Depuis quelques années, les vols d’engins à deux roues ont donné naissance à un nouveau métier, le garde vélo. Un petit métier de subsistance, qui permet à ceux qui le pratiquent de s’occuper. Et comme tout autre métier, le garde vélo comporte des avantages et des risques.
Université d’Abomey-Calavi, il sonnait 08h30mn. Devant le département du génie civil de l’Ecole polytechnique, situé à quelques encablures du garage des bus de transport d’étudiants du campus, un morceau de carton indique la situation d’un garde vélo. Des motos de tout genre et de toute marque sont garées. Un homme d’environ la trentaine qui a requis l’anonymat, dirige les motocyclistes. «Mets ta moto dans l’espace là. Attends, je te fais un peu de place. As-tu déjà ton ticket?», demande-t-il à un client. Chaque jour, c’est lui qui veille à la sécurisation des engins des étudiants majoritairement de l’Epac. Pour 50F cfa, votre engin est sous «haute surveillance» jusqu’à 19 heures et au-delà le montant double.
«J’entre, range, et donne les tickets à mes clients que je connais pratiquement tous après avoir inscrit un code sur leurs engins», explique-t-il en parlant de son travail. «Je reviens tout à l’heure», laisse entendre un étudiant qui vient de récupérer son engin sans remettre un kopeck. Cette phrase est un mot de passe entre le gérant et le client pour dire qu’il règle à la fin de sa journée. Pour des raisons de monnaie «je suis souvent obligé de leur laisser l’argent qu’ils remboursent dès qu’ils le peuvent», explique le gérant.
9 heures, cap est mis sur un autre garde vélo situé non loin du premier. C’est celui en face du bâtiment de la Faculté des droits et sciences politiques (Fadesp). Ici, les engins rangés les uns à la suite des autres selon les marques attirent des regards nouveaux. Il est possible de les dénombrer. Une centaine environ. Le gérant est Yves, un étudiant en 2ème année d’anglais à l’Uac. Selon ses dires, il vient chaque jour, excepté le dimanche à 7 heures et retourne chez lui à 19 heures. Il dit se fait remplacer par l’un de ses frères ses jours de cours. Les frais de stationnement sont identiques, 50Fcfa. «Je fréquente les gardes vélos depuis le vol, l’année dernière, de ma moto alors que je suivais un cours», répond Narcisse à la question de savoir les raisons qui motivent sa fréquentation de ce lieu.
Nouvel escale devant la Banque Boa de Calavi en bordure de la voie Akassato-Godomey à quelques mètres du carrefour IIta. Il est un peu plus de 11 heures, les rayons du soleil se font plus rigoureux, la chaleur est intense et la circulation de moins en moins dense. Mais Eugène, un fonctionnaire béninois, doit effectuer quelques opérations bancaires. Il vient de garer sa moto de marque “Sanili’’. Un homme d’une cinquantaine d’années le rejoint aussitôt. Il lui tend un ticket après avoir noté un code sur le siège de l’engin. Trente minutes après, Eugène est de retour. Il doit récupérer son engin en échangeant le ticket reçu par une pièce de 50Fcfa qu’il remet au «gardien d’engin». Pas de temps à perdre pour lui, même s’il a été possible de lui arracher quelques mots. A en croire ses propos, il est toujours mieux de perdre une petite somme de 50F que de perdre son engin. «Il n’y a pas de crainte à avoir pour ce qui est des pertes d’engins surtout que c’est devant une institution», rassure-t-il tout pressé. Pas de «je reviens» ni de «je n’ai pas de monnaie» en ce qui concerne le paiement. Lorsque l’engin est retiré, tout retour est conditionné à un nouveau paiement des frais de garde.
Un tour chez d’autres gardes vélos et le constat est le même. Que ce soit dans un espace délimité, ouvert, couvert ou non, le mode de fonctionnement est identique. Néanmoins, il y a des nuances à apporter. A la plage Obama beach de Cotonou, par exemple, les frais s’élève à 100Fcfa et peuvent varier jusqu’à 200F en fonction des jours et de la célébration ou de manifestation sur la plage. Il est aujourd’hui rare de trouver dans des lieux publics ou devant des institutions sans en rencontrer un seul garde vélo. Et cela jusque devant le palais de la Marina.
Un métier de subsistance
Tantôt assis sur un tabouret, tantôt debout pour accueillir un client en lui prenant sa moto pour la ranger soigneusement, c’est le rituel quotidien de «Doyen Calavi». Un homme géant, la soixantaine environ et de teint noir. «Doyen Calavi» est le plus ancien de ceux qui exercent le métier de garde vélo devant le Tribunal de première instance de Cotonou. Interrogé pour savoir si cette activité lui permet de subvenir aux besoins de sa famille, il répond : «C’est juste un métier de subsistance». «C’est dans le but de ne pas tomber dans la facilité c’est-à-dire le vol et autres vices que je viens ici chaque jour pour gagner un peu d’argent», a-t-il ajouté. Chez le garde vélo qui se trouve au niveau du ministère de l’économie et des finances, la situation est identique. Selon le garde qui requiert l’anonymat, c’est tout simplement faute du mieux qu’il est toujours là. «Si j’avais appris un métier comme la couture ou tout autre métier du genre, je ne serai pas ici à supporter les différentes caprices des clients mais aussi à essayer de survivre», déplore- t-il. Du côté du Conseil national des chargeurs du Bénin (Cncb), la situation n’est pas la même. Ici, c’est un métier secondaire. Pour l’un des vigiles du Cncb, le garde vélo en tant que métier se fait seulement quand une manifestation qui draine de nombreuses personnalités est organisée dans les locaux de la maison. Le garde vélo est une activité rentable selon l’emplacement où l’on se trouve pour le faire. Selon «Doyen Calavi», même s’il n’a pas voulu dire avec précision ce qu’il gagne par jour, c’est environ avec une somme de 7000F qu’il rentre chez lui. Du côté du Ministère de l’économie et des finances, le garde-vélo déclare : «sans te mentir mon frère ce que je fais ici là ne me rapporte rien. Pas d’économie. Avec ce que je gagne ici, on ne peut pas nourrir une famille. Ce n’est pas du tout une activité que je conseille à qui que ce soit».
