Le ciel s’amoncellerait-il à nouveau sur l’avenir de la Libye ? Que diable se prépare-t-il dans les confins de la frondeuse Cyrénaïque ? Les menaces de sécession que font planer certains des ex-chefs de guerre, ennemis du Guide défunt de détacher leurs provinces d’origine de l’ex-Grande Jamahiriya sont-elles à prendre au sérieux ? Il semblerait en tout cas que oui. Et le vent de panique que cette perspective fait souffler sur le Conseil national de Transition (CNT) libyen, en panne d’inspiration et de réformes concrètes depuis la mort du Guide Mouammar Kadhafi, en dit long.
Les Etats ne déménagent pas, c’est une vérité bien connue. Autrement, les Chefs de tribu de la région orientale de la Libye, la Cyrénaïque, auraient sans doute bien voulu se séparer sans crier gare de l’Etat avant même de faire connaître leurs intentions sécessionnistes. En tout cas, pour ceux d’entre eux qui viennent de soulever la question de l’autonomie de leur province. Pour comprendre les ambitions séparatistes de ces derniers, il faut compter avec trois paramètres.
D’abord, la Cyrénaïque est la région la plus pétrolifère de la Libye. Et pourtant, durant les années Kadhafi, elle n’a que peu bénéficié des dividendes que l’exploitation de ses richesses a assuré au pays. Le Guide libyen ayant plus volontiers consacré son attention à la Tripolitaine, notamment aux villes de Syrte et de Tripoli dont il fait le pôle principal de développement de la Jamahiriya. En conséquence, et c’est là le second paramètre, depuis la fin de la dictature du Colonel, il est sans doute né en Cyrénaïque une envie d’avoir un accès privilégié aux richesses locales. A preuve, parmi les prérogatives qu’ils entendent partager ou céder à l’Etat fédéral qu’ils appellent de leurs vœux, les leaders séparatistes n’ont pas fait allusion aux richesses pétrolières. Ce qui laisse supposer que même s’ils sont conscients de ne pouvoir avoir la haute main sur l’ensemble des ressources prélevées dans leurs sous-sols, ils comptent bien avoir leur mot à dire sur l’exploitation qui désormais en sera faite. Enfin, la Libye a déjà été par le passé un Etat fédéral. De son indépendance en 1951 à 1963, le pays a été un royaume fédéral organisé autour de la Cyrénaïque, de la Tripolitaine et du Fezzan. Cette réminiscence historique n’est donc pas vide de sens pour les nostalgiques de l’autonomie qui a dû marquer l’Etat libyen à cette époque-là.
En réclamant donc leur autonomie dans une Libye fédérative, les leaders séparatistes de la Cyrénaïque n’ont fait que soulever un problème qui tôt ou tard, aurait fini par se poser. En effet, l’incapacité du Conseil national de transition à pacifier le territoire et à avoir une certaine maîtrise de la situation politico-militaire au plan interne depuis la mort du Guide Kadhafi n’a donné jusque-là lieu qu’au renforcement des milices et autres bandes armées dont le rôle et les objectifs sont de moins en moins compatibles avec ceux d’un Etat aspirant à la paix et à l’unité. Mais plutôt que de prendre le mal à la racine et envisager les solutions acceptables par chacune des parties, le président du CNT menace d’ores et déjà de guerre les autonomistes. Comme s’il ignorait que toute tentative d’intimidation à l’encontre des peuples, surtout dans le domaine sensible de l’auto-détermination, risque à tout le moins de renforcer les soutiens de cette cause dont on ignore jusqu’à présent la popularité. De toute évidence, il est entendu que les leaders même les moins autonomistes de la Cyrénaïque n’ont pas dû entendre d’une bonne oreille l’adresse de Moustapha Abdeljalil qui oublie bien vite que lui non plus ne tient sa légitimité que d’un consensus qu’il doit entre autres aux chefs de tribu originaires de la province querellée.
En tout état de cause, la Libye n’acceptera certainement pas d’accorder dans les conditions envisagées, l’autonomie que réclame la Cyrénaïque. Même si l’idée d’une république fédérale n’est pas exclue, il est évident qu’elle doit tenir scrupuleusement compte de toute la Libye, de ses capacités, de ses peuples, de ses ressources et de ses moyens. Au sortir d’une guerre comme celle dont revient ce pays, le séparatisme est loin d’être le moyen le plus raisonnable d’en assurer la reconstruction.
La crise qui se profile au travers de cette demande d’autonomie n’est certainement pas la dernière que connaîtra la Libye post-Kadhafi. Loin de là. Et pourtant, voilà Moustapha Abdeljalil et ses amis du CNT qui s’émeuvent déjà. Voyant ici et là, à tort ou à raison des mains manipulatrices étrangères. Mais alors, qu’en sera-t-il quand viendront les douloureuses réalités du pouvoir à l’heure de vérité ? Les Libyens regretteront peut-être un jour Mouammar Kadhafi.
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