets sur des pratiques traditionnelles dans la ville. Il y a aussi des œuvres relatives à l’architecture du temps de nos parents.
Quelques exemples d’œuvres historiques
Au nombre des œuvres qui attirent l’attention du visiteur dans la première salle, se trouve ce pot exhumé avec un squelette, des flèches empoisonnées avec un arc que Kaba utilisait pour mener la guerre contre les colons ; une selle de cheval arrachée sur un champ de bataille en pays bariba dans la commune de Kouandé ; une épée avec un casque colonial arraché par Kaba aux colons lors d’une guerre qui a duré trois ans, 1915 à 1917. Il y a aussi un coffre-fort qu’a laissé le colon. Il n’a pas été gentil, il n’a pas laissé la clé. Et comme nous conservons les choses ici, on n’a pas voulu le détruire. L’une des toutes premières fenêtres de ce bâtiment de 97 ans y est conservée bien qu’elle soit faite en bambou.
Deux exemples d’œuvres relatives aux pratiques traditionnelles du Nord.
Un candidat à la circoncision. Il porte d’abord une blouse noire avec des sonnettes aux pieds pour danser quelques moments durant. C’est pour se divertir et dissiper la peur. Sur le podium le jour de la circoncision, il se concentre beaucoup parce que s’il panique, c’est qu’il a perdu et c’est une honte pour lui et pour sa famille. Il doit être courageux pour supporter, c’est sans anesthésie. C’était une étape majeure qu’il fallait affranchir chez les Ditamari pour être considérer comme majeure. C’est à partir de ce moment que le jeune homme est admis dans la cour des grands. Nous avons ici, un exemple de collier utilisé par les femmes lors des funérailles chez les ditamari. Quand vous perdez un parent, vous devez le porter. Parfois, l’esprit du défunt trouve un semblable parmi les vivants. Il faut faire porter le collier à ce dernier pour éviter que l’esprit du mort n’agisse sur lui. C’est une protection.
Qu’en est-il de l’architecture?
Nous avons dans notre musée, un modèle d’organisation d’un village ditamari. Les paysans vivent d’une manière plus isolée, histoire d’avoir de l’espace pour pouvoir faire leurs cultures et pour aussi éviter les conflits qui peuvent naître suite au ravage du champ des uns par les animaux des autres. Les parents construisaient pour la plupart, leurs maisons suivant les modèles de tata.
Combien de modèles de tata avez-vous dans ce musée?
Nous avons le Tata Otammari (ou tata bètammaribè). C’est un modèle composé de trois terrasses et d’une entrée principale. Les cases ayant en haut des piquets sont les greniers. C’est ce qui fait la différence entre les chambres et les greniers. Il y a aussi le Tata Ossori. C’est pratiquement la même chose que le Tata Otammari seulement qu’ici, c’est une seule grande terrasse. A la différence de ces deux catégories, nous avons le Tata Otchaou qui est dallé. C’est à cause de l’insécurité de l’époque. Il y avait un gros animal qui venait souvent détruire la chambre et manger les hommes. Ils ont alors pris la résolution de daller les chambres. A l’entrée, sont disposées deux cornes pour marquer la présence d’un patriarche dans la maison. Le jour où les cornes n’y sont plus, c’est que le patriarche n’y est pas. Nous avons aussi le Tata Berba où il n’y a pas d’entrée principale, toujours à cause de l’insécurité. Il y a deux greniers au milieu, entourés de chambres. Le Tata Tayaba quant à lui, n’a qu’un seul grenier et une seule entrée. Il est aussi dallé. Etc.
En tant que conservateur et par rapport à vos visions, qu’est-ce qui vous manque dans ce musée, parlant d’objets?
Ce qui manque, c’est peut-être le fait qu’il y a certaines régions et ethnies qui ne sont pas représentées. Il y a d’autres qui sont sous représentées. Du moment où c’est un musée régional, toutes la région Atacora-Donga doit être représentée.
Que faites-vous pour combler ce vide?
Entre-temps, j’avais écrit aux Maires pour qu’ils envoient des objets historiques de leurs communes, mais aucun d’eux n’a réagi. C’était une lettre par voie hiérarchique, c’est-à-dire par la Préfecture. Le musé n’a pas d’argent présentement pour organiser une nouvelle collecte.
Quels sont les visiteurs que vous recevez souvent ici?
Le musée n’est visité que par les étrangers.
Un appel dans ce sens
C’est d’inviter les populations locales à visiter ce musée où sont conservés plusieurs objets historiques de leur cité. C’est un lieu où ils peuvent avoir des informations fiables sur les moments forts de l’histoire de la ville de Natitingou et sur les premiers hommes de la ville. Au-delà des populations de Natitingou et des environs, c’est toute la population béninoise que j’appelle à venir visiter ce musée. Nous avons le devoir de faire la promotion de notre culture. Les étrangers ne peuvent pas le faire à notre place.
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