Le revers de la médaille
Si l’activité de garde vélo est rentable selon l’endroit où l’on se trouve pour le faire, en cas de perte, les conséquences sont les même partout. En effet, en cas de perte d’une moto confiée à un garde vélo, le gérant se débrouille pour trouver au client victime, sa moto. Selon les gérants interrogés sur ce fait, ils sont tous unanimes. Le client ne veut rien savoir si sa moto n’est pas retrouvée. Peu importe le moyen par lequel le garde-vélo passera pour retrouver la moto. L’essentiel pour le client, est qu’il entre en possession de sa moto. Du côté du tribunal de Cotonou, «Doyen Calavi» déclare : «c’est vrai que ce genre de problème ne s’est pas encore posé ici. Mais pour ce que je sais, c’est quelque chose qu’il ne faut pas souhaiter car souvent, en cas de perte d’une moto les clients sont sans pitié envers le garde à qui il a confié sa moto». A la question de savoir si les autorités du tribunal lui porteraient une quelconque aide en cas de perte d’une moto, il affirme : «c’est vrai qu’elles savent que nous sommes ici. Mais en dehors de ce fait, elles ne se soucient même pas de ce qu’on devient ou de comment on se débrouille chaque jour. Et ce n’est pas en cas de perte d’une moto qu’elles vont nous porter une quelconque aide. C’est vrai que je ne souhaite pas que cela arrive, mais au cas où on se retrouverait dans cette situation, elles ne feront rien pour nous aider». Du côté des autres gardes vélos rencontrés, le constat est le même. Pour le garde-vélo de la Faculté des sciences agronomiques(Fsa), quand ce problème se pose, vaut mieux disparaître avant que le client dont la moto a été prise ne vienne constater les faits. Il justifie ses dires par le fait que souvent dans ces genres de situation, les clients sont prêts à même enfermer le garde-vélo à qui il a confié sa moto.
Un pis aller
Ni loi, ni arrêté ne régit l’installation et la gestion des gardes vélo malgré la flopée de ces aires de stationnement et de “sécurisation’’ d’engins à deux roues dans les communes de Cotonou et d’Abomey-Calavi. Il est permis à qui le veut de créer où il veut son aire de stationnement et de sécurisation de motos à condition que ce dernier trouve un site à sa disposition. Des enquêtes menées sur le terrain, il ressort que c’est seulement avec les propriétaires de sites qu’il y a des négociations et souvent des arrangements. Le reste, ce sont des choses courantes. Le matériel de travail constitué d’une écritoire généralement la craie et soit des cartons numérotés ou soit des tickets comme c’est le cas dans les gardes vélos les plus modernes. De façon générale, l’installation d’un garde vélo est régie par la signature d’un accord bilatéral entre le propriétaire du site et le promoteur. Selon les explications d’Antoine Satowakou président du bureau d’union d’entité de l’école polytechnique d’Abomey-Calavi et promoteur des gardes vélos de ladite école, il n’y a pas de réglementation dans le secteur. Seulement, il a juste fallu, pour l’installation des aires de stationnement et de sécurisation des engins de l’école, une autorisation de la première autorité de l’établissement.
«Moi, je ne confie pas ma moto au-delà de 18 heures à un garde vélo. Encore moins, lors des manifestations qui drainent un monde fou», affirme Anicet apparemment très prudent. A l’entendre, l’on ne saurait vérifier l’authenticité d’un garde vélo d’autant que le secteur n’est régi pas aucune loi.
Tel que présenté, stationner son engin chez certains gardes vélos peut, surtout lors des manifestations de grandes envergures où ils se multiplient, être un grand risque. Et, loin de sécuriser les motos, le garde vélo peut plus les exposer. Car, sans enregistrement de la structure, il sera difficile, en cas de perte de trouver les promoteurs afin de se faire rembourser.
Contrainte
Confier ou non sa moto à un garde vélo devrait être du ressort du propriétaire mais devant certains établissements, le motocycliste n’a pas de choix. Et d’ailleurs, les indications sont assez claires. «Stationnement interdit», «garde vélo obligatoire». Que vous le voulez ou pas, vous payerez une somme pour avoir garé votre engin là et ce, qui que vous soyez. Selon des témoignages de certaines personnes, il arrive souvent que votre engin soit déplacé et mis au garde vélo si vous ne l’aviez pas fait auparavant. Devant certaines structures notamment les banques, il est souvent fréquent de voir des pancartes des autorités de l’établissement annonçant la déclinaison de toute responsabilité en cas de perte d’engin qui conditionnent souvent les propriétaires de moto à confier leur moyen de déplacement à un garde vélo. Pour les habitués de la plage Obama Beach de Cotonou, la leçon est déjà sue. Il est impossible de venir à moto et de ne pas mettre son engin au garde vélo. Devant plusieurs autres institutions et établissements, la situation est la même, à quelques exceptions près. Et aujourd’hui répondre aux questions de savoir pourquoi les choses sont ainsi? Et que fait-on pour changer la donne se révèlent être un casse-tête chinois.
Ben-Saïd Adjiboyrihan & Yao Hervé Kingbêwé
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